« Nous frôlons le désastre. Si le gouvernement ne décide pas un confinement total d’au moins deux semaines, la situation sera irrécupérable. » Walid Ammar, président du comité national de lutte contre les maladies infectieuses, est catégorique. Face à l’explosion des cas de contaminations au coronavirus depuis le début du mois de juillet – 343 cas durant le week-end écoulé et 5 décès – et le nombre croissant de personnes ayant besoin d’hospitalisation – 137, dont 34 en unités de soins intensifs – les hôpitaux risquent d’être saturés en l’espace de quelques jours.
« Cette mesure doit être prise avant la fête de l’Adha, insiste pour L’Orient-Le Jour le Dr Ammar. Cela est indispensable pour pouvoir contenir la situation, mais aussi pour permettre au secteur sanitaire de respirer. »
Pour l’ancien directeur du ministère de la Santé, si la tendance actuelle se poursuit, le scénario italien ne tardera pas à se reproduire au Liban… à une différence près. « L’Italie et d’autres pays européens ont réussi à s’en sortir, ce que nous ne pourrons pas faire, car nous n’avons pas la même infrastructure et les responsables n’ont pas la même crédibilité », avance-t-il.
Le Dr Ammar souligne que la réouverture du pays au terme de cette période doit s’accompagner d’une amélioration des problèmes techniques pour un meilleur contrôle de l’épidémie, mais aussi de mesures plus fermes et rigoureuses sur le terrain. Ce qui n’a pas été le cas depuis le déconfinement, toutes les mesures préconisées par le gouvernement n’ayant pas été appliquées. En effet, la vie a repris son cours normal comme si la pandémie avait été éradiquée. De leur côté, certains ministères qui doivent veiller à la bonne application des mesures ont cédé à la pression de certains secteurs économiques. Cela a été le cas notamment du ministre du Tourisme, Ramzi Moucharrafiyé, qui avait autorisé de nouveau le narguilé en juin, sachant que des études avaient montré que cette forme de tabagisme favorise la transmission du coronavirus.
Concernant les problèmes techniques, le Dr Ammar note que le prélèvement des échantillons à l’aéroport doit être amélioré. « Actuellement, celui-ci est superficiel, ce qui donne lieu à de nombreux faux résultats négatifs, alors qu’il doit être profond et effectué au niveau du nasopharynx », explique-t-il. Des spécialistes ont affirmé dans ce cadre à L’OLJ avoir reçu de nombreux patients dont les tests effectués à l’aéroport étaient négatifs, alors qu’en réalité, ils étaient atteints de Covid-19, « parce que le prélèvement était mal fait ».
« De plus, poursuit le Dr Ammar, l’application du ministère de la Santé qui a été développée à l’intention des voyageurs doit être réactivée et les résultats des tests PCR doivent leur être communiqués à temps. Par ailleurs, il faut améliorer le système de suivi des personnes rentrées au Liban de pays où le test PCR n’est pas disponible. Actuellement, il n’y a aucun moyen de s’assurer qu’ils ont effectué un deuxième test. »
Pour le Dr Ammar, il est également impératif que « toutes les personnes testées positives soient transférées aux centres d’isolement ». « C’est le meilleur moyen de contrôler qu’ils sont bel et bien confinés, martèle-t-il. Si on veut attendre encore, ces centres n’auront plus aucune utilité. »
Un confinement crescendo
Plus tôt dans la matinée d’hier, le directeur de l’hôpital Rafic Hariri, en première ligne face à la pandémie, Firas Abiad, avait lui aussi affirmé que le pays était sur le point de « perdre le contrôle » de l’épidémie. « C’est pour cela que nous avons besoin d’un temps de répit pour corriger le cours des choses », a-t-il écrit sur son compte Twitter, estimant que l’on pourrait « améliorer l’état de préparation des hôpitaux, l’application des mesures par l’ensemble des secteurs économiques, la prise de conscience de la population ou le suivi numérique et la sévérité des mesures punitives ».
Le dossier du coronavirus et les recommandations émises vendredi (voir L’Orient-Le Jour du 25 juillet 2020) par la commission nationale chargée de la lutte contre le Covid-19 seront aujourd’hui à l’ordre du jour de la commission ministérielle chargée du dossier, qui se réunira sous la présidence du Premier ministre Hassane Diab.
« Cette réunion vise à évaluer la situation et à décider des mesures à prendre », explique à L’OLJ Pétra Khoury, conseillère du Premier ministre pour les affaires de santé et présidente de la commission nationale. « En principe, des mesures de confinement progressif doivent être prises d’ici à la fin de la semaine », estime-t-elle. Elle insiste sur le rôle que doit jouer de son côté la population et qui consiste à prendre une mesure simple et efficace : porter un masque, respecter la distanciation et se laver les mains fréquemment.
