Les dirigeants libanais n’ont de toute évidence pas compris le but de la visite du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, la semaine dernière à Beyrouth, ni le message que ce dernier leur a fait parvenir. Et pourtant, son discours était d’une simplicité presque désarmante : pas de réformes sérieuses, pas d’aides ; nous voulons voler à votre secours, mais vous devez commencer par vous aider vous-mêmes.
Moins de quarante-huit heures après le départ de M. Le Drian de Beyrouth vendredi, le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi s’est dit, sans ambages, « déçu » par cette visite que le patron du Quai d’Orsay aurait pu, selon lui, « remplacer par un appel téléphonique pour exprimer son point de vue ». Deux jours plus tard, c’est au tour du Premier ministre Hassane Diab de faire part d’un certain mécontentement. Selon lui, la visite de M. Le Drian « n’a rien apporté de nouveau » et montre « une volonté internationale de ne pas aider le Liban ».
« La visite du ministre français des Affaires étrangères n’a rien apporté de nouveau. Il manquait d’informations concernant le processus de réformes du gouvernement. Le fait qu’il ait lié toute aide au Liban à la concrétisation de réformes et à la nécessité de passer par le Fonds monétaire international (FMI) confirme qu’il y a toujours une décision internationale de ne pas aider le Liban », a déclaré M. Diab à l’ouverture du Conseil des ministres dans la matinée.
Ce qui est effarant dans la déclaration du chef du gouvernement, c’est que non seulement elle déforme le discours que le chef de la diplomatie française a tenu à propos du Liban, aussi bien à Paris qu’à Beyrouth, mais elle révèle l’ampleur du déni dans lequel les autorités libanaises restent plongées, tout en occultant un point fondamental, à savoir que les réformes et un changement radical de la gouvernance sont avant tout une des principales revendications des milliers de Libanais qui ont investi la rue depuis le 17 octobre 2019.
Ce que le Premier ministre a aussi occulté, c’est que l’appel à des réformes sérieuses pour un déblocage des aides internationales au Liban est une exigence qui remonte au moins à la conférence de Paris (CEDRE, 2018), c’est-à-dire bien avant l’effondrement financier et économique du Liban, lorsqu’à l’initiative du président français Emmanuel Macron, les bailleurs de fonds internationaux s’étaient réunis pour discuter des moyens d’aider le pays après l’épisode mouvementé de la démission de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, depuis Riyad.
Or depuis, et au fil des crises que le Liban a connues, la communauté internationale, dont la France, n’a pas arrêté de rappeler à Beyrouth qu’il ne lui était plus possible de compter sur un soutien financier des gouvernements amis sans changer au préalable un fonctionnement fait de clientélisme, de corruption et de neutralisation des institutions publiques au profit d’une poignée de partis qui pensent pouvoir faire la pluie et le beau temps.
Qu’attendait, au juste, le gouvernement de la visite de Le Drian ? Peut-être l’annonce d’une réunion extraordinaire du Groupe international de soutien au Liban (GIS), ironise une figure de l’opposition qui estime qu’un Premier ministre « qui pense sérieusement que son équipe a réalisé à 97 % de ses promesses de réformes peut difficilement comprendre des remarques telles que celles formulées par Jean-Yves Le Drian ». De sources ministérielles, on indique que les commentaires du Premier ministre reflètent son propre point de vue et ne représentent pas celui du gouvernement qui n’a pas abordé, durant sa réunion hier, la visite du responsable français. Hassane Diab « pensait que celle-ci allait être plus fructueuse et déboucher sur du concret », indique-t-on de mêmes sources, sans donner davantage de précisions, tout en soulignant « la volonté du gouvernement d’engager des réformes »...
Le Drian connaît le Liban depuis 1978
Durant ses entretiens à Beyrouth, Jean-Yves Le Drian n’avait pas mâché ses mots, en insistant sur l’urgence, pour le Liban, de s’engager sur la voie de réformes « attendues depuis trop longtemps ». Il avait notamment insisté sur l’importance d’un audit de la Banque du Liban, ainsi que d’une réforme du secteur de l’électricité et de la justice. Parallèlement à ses entretiens officiels, il avait discuté avec un groupe de représentants de la société et des figures du mouvement du 17 octobre, dont les points de vue rejoignent ceux de la France quant au diagnostic du mal libanais et aux sorties de crise possible.
