Bachir, propriétaire d’un restaurant à Hamra depuis dix ans, est consterné. Il s’attendait à un retour des clients pour la fête de l’Adha, demain, mais ses plans sont tombés à l’eau avec le reconfinement imposé pour enrayer la propagation du coronavirus. « C’est une semaine de fête et on comptait là-dessus pour reprendre un peu nos activités. De plus, nous sommes en plein dans la haute saison, mais nous arrivons à peine à travailler, déplore ce trentenaire. Dans notre secteur, nous faisons la plus grande partie de notre chiffre d’affaires en août, septembre et décembre. Or, nous avons suspendu nos activités pendant la moitié de l’année », ajoute-t-il, à l’heure où le pays se confine à nouveau, à partir d’aujourd’hui.
Cafés et restaurants font partie des secteurs obligés de fermer à partir de ce matin et jusqu’au 3 août. Ils seront autorisés à reprendre leurs activités les 4 et 5 août avant de fermer à nouveau du 6 au 10 août. Seule lueur : les autorités sont revenues sur leur décision d’interdire les services de livraison, qui seront finalement autorisés de 6h à 20h pendant les périodes de reconfinement.
« Nous avions à peine commencé à reprendre le travail qu’on nous oblige maintenant à refermer », s’indigne également le gérant d’un café beyrouthin, sous le couvert de l’anonymat. Il s’interroge sur le bien-fondé de la décision de rouvrir les commerces les 4 et 5 août pour les refermer à nouveau le 6. « On se paie notre tête avec ces deux jours de réouverture, c’est pour faire taire les restaurateurs et les commerçants, et pour étouffer les manifestations. Ouvrir deux jours ne sert à rien, il faut au moins deux mois pour reprendre un train de travail normal dans notre métier et au moins huit mois pour commencer à couvrir nos pertes », indique-t-il à L’Orient-Le Jour. Mis à part ses cafés et restaurants, Beyrouth compte de nombreux bars qui ont dû, pour leur part, arrêter de servir leurs clients depuis mardi, à la demande des autorités. Bars et boîtes de nuit ne bénéficieront pas non plus de la parenthèse des 4 et 5 août et resteront fermés jusqu’au 10 août. « Je risque d’enregistrer plus de 30 % de pertes avec ce reconfinement. En même temps, impossible de trop hausser les prix des boissons, car je risque de perdre mes clients », déplore Mohammad Chawki, propriétaire d’un bar. « Pour couvrir les dépenses et commencer à réaliser des profits dans un bar, il faut un bénéfice de 500 % par verre », explique Mohammad à L’OLJ. « Avec la crise et l’inflation, nous arrivons à peine à gagner 200 % par boisson vendue, ce qui n’est pas suffisant pour couvrir nos dépenses. Le verre de whisky était à 15 000 LL avant l’inflation. Si on calcule en fonction de la dévaluation de la livre libanaise, il devrait passer à 40 000 LL, mais nous le vendons à 20 000 LL pour ne pas perdre les clients, même si nous perdons de l’argent », souligne le propriétaire du bar qui avoue avoir dû jeter de la nourriture stockée chez lui en raison du prochain reconfinement.
« Au moins 30 % de pertes »
À l’autre bout de la ville, le quartier commerçant de Badaro qui compte plusieurs restaurants, cafés, bars et commerces vit également la nouvelle du reconfinement avec un certain désespoir. Les deux jours de déconfinement ne convainquent pas non plus les commerçants. « Ces deux jours sont pires que le reste du confinement, puisqu’ils vont nous coûter en produits et en main-d’œuvre. Il aurait mieux valu confiner sans coupure, pour pouvoir en profiter aux niveaux sanitaire et économique. Toutefois, nous serons obligés de rouvrir parce que nous ne voulons pas que nos clients pensent que nous avons définitivement mis la clé sous la porte », confie la gérante d’un restaurant du quartier. « Depuis la pandémie, nous enregistrons au moins 30 % de pertes. Le problème est que, même durant le confinement, nous continuons à payer le loyer, les salaires et l’abonnement au générateur, car nous avons des appareils qui doivent rester branchés. Ceux qui continuent à travailler dans ce secteur prennent des risques parce qu’ils ne veulent pas congédier leurs employés », explique la jeune femme.
Fouad Zeinoun, 50 ans, gère une boulangerie à Badaro depuis 20 ans, mais c’est la première fois qu’il avoue être dans l’impasse. « Je n’étais même pas en train de gagner de l’argent pour en perdre à cause du reconfinement. Tout ce que je gagnais, je le dépensais pour payer le loyer et l’électricité », indique-t-il à L’OLJ. « Ça ne sert à rien d’ouvrir pour deux jours, puis de refermer. De toute manière, j’ai dû attendre deux semaines la dernière fois pour que les clients se mettent à revenir », lâche-t-il.
Denise, elle, est propriétaire d’une boutique de vêtements dans la rue principale de Badaro et ne compte pas non plus rouvrir les 4 et 5 août, « parce que cela ne sert à rien », selon elle. « J’ai fermé pendant 4 mois et j’ai rouvert il y a un mois. Je n’ouvrirai pas pour deux jours parce que de toute manière je suis là pour passer le temps, je ne vends presque rien depuis des mois », déplore-t-elle. « Heureusement que je n’ai pas de loyer à payer ni pour mon magasin ni pour mon appartement. Je n’ai pas augmenté mes prix, car je sais que le pouvoir d’achat est en baisse, mais les fournisseurs me demandent de les payer en cash au taux de 9 000 LL pour un dollar », confie Denise. « Je n’ai même pas employé un professionnel pour décorer ma vitrine. Il me demande 100 dollars et ce n’est pas le moment », soupire-t-elle.
Azmi Qawwas, la soixantaine, vend pour sa part des objets décoratifs depuis 30 ans à Hamra. Il passe le plus clair de sa journée seul dans son magasin, les clients se faisant de plus en plus rares. « Le reconfinement ne m’affectera pas, parce que je ne vends rien depuis la crise du dollar. D’ailleurs, je ne compte pas rouvrir les 4 et 5 août », explique-t-il à L’OLJ, désabusé. « Je n’ai jamais vu une situation aussi catastrophique, même durant la guerre. Les gens avaient de l’argent à l’époque et je gagnais bien ma vie. Maintenant, je viens ici juste pour tuer le temps. »
commentaires (6)
Ils sont bien mal lotis avec la pandémie, ils ont des employés et des loyers à payer, mais il ne peuvent pas tourner à leur pleine capacité, et donc pas faire de stock mais improviser au grès des caprices des devises et de l''électricité. Un des métiers les plus difficiles en ce moment. Respect.
Christine KHALIL
18 h 49, le 30 juillet 2020