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Moyen-Orient - Éclairage

Pour Téhéran, un projet d’accord avec Pékin en demi-teinte

Asphyxié par la politique américaine de pression maximale, l’Iran est en passe de signer les bases d’une coopération stratégique avec la Chine sur une période de vingt-cinq ans.

Pour Téhéran, un projet d’accord avec Pékin en demi-teinte

Réunion entre le président iranien, Hassan Rohani, et le président chinois, Xi Jinping, à Téhéran en janvier 2016. Photo AFP

C’était il y a près d’un mois. Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait lancé dans un discours prononcé le 16 juin un appel en faveur d’une coopération renforcée avec l’Iran et la Chine, pour garder le Liban « à l’abri de la famine ». Des regards tournés vers l’Est qui s’inscrivent à première vue dans la droite ligne d’une stratégie iranienne de survie économique, alors que la politique de pression maximale américaine, couplée à la corruption et à la crise sanitaire liée au Covid-19 n’en finissent plus d’étrangler la République islamique. Depuis 2016, Pékin et Téhéran négocient un accord visant à établir un partenariat stratégique entre eux qui permettrait à la Chine d’accroître sa présence dans divers secteurs en Iran, tels que les banques, les télécommunications ou encore les transports, en plus d’une plus grande coopération militaire. Selon un officiel iranien et un négociant en pétrole cités par le New York Times, la Chine obtiendrait, au cours des vingt-cinq années à venir, de l’or noir à prix fortement réduit.

Alors que Pékin est le plus grand importateur au monde de pétrole, Téhéran, lui, est l’un des plus grands producteurs mais est durement frappé par les sanctions américaines qui lui ont été réimposées depuis le retrait de Washington de l’accord sur le nucléaire en 2018. Ses exportations sont actuellement estimées dans une fourchette allant de 100 000 à 200 000 barils par jour, contre plus de 2,5 millions en avril 2018.

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Le projet d’accord entre la Chine et l’Iran a été approuvé par le gouvernement de Hassan Rohani en juin dernier d’après une récente déclaration du ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif, mais il n’a pas encore été finalisé. Selon certaines analyses, le partenariat serait une réponse à la politique américaine de pression maximale vis-à-vis de Téhéran.

« Cet accord de partenariat stratégique avec la Chine est le résultat naturel d’un éloignement sur plusieurs décennies entre la République islamique et les États-Unis, accéléré sous la présidence de Donald Trump, dont la campagne de pression maximale menace la survie financière de l’État iranien. S’il est mis en œuvre, l’accord fournira à l’Iran une corde de sauvetage financière », insiste Ali Alfoneh, spécialiste de l’Iran au sein de l’Arab Gulf States Institute in Washington (AGSIW). « Le partenariat est en négociation depuis 2016. Il est donc erroné de le considérer comme une réponse à la pression maximale américaine ou à la détérioration des relations entre la Chine et les États-Unis », nuance pour sa part Jonathan Fulton, professeur assistant en sciences politiques à la Zayed University basée à Abou Dhabi.

Rencontre entre le guide suprême de la révolution iranienne, l’ayatollah Ali Khamenei, et le président chinois, Xi Jinping, à Téhéran en janvier 2016. Photo AFP

Des gains limités

La perspective de ce partenariat frappe toutefois en ce qu’elle amorce l’entrée à pieds joints de la Chine au Moyen-Orient, à une heure où les Américains ne jurent que par leur retrait de la région. Un enjeu de taille pour Washington qui, depuis le mandat de Barack Obama, et à un degré autrement plus significatif aujourd’hui, fait de la puissance chinoise la problématique numéro un de ses relations internationales. Mais a priori, le partenariat ne porte pas un coup majeur à la politique américaine de pression maximale. « Pour Washington, des négociations ouvertes entre son rival stratégique et l’Iran est significatif. Mais l’Inde coopère avec l’Iran à travers le projet du port Chabahar et cela n’a pas causé de problème particulier. L’approche américaine n’a pas bénéficié de beaucoup de soutiens de la part de la communauté internationale. L’accord entre la Chine et l’Iran ne constitue donc pas une provocation majeure particulière », note Jonathan Fulton.

D’autant plus que l’accord relève d’une importance autrement plus grande pour l’Iran que pour la Chine. Isolée sur la scène internationale, étouffée économiquement, la République islamique cherche désespérément à tisser de nouveaux partenariats pour pouvoir maintenir sa tête hors de l’eau. « Le problème principal réside en ce que pour la Chine, l’Iran n’est pas très important alors que pour l’Iran, la Chine constitue un enjeu considérable. Il y a un décalage en termes de perceptions mutuelles. En pratique, la Chine ne veut pas s’aliéner les États-Unis au Moyen-Orient. Elle ne va donc pas aussi loin qu’elle le pourrait en termes d’amélioration de ses relations avec Téhéran », analyse Ali Fathollah-Nejad, spécialiste de l’Iran, professeur agrégé à l’Université de Tübingen en Allemagne et chercheur non-résident au Center for Middle East Policy de la Brookings Institution, aux Etats-Unis.

