Le président de la République, Michel Aoun, s’est rapidement efforcé de détricoter les résultats de la visite du président français, Emmanuel Macron, à Beyrouth, jeudi, manifestant son désaccord avec nombre de positions-clés que le chef de l’Élysée a prises à Beyrouth. Moins de 24 heures après la visite de M. Macron dans la foulée de la tragédie de la double explosion qui a secoué la capitale mardi soir, M. Aoun a réagi aux propos de son homologue français et au bilan de sa tournée au Liban, tout en soulignant le caractère amical des rapports entre Beyrouth et Paris. Pour ce faire, Michel Aoun a mené une conversation à bâtons rompus avec plusieurs journalistes, hier à Baabda, une démarche qu’il entreprend pour la toute première fois depuis le début de son mandat en 2016. S’il a tenu à assurer que justice sera faite à toutes les victimes de la double explosion, il s’est ouvertement opposé à ce que l’enquête dans cette affaire soit confiée à une commission internationale, comme le veulent M. Macron et les ténors de l’opposition au Liban. « Demander une enquête internationale dans l’affaire du port vise à diluer la vérité », a-t-il lancé, insistant sur le fait que le pouvoir judiciaire devrait être rapide sur ce plan, parce qu’« une justice retardée n’en est pas une ». Il faisait ainsi allusion à la demande d’une enquête internationale dans le dossier de l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février 2005. Le camp hostile au Futur avait longtemps accusé le Tribunal international (qui a reporté l’annonce de son verdict, prévu initialement hier, au 18 août) de tenter de « camoufler la vérité ».
Il n’en demeure pas moins que c’est surtout un souci de manque de transparence qu’éprouvent aussi bien les opposants que le président français, en plaidant pour la formation d’une commission internationale d’enquête. Lors de sa conférence de presse tenue jeudi à la Résidence des Pins, Emmanuel Macron était très clair : « Il faut une enquête internationale, ouverte, transparente et claire pour éviter que des choses soient cachées et que le doute s’installe. »
Mais Michel Aoun ne semble pas l’entendre de cette oreille. Pour lui, les propos de M. Macron sont « un conseil émanant d’un président ami ». D’autant que cette question « n’a pas été évoquée » lors de leur entretien à Baabda, selon lui.
M. Aoun s’est également prononcé sur la question de la formation d’un nouveau gouvernement, son homologue français ayant évoqué la possibilité de mettre sur pied un cabinet d’union nationale. Le chef de l’État libanais a ainsi fait barrage à toute tentative de ce genre. « Il faut préparer une atmosphère propice pour une telle démarche », a-t-il estimé, ajoutant : « Nous ne pouvons pas plaider pour un gouvernement d’union nationale et tomber dans les divisions politiques observées sous de précédentes équipes ministérielles. »
Sur un autre plan, et à en croire plusieurs milieux politiques, le pouvoir en place n’a de toute évidence pas capté le message d’Emmanuel Macron (qui devrait présider dans les prochains jours une vidéoconférence des bailleurs de fonds afin d’aider le Liban le plus rapidement possible) au sujet de l’urgence des réformes. Preuve en est, le chef de l’État libanais a estimé que la double explosion de Beyrouth a mis fin au blocus imposé au Liban et ouvert la voie aux aides financières internationales. Or l’exigence de réformes pour le déblocage de toute aide structurelle est toujours d’actualité, même si une aide d’urgence sera adressée « au peuple libanais et à Beyrouth », comme l’avait souligné jeudi le président Macron.
Raad à la Résidence des Pins
À son tour, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a réagi hier tant à la tragédie de mardi soir qu’à la tournée d’Emmanuel Macron à Beyrouth et aux développements politiques sur la scène locale. Dans un discours retransmis en direct hier (voir par ailleurs), le numéro un du parti chiite a créé la surprise en se contentant de nier catégoriquement tout contrôle qu’exercerait sa formation sur le port de Beyrouth. Il n’a toutefois pas manqué d’adopter un langage condescendant à l’égard des médias, notamment ceux qui ont accusé le Hezbollah de stocker des armes au port. Selon lui, « ces médias veulent mener le pays à une guerre civile ». S’il a sciemment évité de plonger ouvertement dans un règlement de comptes politiques avec ses adversaires, Hassan Nasrallah a implicitement ciblé le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. Lors d’une conférence de presse à Clemenceau jeudi, le leader druze n’avait pas mâché ses mots en estimant qu’Israël mais aussi (l’axe de) la moumana’aa, dont fait partie le Hezbollah, « rient sous cape après l’explosion du 4 août ».
Réagissant à la visite éclair d’Emmanuel Macron à Beyrouth, le secrétaire général du Hezbollah a convergé avec Michel Aoun sur le refus de voir le dossier confié à une commission internationale d’enquête. Mais il s’est contenté de se féliciter des « aspects positifs » de la visite, laissant ainsi entendre que les aspects négatifs existent, mais que ce n’est pas le moment de s’y attarder.
Cette attitude de Hassan Nasrallah à l’égard du chef de l’Élysée ne peut s’expliquer que par le fait que la France continue à se distinguer du reste des membres du Groupe international de soutien au Liban (exception faite de la Chine et de la Russie) en reconnaissant le Hezbollah comme une composante politique libanaise, et en s’abstenant de le qualifier de « terroriste ». Preuve en est, Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, a pris personnellement part à la réunion qu’a tenue M. Macron avec les chefs de file des partis politiques, jeudi, à la Résidence des Pins. Une source bien informée confie dans ce cadre à L’OLJ que le président français n’a pas porté une feuille de route aux dirigeants libanais ni évoqué un changement du système politique en vigueur. Mais il les a exhortés à opérer les réformes et à « modifier le système » en harmonie avec les aspirations du peuple.
Selon notre informateur Mounir Rabih, le chef du PSP s’est livré à une critique contre la caste politique, y compris son propre parti. Dans les milieux proches de Moukhtara, on fait savoir que M. Joumblatt est revenu à la charge concernant l’appel à des législatives anticipées, mais aussi à une enquête internationale dans l’explosion du mardi. Un point sur lequel il a été rejoint par les chefs du Futur, Saad Hariri, des Kataëb, Samy Gemayel, et des Forces libanaises, Samir Geagea. Ces trois pôles de l’opposition ont également insisté sur la nécessité de mettre sur le tapis la question de l’arsenal du Hezbollah. Ils se sont naturellement heurtés au double veto de Mohammad Raad et du leader des Marada, Sleiman Frangié, qui s’est montré favorable à un cabinet d’union nationale présidé par Saad Hariri.
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C’est sûr que le bain de foule de Macron a complètement ringardisé des hommes politiques barricadés dans leurs palais. Tant ceux qui sont au pouvoir que ceux de « l’opposition ». Dire que Sleiman Frangié réclame le retour de Saad Hariri à la tête gouvernement. Laisse tomber, ils n’ont rien pigé.
Marionet
18 h 16, le 08 août 2020