Près d’un mois après le drame au port de Beyrouth, les habitants des quartiers dévastés par l’explosion cherchent à réhabiliter leurs logements. Certains bénéficient de l’aide d’urgence de l’ONU, mais la plupart doivent financer eux-mêmes les travaux. Toutefois, les matériaux de construction étant tous importés, la facture s’avère très salée.

Joseph Eid/AFP

Près d’un mois après la double explosion au port de Beyrouth, le Haut Comité de secours n’a pas fini d’évaluer les dommages subis dans les zones résidentielles. Les estimations des organisations internationales permettent toutefois d’avoir une idée de l’étendue des dégâts. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU a ainsi recensé plus de 200 000 logements plus ou moins endommagés. Pour sa part, la Banque mondiale chiffre les pertes, pour le seul secteur du logement, entre 1,9 et 2,3 milliards de dollars, sans parler du manque à gagner pour les propriétaires dont les locataires ont dû être relogés.

Rien qu’à Beyrouth, près de 351 000 habitants, répartis sur près de 88 000 logements, ont été affectés. Comme si le drame en lui-même ne suffisait pas, la Banque mondiale révèle que parmi les logements recensés, ceux qui sont occupés par des ménages à faible revenu sont surreprésentés. « La priorité devrait être donnée à la réparation des logements légèrement ou partiellement endommagés pour les ménages à faible revenu, et à la fourniture d’un abri pour les personnes démunies et les plus vulnérables », ajoute l’organisation en estimant les besoins d’urgence entre 220 et 265 millions de dollars d’ici à fin 2021, dont 30 à 35 millions doivent être assurés avant la fin de l’année. « Certaines réparations sont urgentes. Il faut absolument poser des vitres avant l’arrivée de la pluie pour éviter des infiltrations d’eau qui causeraient encore plus de dégâts », explique Lara Moutin, cofondatrice de l’initiative Windows for Beirut.

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Face à l’incapacité financière de l’État à réagir, plusieurs associations et organisations internationales ont pris le relais. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a ainsi débloqué 32,6 millions de dollars pour financer des travaux, comme le remplacement des vitres et des portes, dans 24 667 logements abritant quelque 100 000 individus dans les zones les plus prioritaires, à savoir Rmeil, Marfa’ et Medawar.

Quid des autres ? En théorie, l’État devrait prendre en charge les réparations des logements endommagés. Le Haut Comité de secours a ainsi été chargé d’évaluer les dégâts et les besoins pour mettre en place un mécanisme de compensation. En attendant, les Libanais ont été priés de réparer leurs maisons à leurs frais et de conserver les factures pour être éventuellement remboursés.

Mais dans un contexte de crise économique et de forte dévaluation, les factures donnent le vertige. « J’ai payé 24 millions de livres libanaises, soit l’équivalent de 3 000 dollars au taux du marché noir, rien que pour réparer les vitres cassées. Je n’ai même pas encore remplacé les portes », témoigne un habitant de Jeitaoui. L’addition est encore plus salée pour un habitant du quartier de Tabaris, qui affirme avoir déboursé près de 60 millions de livres libanaises pour réparer fenêtres, portes, faux plafond et installation électrique.

Les prix des matériaux de construction s’envolent

Si les clients sont étranglés par la hausse des prix, les prestataires, eux, se défendent de profiter de la situation. « Les prix ont été multipliés par quatre ou cinq par rapport à l’année dernière, reconnaît l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat, mais c’est principalement dû à la dépréciation de la livre libanaise », dit-il. En effet, le pays ne produit aucun des matériaux les plus demandés, à savoir le verre, l’aluminium et le bois. « Les industriels importent l’aluminium et le retravaillent ensuite ici ; pareil pour le verre, qui est importé sous forme de planches avant d’être découpé selon les besoins », indique l’Association des industriels libanais. Or, pour importer, ces derniers doivent s’approvisionner en devises au marché noir, où la livre s’échange à plus de 7 000 livres. D’autant qu’après des mois de crise, les stocks sont très limités. En 2019, par exemple, le Liban a importé environ 55 000 tonnes de verre, selon les chiffres des douanes, contre à peine 11 500 tonnes sur les six premiers mois de 2020. Or, selon une estimation de Najib Saab, secrétaire général du Forum arabe pour l'environnement et le développement (AFED), quelque 80 000 tonnes de verre seront nécessaires pour remplacer toutes les vitres brisées.