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Malgré un discours plus offensif sur la scène internationale, les autorités chinoises ont jusque-là fait preuve de prudence au Moyen-Orient et l’Iran n’échappe pas à la règle. « Si les sanctions prennent fin en Iran et que celui-ci devient un pays comme les autres, cela représenterait un immense marché pour les entreprises chinoises et une source d’énergie importante. L’Iran serait également un point de transit utile dans le cadre de l’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie, la plus importante en termes de politique étrangère », explique Jonathan Fulton. « Mais pour l’heure, ce n’est pas un pays “normal”, et les sanctions sont en place. Quels que soient les gains, ils restent artificiellement limités. » La Chine a également développé de bonnes relations avec plusieurs pays du Golfe rivaux de Téhéran, à commencer par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et semble chercher à jouer sur plusieurs tableaux. « Quand les détails finaux de cette coopération seront annoncés, je doute qu’ils mènent à une transformation majeure dans la région », avance Jonathan Fulton.

Le flou qui entoure l’accord entre Pékin et Téhéran suscite d’ores et déjà l’ire d’une partie des Iraniens qui y perçoivent un manque flagrant de transparence, à plus forte raison du fait que la Chine a fait de ses investissements à l’étranger un outil de consolidation de son économie ainsi que d’accroissement de son influence. Cela s’est souvent traduit par une mainmise accrue sur les pays concernés. Le Sri Lanka en offre un exemple. Le port de Hambantota a ainsi été construit grâce à des financements chinois entre 2008 et 2010. Mais parce que le pays n’a pas été en mesure d’honorer la dette qu’il a contractée, le port et les terrains aux alentours sont passés il y a trois ans sous le contrôle de la China Merchants Port Holdings dans le cadre d’un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans. « Se rendre à la Chine signifie survivre pour le régime iranien et les élites dirigeantes. Sous la protection chinoise, ces élites ne dirigeront peut-être plus complètement un État souverain, mais au moins éviteront-elles le sort de Moubarak, Ben Ali ou encore Kadhafi », souligne Ali Alfoneh.

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La pandémie liée au coronavirus avait déjà semé la zizanie au sein du pouvoir. Le porte-parole du ministère de la Santé, Kianush Jahanpur, avait qualifié au cours d’une conférence de presse tenue le 5 avril que les statistiques avancées par la Chine au sujet du nombre de morts et de contaminés par le virus relevaient de la « mauvaise plaisanterie ». Une saillie qui avait suscité une levée de boucliers, notamment dans les médias proches des durs du régime pour qui de tels propos à l’encontre d’un des seuls partenaires de poids de Téhéran sont inacceptables.

« Beaucoup d’Iraniens ont peur que le régime essaye de se stabiliser à tout prix en obtenant le soutien des principales forces extérieures opposées aux États-Unis, à savoir la Russie ou la Chine. Ils craignent que dans cet accord, les Iraniens offrent aux Chinois tout ce qu’ils veulent pour qu’en retour les Chinois leur assurent la sécurité », décrypte Ali Fathollah-Nejad.

C’était il y a près d’un mois. Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait lancé dans un discours prononcé le 16 juin un appel en faveur d’une coopération renforcée avec l’Iran et la Chine, pour garder le Liban « à l’abri de la famine ». Des regards tournés vers l’Est qui s’inscrivent à première vue dans la droite ligne d’une stratégie...

commentaires (5)

Les USA aiment bien traiter avec un nombre limité de pays (Kinsinger: pour appeler l'Europe à qui faut-il téléphoner). Si la Chine et l'Iran signent les USA téléphoneront à la Chine quand ils ont besoin de traiter avec l'Iran.

Shou fi

18 h 01, le 15 juillet 2020

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Commentaires (5)

  • Les USA aiment bien traiter avec un nombre limité de pays (Kinsinger: pour appeler l'Europe à qui faut-il téléphoner). Si la Chine et l'Iran signent les USA téléphoneront à la Chine quand ils ont besoin de traiter avec l'Iran.

    Shou fi

    18 h 01, le 15 juillet 2020

  • Dans 25 ans il n'y aura plus d'Iran.

    Christine KHALIL

    15 h 18, le 15 juillet 2020

  • Le régime de la "résistance islamique", après avoir appelé au secours le bourreau des musulmans Tchétchènes pour se sortir du bourbier militaire syrien, demande le secours du bourreau des musulmans Ouïghours pour se sortir de son bourbier économique. Et en plus de cela les prétendus résistants de l'Axe critiquent l'alliance de l'Arabie Saoudite avec les US.. Et taxent les vrais résistants libanais de sionistes... Imposture de l'Axe quand tu nous tiens...

    Citoyen libanais

    11 h 44, le 15 juillet 2020

  • Ceci explique cela. Tant que l’iran ne sait pas sur quel pied danser les vendus au Liban continueraient d'empêcher la mise en œuvre de toute solution pour sauver notre pays. Il ne faut pas être fin analyste géopolitique pour savoir que le sort de notre pays est suspendu aux accords que l’iran choisirait de signer pour imposer le même partenaire aux Libanais. Il faut leur emboîter le pas et les surprendre avant qu’il ne soit trop tard. ÇA URGE. Ne

    Sissi zayyat

    11 h 15, le 15 juillet 2020

  • QUI DES DEUX MENDIANTS VEUT MENDIER DE L,AUTRE ? LA CHINE EST UN GEANT ECONOMIQUE GRACE AUX OCCIDENTAUX MAIS AUX PIEDS D,ARGILE DES QUE CES DERNIERS SE RETIRENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 54, le 15 juillet 2020

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