Avec l’acquittement, mardi, de trois des quatre suspects de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, et l’absence de « lien direct » établi, faute de preuves suffisantes, entre l’attentat et la Syrie ou le Hezbollah, le verdict du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est loin d’être à la hauteur des attentes des victimes.
Ce dénouement n’est pas une surprise. Cela fait des années que j’écris sur l’échec annoncé de l’enquête de l’ONU sur cet assassinat. C’est particulièrement le cas depuis janvier 2006, avec l’entrée en fonction du juge belge Serge Brammertz, dont le mandat s’est traduit par une totale absence de progrès de l’enquête. Pourquoi ? Cela reste à expliquer. Sans doute avait-il le sentiment que l’ONU n’irait pas jusqu’au bout, en particulier si l’implication du Hezbollah venait à être confirmée. Sa nomination ultérieure comme procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a même pu être interprétée comme une récompense pour sa léthargie à Beyrouth. Brammertz a peut-être senti que l’ONU craignait que le fait de nommer les assassins de Hariri ne conduise à un conflit confessionnel.
Malaise onusien
Un risque que le président syrien Bachar el-Assad n’a pas hésité à pointer du doigt en avril 2007, lors de sa rencontre à Damas avec le secrétaire général de l’ONU d’alors Ban Ki-moon. « Au Liban, les divisions et le confessionnalisme sont profondément ancrés depuis plus de 300 ans », a déclaré Assad, selon un article publié le 27 juin 2007 par Le Monde et se basant sur les « minutes » transcrites par un fonctionnaire de l’ONU. « La société libanaise est très fragile. (…) De 1976 à 2005, le Liban était stable, alors que maintenant il y a une grande instabilité. » Créer un tribunal pour juger les suspects en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies ne ferait donc qu’aggraver l’instabilité, a-t-il ajouté, avant de conclure, de manière surprenante, que cela « pourrait facilement provoquer un conflit qui dégénérerait en guerre civile, provoquant des tensions entre sunnites et chiites de la Méditerranée à la mer Caspienne ». Cette réaction montrait non seulement qu’Assad avait quelque chose a craindre dans un procès, mais aussi qu’il connaissait les responsables de l’attentat et souhaitait alerter (ou plutôt menacer) l’ONU sur les conséquences internationales potentiellement dangereuses de l’implication d’une partie chiite (le Hezbollah) dans l’assassinat d’un Premier ministre sunnite.
À cette époque, on soupçonnait déjà un manque d’enthousiasme de l’ONU pour une enquête approfondie sur ce meurtre. Lors d’un entretien que j’ai mené à Berlin en janvier 2008 avec le prédécesseur de Brammertz, le juge allemand Detlev Mehlis, je lui avais demandé si Kofi Annan, encore en poste fin 2005, s’était immiscé dans son travail. Mehlis l’a démenti, tout en ajoutant qu’Annan lui avait « clairement fait comprendre qu’il ne voulait pas d’un autre point de tension ». Et d’ajouter : « Je respectais cela, mais il respectait aussi mon point de vue. »
Il reste qu’au moment où Mehlis a intensifié son travail à l’automne 2005 (cherchant même à interroger Assad), l’ONU lui a signifié qu’elle ne pouvait plus garantir sa sécurité au Liban et qu’il devrait poursuivre son enquête de l’étranger. Mehlis ne pouvant pas l’accepter, il rentra chez lui en décembre de la même année. S’il n’a jamais ouvertement lié cette décision à une volonté d’étouffer son enquête, il est difficile d’imaginer qu’un homme de son expérience n’y voie pas un signe de malaise vis-à-vis de son enquête approfondie. L’ONU n’a par ailleurs jamais expliqué pourquoi Brammertz est, lui, resté au Liban : qu’est-ce qui, dans l’enquête de Brammertz, justifiait cette différence de conclusions sur leur sécurité respective ?
Lors de cette même interview, Mehlis a déclaré sans ambages : « Je n’ai pas vu un seul mot dans (les rapports de Brammertz) au cours des deux dernières années confirmant qu’il a avancé. Quand je suis parti, nous étions prêts à nommer des suspects, mais (l’enquête) ne semble pas avoir progressé depuis. » Cette lenteur de l’enquête m’a depuis été confirmée par d’autres sources proches de l’équipe de Brammertz.
Ce dernier est arrivé à un moment-clé de l’enquête Hariri, lorsque des interrogatoires de témoins et des arrestations de suspects auraient dû débuter. Or personne n’a été arrêté sous son mandat, ce qui a considérablement entravé l’enquête et le procès ultérieur au TSL. Et ce ne sont pas les enquêteurs de Brammertz qui ont commencé à exploiter la pièce essentielle de l’acte d’accusation, à savoir l’analyse des communications entre les assassins de Hariri, mais l’officier des FSI Wissam Eid. Eid a été assassiné en janvier 2008, tandis que son supérieur, Samir Chehadé, avait miraculeusement survécu à une tentative d’assassinat en septembre 2006.
Morts en vain
Pourquoi Brammertz a-t-il remis à Chehadé et à Eid les informations les plus importantes de ses dossiers ? Pourquoi l’a-t-il fait au moment même où il avait isolé son équipe des FSI, par crainte de fuites ? Faute de réponses à ces questions du côté de l’ONU, la seule explication possible est que le juge belge ne voulait rien découvrir et qu’il s’attendait à ce que les Libanais enterrent ces données télécoms. Grave erreur de calcul : travaillant de son propre chef, Eid a découvert des informations impliquant le Hezbollah. Des découvertes corroborées en décembre 2007 par les conclusions d’une équipe d’analystes de l’ONU, selon un documentaire diffusé en novembre 2010 par la chaîne canadienne CBC. Loin de représenter le succès d’une justice internationale, l’enquête sur Hariri et le procès qui l’a suivi constituent plutôt le récit édifiant d’un échec annoncé. Le fait que le président du TSL ait dû déclarer à plusieurs reprises dans son verdict qu’il n’y avait pas de preuves pour étayer les arguments de l’accusation est plus que suspect. S’il n’y avait pas assez de preuves, c’est que la commission d’enquête qui a travaillé pendant des années pour monter un tel dossier n’a pas fait son travail correctement. Toutes les informations que j’ai recueillies confirment cette conclusion. Le plus troublant est que Wissam Eid a perdu la vie parce que Brammertz lui avait confié ses informations les plus accablantes.
Présentée avec éclat comme un mécanisme devant mettre fin à l’impunité, l’enquête onusienne s’est avérée être exactement l’inverse. Tout indique que ses intentions étaient, en réalité, d’éviter la justice. Non seulement cela affecte la crédibilité de cette organisation, mais les proches des victimes de cet attentat (comme des autres assassinats politiques) doivent désormais accepter qu’elles sont mortes en vain.
Ce texte est une traduction synthétique et actualisée après le verdict d’un article publié en anglais et en arabe sur Diwan.
Par Michael YOUNG
Rédacteur en chef de « Diwan », le blog du Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).
commentaires (7)
Quoi qu'on dise, el lisant le texte de ce tribunal on voit clairement que, même qu'etouffé par les conditions de certains membres de l'ONU, le document explique clairement la nécessité politique pour le hezb et la syrie de se débarrasser de Hariri. Les moyens dépensés et utilisées dépassent les capacité d'un individu et confirme l'intervention de services secrets bien rodés, assez riches et décidés. Ayache n'est qu'une bille dans tout ce rouage. 3 accusés potentiels, hezb, syrie et israel ou plutôt une coalition insidieuse de ces 3...
Wlek Sanferlou
14 h 54, le 23 août 2020