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Économie - Propriété intellectuelle

Affaire Khalil Sehnaoui : pourquoi la récente décision d’un tribunal est novatrice

Le Liban fait partie des pays les moins fiables en termes de lutte contre le piratage ou de protection des données.

Affaire Khalil Sehnaoui : pourquoi la récente décision d’un tribunal est novatrice

La loi libanaise doit être adaptée pour répondre aux enjeux, notamment économiques, de la lutte contre le piratage informatique. Philippe Huguen/AFP

La réactivité de la justice et les moyens dont elle dispose pour faire face aux enjeux de la protection des données et de la lutte contre le piratage informatique figurent parmi les principaux handicaps du Liban. Ce qui fait du pays du Cèdre un mauvais élève dans ces domaines aux enjeux économiques majeurs – le manque à gagner dans le monde se chiffre en dizaines de milliards de dollars.

Dans ce contexte, un récent jugement rendu par un tribunal pénal de Beyrouth a amorcé un changement dans le bon sens, même s’il ne constitue pour l’instant qu’un simple nouvel apport dans la jurisprudence libanaise.Rendu le 23 juillet dernier par la juge unique au pénal, Fatima Jouni, la décision prise en première instance concerne l’affaire du piratage ainsi que le vol de données contenues sur des sites web appartenant aux Forces de sécurité intérieure, de la Sûreté générale et du département de la Sécurité de l’État. Une infraction détectée par le fournisseur d’accès à internet IDM (IncoNet-Data Management S.A.L.), qui a porté plainte en juin 2018 visant trois protagonistes : Khalil Sehnaoui, cofondateur d’une entreprise de cybersécurité, ainsi que deux jeunes hackers, Ihab Chamas et Rami Sakr.

« Les services de sécurité d’IDM ont identifié les intrusions avant de passer le message à la section des renseignements. Ihab Chamas et Rami Sakr ont été arrêtés. Durant les interrogatoires, ils ont avoué avoir été à l’origine d’autres attaques sur des sites appartenant au gouvernement et ont impliqué Khalil Sehnaoui », se souvient une source proche du dossier. Les trois hommes ont été condamnés à quatre ans et demi de prison et 800 000 livres libanaises d’amende chacun. Ihab Chamas et Rami Sakr sont en outre contraints de verser la somme de 300 millions de livres à IDM en guise de dommages et intérêts. Le jugement n’explique d’ailleurs pas pourquoi Khalil Sehnaoui n’a pas également été condamné à participer au paiement de cette somme.

Vol et propriété intellectuelle

Si les trois hommes ont prévu de faire appel de cette décision – Khalil Sehnaoui a même fait une déclaration publique dans ce sens –, le verdict de la juge a en revanche été très bien accueilli par IDM. « Pour la première fois, la justice a pris des mesures très fermes contre le piratage informatique, en émettant un jugement avec des peines de prison conséquentes. C’est un exemple très réussi de coopération entre le secteur privé, la justice et les services de sécurité libanais », a réagi une source anonyme proche de la société.

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Pour l’avocate Joëlle Bou Abboud Rouillard, spécialisée en droit de la propriété intellectuelle, la juge a même fait preuve de « courage et de progressisme » en prenant une décision qui appréhende une réalité – le piratage – face à laquelle le droit libanais est mal adapté. « Le piratage informatique n’est pas reconnu en tant que tel par la loi comme un délit ou un crime.

Il peut néanmoins être sanctionné indirectement dans le cadre de la loi n° 75 du 3 avril 1999 sur la propriété intellectuelle, dont l’article 86 cible toute personne qui a commis, en connaissance de cause et dans un but lucratif, une atteinte ou une tentative d’atteinte à n’importe quel droit d’auteur », expose l’avocate. La peine prévue est de trois ans de prison pour une amende pouvant aller de 5 à 50 millions de livres.

Mais la juge a été plus loin, poursuit Me Abboud Rouillard, en se basant également sur l’article 653 du code pénal qui définit le vol. « Au-delà de l’intentionnalité, qui est un des éléments constitutifs clés de l’infraction, la loi considère que le vol doit viser des biens meubles, mais ne précise pas s’ils sont matériels ou pas. La jurisprudence admet dans la majorité des cas le caractère matériel de la chose volée, à part pour l’énergie. Or la juge a considéré que rien n’empêchait que le bien meuble sujet à un vol soit immatériel, vu que la loi ne le distingue pas, et a donc reconnu que les informations sur un site qui sont protégées par les droits d’auteur pouvaient donc faire l’objet d’un vol, le piratage n’étant alors qu’un moyen d’y parvenir et non l’infraction en soi », note-t-elle encore.

« Watch list »

Il reste que le jugement a de grandes chances d’être infirmé en appel. « Lors d’une procédure au pénal, quand l’infraction peut être qualifiée en fonction de deux textes, un général (droit pénal) et un spécifique (droit d’auteur), le juge prend en compte le second pour qualifier l’acte. Il est donc très possible que la juridiction d’appel suive cette logique pour casser la décision en première instance. Mais elle aura fait jurisprudence, ce qui est un bon point de départ pour relancer le débat sur le plan du droit », conclut l’avocate.Même avant le début de la crise économique et financière qu’il traverse depuis un an, le Liban fait partie des pays les moins fiables en termes de protection de la propriété intellectuelle ou de lutte contre le piratage informatique.

Les États-Unis par exemple l’incluent toujours dans la liste des pays à surveiller dans le dernier rapport annuel sur l’état de la protection de la propriété intellectuelle chez ses partenaires commerciaux, mis à jour en avril. Selon cette étude réalisée par la représentation spéciale américaine au commerce extérieur (USTR), cette « watch list » regroupe 23 pays cette année qui doivent renforcer la protection de la propriété intellectuelle à l’intérieur de leurs frontières. Le « Special 301 Report » inclut une autre liste, la « Priority Watch List », qui rassemble une dizaine de pays jugés très défaillants. Le Liban est très vulnérable en matière de cybersécurité, faute d’une stratégie nationale dûment mise en œuvre.

La réactivité de la justice et les moyens dont elle dispose pour faire face aux enjeux de la protection des données et de la lutte contre le piratage informatique figurent parmi les principaux handicaps du Liban. Ce qui fait du pays du Cèdre un mauvais élève dans ces domaines aux enjeux économiques majeurs – le manque à gagner dans le monde se chiffre en dizaines de milliards de...

commentaires (3)

Sincèrement le titre de cet article est provocateur et erroné. Si "affaire" il y a, trois personnes sont citées dans les faits, je ne comprends donc pas pourquoi le nom de Monsieur Sehnaoui est à la une. Est-ce pour des raisons de Marketing? Des raisons politiques car ce nom est plus vendeur? Quoiqu'il en soit, l'OLJ nous a habitués à des articles mieux renseignés. A ma connaissance, Monsieur Sehnaoui ne fait l'objet que d'une action publique et non d'une plainte d'une partie civile comme stipulé dans cet article. Merci.

Jallad Marilyne

17 h 38, le 04 août 2020

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Commentaires (3)

  • Sincèrement le titre de cet article est provocateur et erroné. Si "affaire" il y a, trois personnes sont citées dans les faits, je ne comprends donc pas pourquoi le nom de Monsieur Sehnaoui est à la une. Est-ce pour des raisons de Marketing? Des raisons politiques car ce nom est plus vendeur? Quoiqu'il en soit, l'OLJ nous a habitués à des articles mieux renseignés. A ma connaissance, Monsieur Sehnaoui ne fait l'objet que d'une action publique et non d'une plainte d'une partie civile comme stipulé dans cet article. Merci.

    Jallad Marilyne

    17 h 38, le 04 août 2020

  • Jugement impartial reste à voir, Khalil Sehnaoui est connu pour ses positions anti-milice illégale ..il s’agit selon moi d’un règlement de comptes de ceux qui monopolisent la décision du soit disant état. Comme par hasard cela s’applique aussi au propriétaire des fermes Schoumen qui est aussi connu pour ses positions anti-milice, Le jour où des pro 8 Mars seront condamnes de la sorte alors là oui on pourra dire que la justice est plus ou moins indépendante.

    Liban Libre

    13 h 42, le 04 août 2020

  • En tant que fournisseur d'accès et d'hébergement de services informatiques, IDM doit protéger les données. Ils ont clairement failli à cette obligation et au lieu de poursuivre un hacker (éthique, mais non-invité) qui n'a pas profité à tort des données, ils doivent plutôt renforcer leurs procédures. Au pénal, un élément important est l'intention, et la juge a été très dure avec 4.5 ans de prison... L'amende de 800000... soit... mais toute la procédure ne fait que cacher l'incurie et le manque de professionnalisme d'IDM

    Tanios Kahi

    10 h 25, le 04 août 2020

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