Le taux de change dollar/livre a fortement fluctué sur le marché noir au cours des derniers jours, contredisant les pronostics tablant sur sa stabilisation, voire sa baisse progressive à un niveau proche de celui imposé aux changeurs agréés, soit environ 4 000 livres pour un dollar à moyen terme. Une volatilité dont il est difficile de cerner les facteurs, compte tenu de l’opacité qui caractérise ce marché, mais qui ne semble pas préoccuper plus que cela les autorités, malgré l’inflation galopante liée à la dépréciation de la livre, ainsi que la multiplication des signes trahissant l’appauvrissement d’une portion croissante de la population.
Pourtant descendu en dessous de la barre des 6 000 livres pour un dollar le week-end dernier, selon plusieurs sources concordantes, le taux dollar/livre a retrouvé lundi son niveau atteint trois jours plus tôt, soit autour de 7 500 à 8 000 livres le dollar environ en début de journée, pour enfin se situer entre 8 000 et 9 000 livres en soirée, en fonction des sources.
Il a ensuite été très difficile de se faire une idée du taux réel du marché noir hier. En fin de journée, le compteur du site businessnews.com.lb rapportait par exemple des fourchettes de 8 600 à 8 650 livres le dollar à l’achat contre 8 980 à 9 000 livres le dollar à la vente. Sur l’application Sarraf Lebanon, le taux est passé d’une fourchette située entre 8 500 et 9 000 livres hier matin, à une autre comprise entre 7 500 et 8 000 livres en début de soirée, après avoir flirté avec la barre des 9 000 livres. Le site Lebaneselira.org avait, lui, bloqué son compteur entre 8 650 livres le dollar à l’achat et 9 000 livres à la vente. Des niveaux loin de la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, virtuellement reléguée au statut de souvenir.
Enfin, un entrepreneur contacté par L’Orient-Le Jour a pour sa part affirmé avoir dû négocier un achat de devises à un taux de 9 500 livres pour un dollar hier en milieu de journée. Il a de plus assuré qu’il était bien « trop tôt » pour parler de l’impact de l’activation lundi du mécanisme élargi permettant aux importateurs d’une palette de produits d’échanger leurs livres contre des dollars au taux de 3 850 livres, aligné sur celui imposé aux agents agréés. « Même si le mécanisme est actif, la procédure qui nous oblige à passer par le ministère puis par notre banque pour enfin obtenir l’accord de la BDL va s’étendre sur plusieurs jours », regrette l’entrepreneur.
Synchronisation
Si les explications évoquées par les différentes sources interrogées divergent, toutes s’accordent pour souligner l’existence d’une certaine « synchronisation » d’une partie des acteurs du marché noir ainsi que de l’effet amplificateur des différents vecteurs relayant l’évolution des taux (médias, réseaux sociaux, applications de messageries ou plateformes spécialisées).
« Certains agents – professionnels ou particuliers – profitent bien entendu de l’incertitude qui règne au niveau économique et financier pour manipuler le marché en diffusant des informations ou des rumeurs qui vont pousser le taux dollar/livre dans un sens ou dans l’autre, en fonction de leurs besoins. Reprises et souvent amplifiées, ces indications vont finalement influencer les comportements des agents qui cherchent à vendre ou acheter des devises, pour ensuite impacter le taux », constate une source financière. « Le procédé fonctionnera tant que les autorités dans leur ensemble, qui n’ont pas jusqu’à présent été capables de neutraliser les acteurs du marché noir, resteront sans réaction », ajoute-t-elle.
Une autre source judiciaire souligne, elle, l’effet levier sur la demande des mesures mises en place par les banques – qui continuent de restreindre l’accès des déposants à leurs comptes en devises – renforçant la mainmise du marché noir sur le marché. « Le fait que la BDL refuse d’augmenter le taux auquel les sociétés de transfert d’argent sont obligées de convertir en livres les montants en devises transférés à leurs clients au Liban joue également un rôle », souligne-t-elle. Ce taux est de 3 800 livres pour un dollar, soit 100 livres de moins que celui que les agents de change agréés sont tenus de respecter pour vendre des dollars (3 850 livres pour les achats). Pour rappel, la BDL a ajusté lundi le taux de change dollar/livre des retraits de « dollars libanais » – les billets verts déposés dans les banques libanaises et qui font l’objet de restrictions de la part de ces dernières depuis la fin de l’été 2019. Celui-ci est désormais fixé à 3 900 livres, contre 3 850 livres il y a deux semaines.
Une autre source interrogée pense connaître la raison pour laquelle le taux a fortement reculé durant le week-end écoulé pour remonter en début de semaine : « Une explication possible est qu’une partie des agents du marché noir, voire d’agents agréés, qui ne respectent pas les plafonds qui leur sont imposés par leur syndicat et la BDL, poussent les taux à la baisse en fin de semaine pour racheter autant de dollars que possible en annonçant une baisse durable des taux, pour ensuite les revendre au prix fort en début de semaine », explique-t-elle. Elle n’exclut pas néanmoins que la baisse du week-end dernier ait été facilitée par une importante injection de devises, soit via le marché (les expatriés de passage au Liban), soit via la BDL (même si aucune annonce n’a été faite dans ce sens). « Il est de toute façon virtuellement impossible de se faire une idée précise sur les mécanismes qui actionnent le marché, faute de données fiables », regrette la source. Elle souligne enfin qu’il n’y a aucun moyen pour l’instant de vérifier si les agents de change agréés respectent le taux imposé par la BDL ni s’ils enregistrent bien les transactions réalisées sur l’application « Sayrafa » déployée par la banque centrale à cet effet.
commentaires (4)
Aussitôt qu’une annonce est faite pour stabiliser le cours du dollars, des mafias sont lâches sur le marché pour créer une forte demande pour le revoir à la hausse. Hemiha haramiha.
Sissi zayyat
13 h 16, le 15 juillet 2020