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Politique - Le centenaire du Grand Liban

VII – Aux origines du système communautaire libanais

À l’occasion de la célébration du centenaire du Grand Liban, « L’Orient-Le Jour » se penche sur les racines historiques de l’entité libanaise dans une série d’articles présentés suivant une approche didactique délibérément concise (voir « L’Orient-Le Jour » des lundis 6 avril, 4 et 18 mai, 1er, 15 et 29 juin). Ce centenaire a été placé sur le plan politique interne, entre autres, sous le signe du système communautaire dont les origines remontent à très loin dans l’histoire.

VII – Aux origines du système communautaire libanais

Les droits et la liberté d’action des communautés ont été à plusieurs reprises consacrés dans les textes officiels depuis le mandat français. Photo d’archives Émile Eid

L’ancien ministre feu Michel Eddé n’a jamais caché, à plusieurs occasions, son attachement ferme au confessionnalisme politique, soulignant que le problème de base au Liban ne réside pas dans le système communautaire en tant que tel – seule formule valable, soulignait-il, dans une société pluraliste –, mais plutôt dans la mentalité sectaire et réductrice qui marque son application. Un point de vue largement partagé par l’ancien leader de la communauté chiite feu Mohammad Mahdi Chamseddine dans son dernier ouvrage constituant son « testament politique » adressé aux Libanais, et plus particulièrement à ses coreligionnaires.

Pour comprendre le fondement et la source du système communautaire libanais, un bref retour à la conquête arabo-islamique du VIIe siècle s’impose.

L’État musulman né de la domination arabe, englobant l’actuel Moyen-Orient et le nord de l’Afrique, a constamment classifié au fil des siècles les populations soumises à son contrôle en deux catégories : les croyants (en l’occurrence les musulmans) et les dhimmis, essentiellement les chrétiens et les juifs. L’État musulman accordait aux dhimmis un statut juridique spécial qui leur permettait de préserver leur liberté de culte, leurs coutumes et leurs biens, de gérer leurs propres affaires internes, notamment en ce qui concerne le statut personnel, à la condition de payer la jizya (un impôt) et de faire acte de soumission, de se montrer « obéissants ». Ce régime de dhimmitude s’inspirait d’un système quelque peu similaire en vigueur au sein des empires romain, sassanide et byzantin, mais l’islam lui a donné une dimension divine, comme le souligne Antoine Courban dans un article publié dans la revue sénatoriale de l’Institut Lecanuet, France-Forum (n° 76).

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VI – Lorsque le sort du pays du Cèdre se jouait dans les coulisses des chancelleries européennes


Ce statut particulier réservé aux non-musulmans en pays d’islam – qui a fait l’objet d’un ouvrage d’Antoine Fattal (1958) – a eu pour effet d’engendrer des identités communautaires propres aux chrétiens et aux juifs, l’État musulman ne reconnaissant pas l’existence de « citoyens » égaux entre eux (dans le sens moderne du terme) du fait de la division des sujets de la population concernée en deux catégories bien distinctes, fondées sur l’appartenance religieuse. C’est ce qui fait dire aux historiens que les fondements du système communautaire ont été posés par l’État musulman né après la conquête arabe du VIIe siècle (1).

Le cas libanais
Cette réalité communautaire a pris une tournure particulière au Liban, en ce sens qu’elle a constitué « l’infrastructure même de la société libanaise », et elle a fini, « au bout d’une longue évolution historique propre au Liban, par réaliser dans l’État libanais son expression politique » (2). Le relief géographique de l’entité libanaise a sans doute joué un rôle fondamental sur ce plan. La chaîne de hautes montagnes longeant à pic un littoral de 200 km de longueur, s’étendant du Nord au Sud, a constitué au fil des siècles une sorte de rempart permettant de s’opposer, ou tout au moins de résister, aux envahisseurs et aux occupations étrangères (voir L’Orient-Le Jour du lundi 6 avril). De ce fait, le pays du Cèdre a constitué à différentes phases de son histoire une terre d’accueil permettant aux minorités religieuses de la région d’y trouver refuge et de préserver ainsi leur liberté et leurs traditions. C’est ce qui fera dire bien plus tard à Michel Chiha que le Liban est un pays de « minorités confessionnelles associées ». La population du Liban ayant été ainsi constamment formée de plusieurs communautés quasi autonomes, le peuple libanais s’est de ce fait distingué des autres sociétés de la région, sous l’effet du relief géographique, par un régime communautaire solidement enraciné dans la réalité sociétale du pays, dépassant largement le cadre du clivage à caractère religieux imposé ailleurs, en terre d’islam, par l’État musulman des premiers temps.

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V – Après les massacres de 1860, une longue période de stabilité avec la « moutassarrifiya »


La consolidation de cet état de fait communautaire prend une nouvelle dimension, essentiellement politique et quasi « souveraine », avec la conquête ottomane en 1516. D’emblée, le nouveau pouvoir ottoman maintient les privilèges dont bénéficiait la Montagne (le Mont-Liban) sous le règne des Mamelouks. Les Libanais, principalement les maronites et les druzes, parviennent ainsi à poursuivre leur vie communautaire et à sauvegarder leur liberté de culte et leurs traditions socioculturelles. L’autonomie accordée par Istanbul au Mont-Liban renforce en fait davantage le rôle du clergé et consolide encore plus le communautarisme déjà en place aussi bien au niveau maronite que druze.

Répartition confessionnelle du pouvoir
Ce communautarisme de facto, limité jusqu’au XIXe siècle à la gestion des affaires de la vie quotidienne, prend pour la première fois une forme institutionnelle après les affrontements intercommunautaires opposant maronites et druzes au Mont-Liban en 1842 et 1845, à la suite de l’effondrement de l’émirat de la Montagne en 1840 avec la chute de Bachir II. Dans le but de mettre un terme aux troubles confessionnels, un régime de deux caïmacamats est mis en place, l’un maronite et l’autre druze. Un conseil communautaire mixte est formé dans chaque caïmacamat regroupant douze membres : deux maronites, deux grecs-orthodoxes, deux grecs-catholiques, trois sunnites, deux druzes et un chitte. Les membres de ces deux conseils ont pour tâche de régler les affaires de leurs coreligionnaires dans leurs caïmacamats respectifs. Le régime des caïmacamats ne met pas fin pour autant aux troubles confessionnels, lesquels prennent au contraire une tournure particulièrement grave avec des massacres à grande échelle qui se produisent dans plusieurs régions de la Montagne ainsi qu’à Zahlé, et même à Damas où les chrétiens sont victimes de liquidations en masse. Ces graves troubles sont la conséquence indirecte d’une démarche prise en 1856 par le sultan ottoman qui, sous la pression de la France et de l’Angleterre, rend un édit instaurant une égalité entre les sujets musulmans et chrétiens de l’empire. Cette mesure est mal accueillie par les Ottomans musulmans qui expriment un profond sentiment de colère à ce sujet, ce qui attise dangereusement le fanatisme musulman. Les chrétiens de l’empire feront les frais, paradoxalement, du firman réformateur du sultan.

Pour stopper net les massacres de 1860, les cinq puissances de l’époque (la France, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse) ainsi que la Sublime Porte adoptent le 9 juin 1861 un nouveau régime politique pour le Liban, bénéficiant pour la première fois d’une garantie internationale, connu sous le nom de moutassarrifiya qui institutionnalise encore une fois, avec la couverture des cinq puissances, le système communautaire. