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Le foie de Prométhée

Je me demande s’ils ont un balcon, au palais de Baabda; si quelque fenêtre du Sérail donne sur la ville, si du Parlement… mais où se trouve-il, le Parlement ? Et si celui, qui d’un lieu sous terre hante ces lieux-là, pouvait voir l’ombre crépusculaire qui s’abat sur le pays, l’obscurité qui efface et dévore la ville, plus dense qu’elle ne l’a jamais été même au plus fort des guerres, terriblement silencieuse aussi, les générateurs eux-mêmes déclarant forfait. Je me demande ce que cela leur fait de lire cette déclaration du directeur de Save the Children qui nous écorche vifs : « Nous commencerons à voir des enfants mourir de faim avant la fin de l’année »…

Sur quoi, sur qui règnent-ils ? Avec quel argent est rémunérée leur vacuité ? Est-il seulement venu à l’idée de l’un d’eux de faire don de son salaire indu, ajouté à toutes les affaires et commissions que permet de flairer leur enrichissement spectaculaire depuis qu’ils sont au pouvoir ? À présent que le festin est fini, qu’il ne reste même plus un os à rogner sur le dos de la bête que nous avons nourrie de notre sang, de notre sueur et de nos larmes versées pour leurs aventures inconsidérées, pour leurs petites vengeances personnelles, leurs expériences d’apprentis sorciers, leur voracité de fats que quelques flatteurs décérébrés, et un accès illimité aux biens publics, ont transformés en roitelets d’opérette… pourquoi s’accrochent-ils donc au pouvoir ? Le moment n’est-il pas venu pour eux qui semblent, l’âge aidant, au bout de leurs prouesses avec les résultats que l’on sait, de quitter enfin la scène ? Et qu’ont-ils à dire pour leur défense, face à ce désastre que l’ennemi le plus enragé n’a jamais osé concevoir ? Qu’ont-ils à dire pour répondre, devant ceux qui se sont résignés à leur accorder leur confiance, de leur incapacité à comprendre le sens du collectif et du bien commun, les notions de développement et de progrès sans lesquels un pays n’est qu’un lieu de passage ?

Au lendemain de la guerre, des investisseurs européens, comme nous bercés d’illusions, nous disaient avec enthousiasme que cette terre, tout autant que la porte d’entrée de l’Orient, en était la séduisante vitrine. Ici était le précieux élément humain, formé dans les meilleures universités de la région, instruit par la diversité si propre à notre tissu social, parlant toutes les langues avec celle des mains et du cœur, ouvert à tous les faits de culture, agile, conciliant, embrassant le monde de toute la vastitude des baies, de toute la hauteur des sommets du Liban, avide d’accueillir l’étranger après tant d’années de solitude.

Qu’est-ce qui, dans l’esprit de ces présidents, chefs de parti, de clan, de tribu et autres troupeaux que nous traînons comme des boulets depuis plus de trente ans, a pu traduire les mots « porte » et « vitrine » en « décharge » et « essuie-pieds » ? Car le voilà bien, le pays livré à nos enfants par leurs bons soins: un lieu où le ressac dépose tout ce que la région vomit de boues haineuses, de poisons, de cristallisation confessionnelle et communautaire, de frustration et de malheurs. Leur pardonnerons-nous jamais d’avoir fait de cette crasse leur unique fonds de commerce, l’unique source de leur légitimité et de leur pouvoir ? Leur pardonnerons-nous d’avoir de surcroît et sur le dos de leurs communautés naïves, conclu sous les hostilités de façade des amitiés de larrons ?

L’argent n’est rien, nous a-t-on appris dès l’enfance. L’argent, comme l’eau, s’épuise et puis revient. Si le manque nous est aujourd’hui douloureux, si la peur de la contagion en rajoute une couche, c’est surtout le sentiment d’abandon qui nous est le plus cruel. Coulé à pic dans un naufrage crapuleux, notre Titanic a laissé place à un vaisseau fantôme dont nul ne tient le gouvernail. Pas l’ombre d’un secours à l’horizon : qui et quoi secourir ? Les spectres qui nous servent d’amiraux préfèrent poursuivre leur errance pirate plutôt qu’accepter des aides contraignantes qui nous libéreraient, malheureux otages, de leur hubris déchaînée. Aujourd’hui, ils menacent les pays donateurs de pousser vers leurs frontières les réfugiés syriens, quand la misère sera trop insupportable. Demain, ils se serviront peut-être des Libanais eux-mêmes dans ce chantage immonde. Quand il n’y a plus rien à gratter, on creuse dans la chair et cette ressource-là, comme le foie de Prométhée, est inépuisable. Certains d’entre nous ont déjà choisi le départ. Les derniers n’auront même pas à éteindre la lumière.