Une première lecture du bilan dressé par Hassane Diab de la visite de M. Le Drian suggère l’absence de volonté d’engager des réformes structurelles sérieuses et un aveu d’impuissance caché sous des reproches infondés. Dans les milieux diplomatiques français, on s’abstient, jusqu’à présent, de tout commentaire sur les propos du Premier ministre. À Paris, de sources proches de la délégation qui avait accompagné le chef du Quai d’Orsay, on se contente de souligner que certains députés français « connaissent bien le Liban, comme les Libanais et comme Jean-Yves Le Drian qui vient au pays du Cèdre depuis 1978, quand il était encore jeune député ». Une façon de dire qu’il n’est pas possible de tromper les responsables français.
Au lendemain de la visite du chef de la diplomatie française, un message-bilan a été posté sur sa page Facebook par Gwendal Rouillard, député de Lorient, proche collaborateur de M. Le Drian et membre de la commission de la Défense nationale et des Forces armées. M. Rouillard, qui faisait partie de la délégation française accompagnant Jean-Yves Le Drian à Beyrouth et qui est marié à une Libanaise, est un vieil ami du pays qu’il connaît très bien depuis vingt ans. Le message, qui a été largement partagé par les Libanais qui s’y sont identifiés, récapitule sur un ton sévère les principaux points développés par Jean-Yves Le Drian devant ses interlocuteurs libanais. S’il rappelle la feuille de route que les autorités devraient suivre pour une sortie de crise, il souligne dans le même temps la responsabilité du peuple qu’il appelle à « mettre une pression maximale sur l’ensemble des dirigeants du pays et sur la “majorité” parlementaire : CPL, Hezbollah, Amal, PSNS ». Dans son message, M. Rouillard emploie des mots forts en évoquant la situation au Liban, « un pays en danger de mort ». Il parle « d’incurie », de « situation criminelle à l’égard des Libanais », et insiste sur le fait que « sans réformes, nous n’accorderons aucune aide à un système fait d’incompétences, de corruption et de manipulations ». Et pour cause : une aide fournie à un système pareil ne fera que le nourrir au détriment de la population qui en pâtit.
« Durant nos entretiens à Beyrouth, nous avons mis des mots sur une réalité connue de tous. Il faut faire en sorte que les Libanais puissent avoir la capacité de bâtir un “nouveau” pays et de traduire par les actes le mot “souveraineté”. Nous ne le ferons pas à leur place », explique à L’Orient-Le Jour Gwendal Rouillard, en ajoutant que c’est parce qu’il se considère comme étant l’ami du Liban que le chef de la diplomatie française « se permet de dire les choses telles qu’elles sont », mû par une volonté franche d’aider le pays.
Les propos du député français trahissent une déception ressentie face à la fuite en avant continue des dirigeants libanais qui essaient, malgré la crise, de dissimuler les dysfonctionnements qui se posent en obstacles à toute réforme. « Ces derniers savent que nous savons. Ils nous disent qu’ils veulent réaliser des réformes, mais qu’ils les fassent ! Qu’est-ce qu’ils attendent ? » lance-t-il encore.
Démasquer une imposture
Comme le relève la source parisienne, quelque part la visite de Jean-Yves Le Drian à Beyrouth devait aider à « démasquer une imposture ».
Gwendal Rouillard qui tient un langage plus diplomatique reste, toutefois, aussi intransigeant sur la question des réformes. « Pour les réformes, la priorité va à la reprise des négociations avec le FMI. Il n’existe pas de plan B car le pays est en défaut de paiement et les créanciers attendent des réponses », ajoute-t-il, en référence au plan présenté par la Banque du Liban et l’Association des banques dont il estime qu’il s’inscrit dans le cadre d’un « déni profond ». « Si je dois résumer la position de la France par rapport à ce qui se passe au Liban, ce serait : soit le sursaut, soit le chaos », poursuit le député en affirmant que si la délégation française s’est permis d’utiliser ces mots à Beyrouth, « c’est pour réveiller les consciences et parce que le danger d’un chaos prochain est réel ».
M. Rouillard critique « une stratégie de contournement permanent » qui consiste à vider de leur sens des mesures pourtant essentielles au niveau des réformes. On peut avancer l’exemple du projet de loi sur la mise en place de l’autorité de régulation du secteur de l’électricité. Celle-ci est censée elle-même gérer le secteur et prendre les décisions qui s’imposent pour réduire son déficit et le mettre sur les rails d’un redressement. Or, le texte élaboré l’ampute de ses principales prérogatives et en fait une autorité consultative sans pouvoirs réels. Le député français insiste sur le fait que des décisions difficiles doivent être prises pour amorcer un début de sortie de crise, bâtir un « État moderne », un nouveau modèle économique, social et écologique, une justice indépendante, et critique un « règne de l’impunité ».
commentaires (22)
Il attendait le père Noël, quelle honte absolue ce type.
Christine KHALIL
23 h 30, le 29 juillet 2020