La tension entre le Liban et Israël a dégénéré hier en une escalade militaire qu’on pouvait prévoir. Après la mort d’un combattant du Hezbollah, Ali Kamel Mohsen, tué le 20 juillet dernier dans un raid israélien en Syrie, le pays retenait son souffle, s’attendant à une riposte du parti chiite. C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu hier des bombardements à la frontière israélo-libanaise. Toutefois, pendant les heures qui ont suivi cette flambée de violence à la frontière, la confusion était totale. Israël a ainsi fait état d’une tentative d’infiltration d’une « cellule terroriste » composée de « trois ou quatre attaquants qui ont franchi de quelques mètres la ligne bleue ». Le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, a indiqué que l’armée israélienne a déjoué « une opération de sabotage » du Hezbollah dans le secteur de Jabal el-Rouss, dans le secteur des fermes occupées de Chebaa. « Le feu a été ouvert en leur direction et leur opération a été avortée », a-t-il ajouté. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a commenté de manière bien plus grave les événements de l’après-midi. « Nous sommes dans une situation très compliquée », a-t-il affirmé dans un premier temps, selon le quotidien israélien Haaretz, soulignant dans une déclaration que « l’armée est prête à tous les scénarios ». Plus tard, vers 20h30, il a affirmé dans une conférence de presse que le Hezbollah « joue avec le feu », lui faisant assumer, ainsi qu’au gouvernement libanais, « la responsabilité de toute attaque qui sortirait du territoire libanais ». « Notre réaction sera très forte », a-t-il prévenu.
Tir d’un missile Kornet ?
Pour sa part, c’est seulement vers 19h, soit près de trois heures après les faits, que le commandement du Hezbollah est sorti de son silence. « Aucun tir n’a été effectué par la résistance aujourd’hui. Les tirs proviennent d’une seule source, à savoir l’ennemi apeuré, inquiet et tendu », souligne un communiqué de la Résistance islamique. « Il semble que la terreur ressentie par l’armée d’occupation sioniste (…), sa grande inquiétude d’une riposte de la résistance à l’assassinat du martyr Ali Kamel Mohsen ainsi que l’incapacité de l’ennemi à connaître les intentions de la résistance (...) ont amené celui-ci à agir de manière nerveuse sur le terrain et dans les médias. » Joint par L’Orient-Le Jour, Fayçal Abdel Sater, journaliste proche du Hezbollah, affirme que « les tirs de l’ennemi ont visé des positions de ses propres soldats ». « La frayeur causée par l’attente d’une réplique du Hezbollah est si intense qu’elle a conduit à de tels agissements », avance-t-il. Dans son communiqué, le Hezbollah avertit néanmoins : « Notre réplique au martyre de notre frère jihadiste surviendra inévitablement. Les sionistes n’ont qu’à attendre la sanction de leurs crimes. » En référence à un obus israélien qui a atterri lors des bombardements sur la maison de Faouzi Abi Alwan, un habitant du village frontalier de Hebbariyé, sans exploser, le Hezbollah a assuré également qu’il ne laissera « absolument » pas cet acte impuni. Avant la parution du communiqué, une source proche du Hezbollah avait pourtant affirmé à L’OLJ que c’est bien le parti qui a lancé les tirs, en réponse à la mort de Ali Mohsen. Il avait indiqué que sur les hauteurs de Kfarchouba, des combattants ont tiré un missile de type Kornet contre un tank israélien (de type Merkava). La patrouille israélienne, qui s’était approchée du site pour venir en renfort, a essuyé des tirs, et des accrochages ont suivi, puis un bombardement israélien contre plusieurs secteurs frontaliers, avait ajouté la source.
La riposte avait été évoquée aussi par des habitants du Liban-Sud avant la parution du communiqué. La mère et les proches de Ali Kamel Mohsen ont ainsi distribué des pâtisseries aux passants afin d’exprimer leur « joie pour l’opération militaire qui a vengé le martyre » du jeune homme, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah.
Une source sécuritaire indique à L’OLJ que le parti chiite aurait effectivement mené une opération à la frontière. Sans pouvoir la définir comme une infiltration, la source estime que l’opération a été lancée pour sonder la capacité d’Israël à la confrontation. Et conclut que c’est parce que l’attaque a échoué que le Hezbollah a publié un communiqué démentant toute implication dans les accrochages.
Grande envergure ou opérations limitées ?