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Pour tenter d‘éviter les abus, les ministères de l’Économie et de l’Industrie ont déterminé une échelle des prix. « Nous avons établi un seuil et un plafond pour la facturation du mètre carré de verre et d’aluminium, qui tient compte des différentes taxes, des coûts d’installation, d’une marge de profit pour tous les acteurs et du prix de change sur le marché noir », affirme le directeur général du ministère de l’Économie, Mohammad Abou Haïdar, en soulignant que ces prix « ont été calculés pour un taux entre 6 700 et 7 200 livres libanaises pour un dollar et pourraient évoluer en fonction du cours ».

Le remplacement du verre de 6 millimètres d’épaisseur, le moins cher, par exemple, devrait coûter au maximum 650 000 livres libanaises par mètre carré. Mais « le plafond fixé par le ministère est totalement disproportionné par rapport au pouvoir d’achat des Libanais et ne tient pas compte de leur réalité. Le prix du mètre carré, qui n’a pas été subventionné malgré le drame survenu au port, est désormais équivalent au salaire minimum libanais ! » s’indigne Antoine Hajjar, un importateur de verre.

Pénurie de ciment

Quant aux propriétaires de logements encore plus endommagés, qui ont besoin de béton pour réhabiliter leurs appartements, ils font face à un autre problème : la pénurie de ciment. Celui-ci est certes produit localement, mais il se fait rare. « Il est encore trop tôt pour estimer la quantité nécessaire pour la reconstruction, mais je peux vous assurer que la quantité disponible actuellement n’est pas suffisante », affirme un responsable au sein d'une cimenterie, sous couvert d'anonymat.

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En cause :  la fermeture au début de l’année des carrières utilisées par les cimenteries en attendant un nouveau règlement sur leurs conditions d’exploitation. Selon une source proche du dossier, « la décision a été respectée par les deux usines de Chekka, la Cimenterie nationale et Holcim, mais pas par la cimenterie Sibline, restée fonctionnelle durant toute cette période ». La baisse de l’offre a toutefois provoqué une envolée des prix sur le marché noir : le prix de la tonne de ciment a ainsi quadruplé par rapport au prix officiel de 240 000 livres libanaises fixé par le Conseil des ministres, sans qu’aucune mesure de surveillance ne soit mise en place. 

Il aura fallu attendre 20 jours après l’explosion pour que les autorités réagissent et publient une décision permettant aux cimenteries de reprendre leurs activités pour un mois (date d’arrêt le 24 septembre) en limitant leur production à 80 000 mètres cubes chacune, au prix officiel de 240 000 livres. « Ce volume reste inférieur à ce dont aurait besoin le Liban », estime toutefois le responsable précité. 

Réparer sa maison à crédit

Deux jours après l’explosion au port de Beyrouth, la Banque du Liban a émis une circulaire qui appelle en quelque sorte les Libanais à ne pas attendre une aide de l’État à court terme. La circulaire n° 152 permet en effet aux entreprises et aux particuliers dont les biens-fonds (logements, locaux commerciaux, etc.) ont été endommagés de bénéficier de prêts en dollars à 0 % sur cinq ans pour financer les travaux de reconstruction. De son côté, la Banque de l’habitat a consacré une enveloppe de 60 milliards de livres libanaises dédiée à ce type de travaux. D’un délai de remboursement maximal de 15 ans, chaque crédit ne peut dépasser la somme de 150 millions de livres libanaises pour un taux d’intérêt de 3 %.