« La révolution naît des entrailles de la tristesse. » Qui se souvient que trois jours avant le drame des explosions du port de Beyrouth, cette phrase du poème de Nizar Kabbani Ya Beyrouth, chanté par la diva Majida el-Roumi dans une célèbre chanson du même nom, avait été censurée lors d’un concert en l’honneur de l’armée, provoquant un scandale ? L’incroyable tragédie de l’explosion qui a meurtri Beyrouth et son port n’a pas seulement plongé le pays dans la tristesse. Elle a aussi engendré une vague de colère susceptible de ranimer les braises de la révolution du 17 octobre.
L’on s’attendait ainsi, hier, à ce que les Libanais soient nombreux, aujourd’hui, à répondre à l’appel de la rue, à l’occasion d’un rassemblement qui sera organisé conjointement par de nombreux groupes de la société civile, place des Martyrs, aujourd’hui, et débutera entre 16 et 17 heures. Déjà hier, le ton était donné sur des tracts distribués à travers la capitale : « Aujourd’hui est le dernier jour de déblayage des débris et de nettoyage de Beyrouth. Demain, nous nettoierons Beyrouth de leur présence et de leur corruption. Dressons des potences ! »
Signe de la colère qui monte, mais aussi d’une certaine confusion, les appels à manifester, venant de toutes parts, se sont multipliés ces derniers jours, parfois avec des horaires différents. 14 heures, 16 heures, 17 heures… N’est-il pas temps d’unifier le message quand l’heure est si grave ? Samir Skaff, militant de la première heure, minimise ces disparités. « Pour ce qui est des horaires, les appels se sont surtout concentrés sur 17 heures, mais nous avons fini par demander aux médias d’être présents dès 16 heures pour des raisons pratiques, dit-il. Certains ont peut-être voulu faire de la surenchère en adoptant l’horaire de 14 heures, mais celui-ci n’est pas réaliste, et je crois que le rendez-vous de l’après-midi est celui qu’il faut retenir. » Et qu’en est-il de l’unicité des slogans ? « On parle beaucoup de “jour de colère” ou de reddition des comptes, certains veulent même dresser des potences, dit-il. À mon avis, le plus important est de ne pas oublier les blessés et les tués dans ce terrible drame. Et pour nous, la mobilisation est cruciale à ce moment, pour bien signifier que la révolution est de retour. »
« Une colère noire va s’emparer de la rue »
Pour Camille Mourani, activiste politique, le mot d’ordre du rassemblement de samedi est celui de la « vengeance ».
« Une colère immense s’exprimera dans une rue en ébullition », estime-t-il, ne voulant pas dévoiler tous les détails du rassemblement. « Pire que l’explosion en elle-même, c’est le comportement des autorités qui consterne la population, poursuit-il. Alors que le président français (en visite jeudi au Liban, NDLR) descend dans la rue, dans le quartier dévasté de Gemmayzé, pour écouter les Libanais, le président libanais, lui, n’ose pas y mettre les pieds. Et comme si tout cela ne suffisait pas, on voit les forces de l’ordre malmener une population excédée dans les quartiers touchés… »
Redoute-t-il les habituels rounds de violence qui entachent ces rassemblements ? « De quoi aurions-nous peur ? Tout le pays est cassé, est-ce qu’ils craindraient quelques vitres cassées de plus ? se demande-t-il. Par ailleurs, dans un cadre d’état d’urgence imposé à Beyrouth, nous mettons toutes les forces de sécurité en garde contre toute violence exercée à l’encontre des manifestants et leur ferons assumer la responsabilité de la moindre goutte de sang versée ce jour-là. »
La violence vient également à l’esprit d’Amine Issa, coordinateur de la direction politique du Bloc national. « Au-delà de la mobilisation à laquelle appellent les divers groupes de la société civile samedi, une grande colère gronde dans la rue, dit-il. Que le rassemblement de demain (aujourd’hui) soit le déclencheur de ce mouvement de colère ou que celui-ci explose quelques jours plus tard, je m’attends à une vague sans précédent.
Auparavant, je craignais des émeutes de la faim. Actuellement, je pressens qu’une colère noire va s’emparer de la rue et constituer un véritable tournant de ce mouvement. » En cas d’explosion de colère, les groupes de la société civile auront-il un rôle à jouer ? « Je l’espère, mais le mouvement pourrait dépasser toute structure et toute capacité à le canaliser », dit-il.
commentaires (14)
Vous dites "plusieurs groupes de la revolution nationale": merci de nous en dire plus sur ces groupes.
Loiseau Yves
05 h 49, le 10 août 2020