Dans ce contexte, le ministre de la Santé Hamad Hassan avait annoncé samedi que la commission ministérielle allait prendre en compte les recommandations émises par la commission nationale. « Des sanctions et des amendes seront imposées à toute personne ne portant pas de masque sanitaire et les passagers arrivant à l’aéroport qui ne respecteraient pas les mesures d’isolement seront arrêtés », a-t-il déclaré.
L’explosion des cas sera également discutée par le Conseil supérieur de défense, ainsi que par le Conseil des ministres qui doivent se réunir demain mardi.
Dix-sept contaminations au sein de la CRL
Le bilan de l’épidémie était lourd pendant le week-end écoulé avec cinq décès et 343 nouvelles contaminations, selon le rapport du ministère de la Santé. Ce qui porte à 3 746 le nombre de cas cumulés depuis le début de l’épidémie, au nombre desquels 51 décès. Parmi ces nouveaux cas, 296 ont été signalés localement et 47 parmi les personnes rentrées au Liban. Avec 1 692 guérisons, 2 003 personnes sont toujours positives, avec 137 personnes hospitalisées, dont 34 aux soins intensifs.
Cette recrudescence des cas a poussé l’ordre des avocats de Beyrouth à annoncer la fermeture de ses bureaux dans l’ensemble des régions pendant quatre jours dès ce matin. Seuls les employés pourront s’y rendre pour accomplir des formalités administratives. Le Parlement a lui aussi reporté à une date ultérieure les réunions des commissions prévues aujourd’hui et demain.
Les contaminations au coronavirus ont une nouvelle fois atteint les rangs de la Croix-Rouge libanaise qui a annoncé hier que dix-sept de ses secouristes ont été testés positifs à Zahlé. Ils ont été contaminés par l’un d’entre eux qui aurait été lui-même infecté par un blessé transporté en voiture à l’hôpital suite à l’explosion mardi dernier d’une bonbonne de gaz dans la localité de Karak, près de Zahlé dans la Békaa. Dans un communiqué, la CRL a affirmé que tous les secouristes contaminés sont en quarantaine et que des tests PCR leur seront effectués durant et après la quarantaine, mais aussi à toutes les personnes avec qui elles ont été en contact, ainsi qu’à leurs familles.
Par ailleurs, Georges Okaïs, député des Forces libanaises, a annoncé samedi avoir contracté le virus et qu’il ne présentait aucun symptôme pour le moment. Sur son compte Twitter, il a expliqué avoir côtoyé Hadi Hachem, directeur de cabinet du chef de la diplomatie, lui-même testé positif au coronavirus. Le président du Parlement, Nabih Berry, et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui avaient rencontré M. Okaïs ont été testés négatifs. De son côté, la ministre de la Défense Zeina Acar a annoncé que sa fille a été contaminée au coronavirus, soulignant que le reste de la famille et elle-même ont été testés négatifs.
Message de Hassan Nasrallah
Face à l’épidémie qui gagne du terrain, le ministère de l’Intérieur a finalement réagi, intensifiant les patrouilles des Forces de sécurité dans plusieurs centres balnéaires. De son côté, la police du tourisme a annoncé hier avoir dressé 25 procès-verbaux contre des restaurants et des centres balnéaires pour non-respect du port du masque par les employés, locations de narguilés et non-respect de la distanciation sociale.
Malgré la situation critique et dangereuse et les appels répétés des experts, certaines personnes ont besoin de leur leader pour se conformer aux mesures de protection sanitaire. Tel est le cas de la base du Hezbollah, qui a commencé à faire preuve de discipline à ce niveau après la vidéo diffusée vendredi soir par le parti, montrant le secrétaire général Hassan Nasrallah masqué. Dans ce court enregistrement, il établit les armes qui, selon lui, devront être mobilisées dans la « bataille » contre le coronavirus. « Patience, résistance, tolérance, confiance en Dieu, prières et invocations, agir avec raison, selon la science et dans le respect des consignes... Nous sortirons vainqueurs de cette bataille », a-t-il affirmé dans ce clip. On le voit encore écrire une lettre, dans laquelle il appelle à ne pas faire preuve de « négligence » face aux mesures prises par l’État pour lutter contre le Covid-19, au risque que « notre société doive faire face à une très grande catastrophe, à tous les niveaux ».
Enfin, le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a appelé la population à porter le masque. « Avec ton masque, tu te protèges, tu protèges ta famille, ton foyer et ton pays », a-t-il écrit sur son compte Twitter.
commentaires (6)
Il faudra vivre et s 'adapter avec le virus comme d 'autres pays ont fait et continuer une vie normale car le vius semble vivre longtemps .
Antoine Sabbagha
16 h 42, le 27 juillet 2020