Réagissant également aux développements sécuritaires, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) a appelé à « la plus grande retenue ». Son porte-parole, Andrea Tenenti, a déclaré que la force onusienne mène tous les contacts nécessaires avec les deux parties concernées afin d’ « évaluer la situation et de faire baisser la tension ». En soirée, il a assuré que « le calme est revenu dans la région », soulignant que la Finul « œuvre à le préserver aux côtés des forces armées libanaises ». « Nous avons ouvert une enquête pour découvrir les faits et définir leurs circonstances », a-t-il ajouté.
Sur le plan gouvernemental, le Premier ministre Hassane Diab a interrompu ses réunions pour suivre les développements de la situation au Liban-Sud et a pris notamment contact avec le président Michel Aoun, le chef du Parlement, Nabih Berry, et le commandant en chef de l’armée libanaise, Joseph Aoun. Environ deux heures avant les accrochages frontaliers, le ministre des Affaires étrangères, Nassif Hitti, avait affirmé dans un entretien sur Sky News que « le Liban est engagé à respecter la résolution 1701 du Conseil de sécurité », soulignant toutefois que « le pays a le droit de se défendre face à toute agression israélienne contre son territoire ».
L’explosion militaire avait été précédée le week-end dernier par des échanges de menaces entre les belligérants. Non des menaces d’attaques, mais plutôt des menaces réciproques de défense au cas où une partie porterait atteinte à la sécurité de l’autre. « Celui qui nous testera aura une réponse très forte », avait prévenu le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, tout en soulignant que son pays ne cherchera pas d’ « escalades inutiles ». Comme s’il était dans l’expectative d’une agression, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, avait averti plus tôt dans la journée que « le Liban et la Syrie sont responsables de toute attaque contre Israël ». Quatre jours auparavant, l’armée israélienne avait renforcé sa présence à la frontière. Mais le cheikh Naïm Kassem, numéro 2 du Hezbollah, avait affirmé dimanche soir sur al-Mayadeen qu’il écartait la possibilité d’une guerre dans les prochains mois avec l’État hébreu. « Si Israël décidait de provoquer une guerre, nous ferions face et réagirions », avait-il toutefois averti. Ce même dimanche, l’armée israélienne a vu en soirée un de ses drones tomber à l’intérieur du territoire, tandis que son aviation a violé de manière répétée l’espace aérien libanais.
L’incident d’hier est-il la mèche qui va allumer un incendie de grande envergure ? Ou s’agit-il plutôt d’opérations limitées, chacune des deux parties n’ayant pas intérêt à entrer dans une réelle confrontation ? « C’est une riposte ponctuelle », répond Mohammad Obeid, analyste politique proche du Hezbollah, interrogé par L’OLJ avant la parution du communiqué. « Le parti a choisi les fermes de Chebaa pour mener son opération parce que l’appartenance de cette région à la Syrie ou au Liban constitue un sujet de conflit », affirme-t-il, ajoutant qu’ « il ne s’est pas approché de la ligne bleue ». Pour lui, l’équation posée par le Hezbollah a été respectée. « Hassan Nasrallah avait averti Israël que s’il frappait en Syrie, la réponse pourrait venir aussi bien de la Syrie que du Liban. »
Quant à Fayçal Abdel Sater, il répond par la négative à la question de savoir si une guerre pourrait éclater. Parce que, d’une part, « le Hezbollah sait riposter de manière appropriée et proportionnée» et, d’autre part, « Israël ne peut pas aller loin, vu qu’il ne semble pas très préparé ».
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Quant à l’analyste politique Sami Nader, il relève également qu’aucune des deux parties n’a intérêt à une conflagration large, toutes deux préférant opter pour des opérations limitées. Selon lui, les événements d’hier « ont détourné la question de la neutralité, revendiquée par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, et appuyée par le Vatican et la communauté internationale ». « En quête de légitimité, le Hezbollah veut faire constater la nécessité de résister à Israël, sachant que la neutralité préconisée ne concerne pas la relation avec cet État », ajoute-t-il. Pour ce qui est d’Israël, il se contenterait également de frappes de petite envergure, estime l’analyste, soulignant que « son but est de ne pas modifier les règles d’engagement consacrées par la résolution 1701 » des Nations unies. « Israël agit par des frappes aériennes à chaque fois qu’il sent ces règles menacées, particulièrement depuis que l’Iran engagé dans la guerre en Syrie tente d’ouvrir les frontières du Golan fermées depuis des décennies ou encore lorsque le Hezbollah a introduit des missiles qui menacent sa sécurité. »
commentaires (9)
Tant que l'Armée Libanaise n'aura pas la main sur la frontière Sud , tant que l'Armée Libanaise ne sera pas la seule à posséder de l'armement lourd , en un mot tant que toutes les milices n'auront pas été désarmées le Liban demeurera en danger de mort ...
yves gautron
17 h 40, le 28 juillet 2020