Je me demande s’ils ont un balcon, au palais de Baabda; si quelque fenêtre du Sérail donne sur la ville, si du Parlement… mais où se trouve-il, le Parlement ? Et si celui, qui d’un lieu sous terre hante ces lieux-là, pouvait voir l’ombre crépusculaire qui s’abat sur le pays, l’obscurité qui efface et dévore la ville, plus dense qu’elle ne l’a jamais été même au plus fort...

commentaires (16)

Bravo bravo toutes mes félicitations pour ce magnifique ARTICLE On nous a dit que ceux qui ne sont pas content non qu à Émigrer ,mais nous les Émigrés qui sont venus vivre quelques jours avant notre mort dans notre si beau Pays ( il était et est toujours mais économiquement malade et je penses incurable ) que devons faire . Doit t on le quitter le Pays de nos Ancêtres et que nous repartons à l’aventure et nos enfants et petits enfants nous MAUDIRONS car nous avons abandonnés notre Patrie et ils seront Apatrides De grâce ceux qui peuvent rester doivent rester pas pour nous mais pour les générations futures .N abandonnons notre si beau et magnifique Pays Les Pays d E migrations malgré tout ce qu ils peuvent nous donner nous serons toujours des Etrangers et ce n est qu après plusieurs années et génération et en changeant de N O M qu on seras acceptés et mélangés dans la masse Je suis FILS D Émigrés et je parle en connaissance de cause Albert. F A H D

Albert Fahd

19 h 23, le 02 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (16)

  • Bravo bravo toutes mes félicitations pour ce magnifique ARTICLE On nous a dit que ceux qui ne sont pas content non qu à Émigrer ,mais nous les Émigrés qui sont venus vivre quelques jours avant notre mort dans notre si beau Pays ( il était et est toujours mais économiquement malade et je penses incurable ) que devons faire . Doit t on le quitter le Pays de nos Ancêtres et que nous repartons à l’aventure et nos enfants et petits enfants nous MAUDIRONS car nous avons abandonnés notre Patrie et ils seront Apatrides De grâce ceux qui peuvent rester doivent rester pas pour nous mais pour les générations futures .N abandonnons notre si beau et magnifique Pays Les Pays d E migrations malgré tout ce qu ils peuvent nous donner nous serons toujours des Etrangers et ce n est qu après plusieurs années et génération et en changeant de N O M qu on seras acceptés et mélangés dans la masse Je suis FILS D Émigrés et je parle en connaissance de cause Albert. F A H D

    Albert Fahd

    19 h 23, le 02 août 2020

  • STOP! Vous semblez rejeter toute la faute sur nos hommes politiques. Vous oubliez, tout le monde oublie, les véritables coupables. Ceux qui ont permis à cette clique de venire et de rester au pouvoir. C’est à dire nous. Le Peuple Libanais. C’est chacun d’entre nous qui a vendu sa voix pour une poignée de dollars, ou au pire dans l’ espoir que l’"élu" nous rendra peut-être un service pour une formalité, un emploi de fonctionnaire, voire un litige avec notre voisin. Oui, les véritables coupables ce sont nous, qui avons toujours manqué de sens civique. Nous qui nous sentons perdus dès que nous nous éloignons de notre nombril. Oui nous sommes coupables. Ou du moins complices...

    Gros Gnon

    11 h 53, le 31 juillet 2020

  • Je ne me hasarderai plus à faire de commentaires dans aucune de vos rubriques- Attendu qu'ils ne seront pas publiés qu'elle que soit leur neutralité- Dommage que je ne puisse plus suivre votre quotidien dont l'intelligence, et la valeur journalistique et la qualité de vos journalistes ont tojours fait mon admiration- Dommage pour la censure-Merci

    Halimi Armand

    07 h 30, le 31 juillet 2020

  • EXCELLENT! Bravo! Je crois que ces mots réveilleraient un mort mais pourrez-ils réveiller la conscience de ces monstres venus d’enfer qui nous gouvernent depuis si longtemps?

    Fady Abou Hanna

    03 h 58, le 31 juillet 2020

  • Je n’arrête pas de lire et de relire votre article très chère Fifi et à chaque fois j’ai la chair de poule et ça me rafraîchit par cette canicule. Comme on dit si le Liban avait une mère elle le pleurerait. Vous êtes formidable et oh combien patriote. Même si je ne vous connais pas. Je vous embrasse vous qui embrassez à chacun de vos articles la cause de ce pays et parler de lui et de sa souffrance comme personne. Ça nous met du baume au cœur malgré nos larmes.

    Sissi zayyat

    18 h 37, le 30 juillet 2020

  • Je hurle mon chagrin et mon desespoir avec vous Fifi

    Houri Ziad

    17 h 31, le 30 juillet 2020

  • Tout ça est tellement vrai que ça me fait mal au cœur et j’ai juste envie de pleurer. Ils nous ont muselé sans pitié, sans électricité ... sans... sans ... sans rien à se mettre sous la dent bientôt. 1/2 millions d’enfants libanais syriens peu importe mourront de faim d’ici la fin de l’année en 2020 au Liban?? Qu’est devenue la Thawra ?? On attend quoi pour redescendre dans la rue ?? Vaut mieux mourir dans la dignité d’un peuple valeureux plutôt que de faim, c’est là qu’ils nous emmènent ces vermines ... et j’insulte les vermines là ????

    Khoury-Haddad Viviane

    15 h 04, le 30 juillet 2020

  • CHAPEAU BAS ON N'AURAIT JAMAIS PU ECRIRE MIEUX MERCI FIFI

    LA VERITE

    14 h 58, le 30 juillet 2020

  • Très fort! Merci Fifi...... Il faut reconnaître qu'on a là un état un aahed et une classe politique tellement forts qu'ils ont même dépassé les ruines de Baalbeck pour produire les ruines du Liban tout entier!!

    Wlek Sanferlou

    13 h 36, le 30 juillet 2020

  • Ce cri déchirant venant des tripes est une prière pour tous ceux qui se sont résignés à accepter le pire. Si les citoyens ont encore un dernier souffle, il faut qu’ils le rendent dans les rues pour arrêter ce massacre sans nom et aller défendre avec leurs ongles, leur rouleaux pâtissiers et tout ce qu’ils peuvent avoir comme ustensiles pour récupérer leur dignité et leur souveraineté mais d’abord et en premier lieu, LEUR NATION. LE LIBAN SE MEURT ET SON PEUPLE AVEC . QU’ATTENDONS NOUS POUR RÉAGIR?

    Sissi zayyat

    12 h 30, le 30 juillet 2020

  • ""Certains d’entre nous ont déjà choisi le départ. Les derniers n’auront même pas à éteindre la lumière.""...................... Nous sommes dans l’impasse. Le départ, mais vers où ? Partez, déclarait un haut perché, et qu’après lui le déluge. Il fait sombre, même très noir, mais jamais dans notre cœur. On connaîtra un jour la prospérité. On nous a fait comprendre il y a longtemps qui nous sommes : un pays pauvre, avec une jeunesse au potentiel extraordinaire. Un pays pauvre n’exporte que sa force vive. J’ai le cœur lourd, et je m’attends à une mauvaise nouvelle. J’écoute en boucle, pour me consoler, ""Quand on est pauvre, c’est pour toujours"", de Serge Lama. Il a raison le chansonnier, on n’échappe pas à sa condition. C.F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 17, le 30 juillet 2020

  • "L’argent n’est rien, nous a-t-on appris dès l’enfance" Oui, mais certains ont compris de travers: l'argent, pour eux, c'est tout, quelle que soit la méthode utilisée pour le gagner, ou plutôt pour le voler...Ceux-là sont devenus des hommes politiques, des dirigeants, ou des mafieux, ou les trois ensemble!

    Georges MELKI

    09 h 58, le 30 juillet 2020

  • Excellent!

    Chaya Caline

    09 h 38, le 30 juillet 2020

  • "Certains d’entre nous ont déjà choisi le départ. Les derniers n’auront même pas à éteindre la lumière." On ne peut mieux dire.

    Christian Rafie

    08 h 38, le 30 juillet 2020

  • on n'a pas besoin de lumière pour se révolter;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    08 h 06, le 30 juillet 2020

  • TRES TRES BIEN DIT. NOUS AVONS ETE ET NOUS SOMMES GOUVERNES PAR DES CLIQUES DE MAFIEUX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 28, le 30 juillet 2020

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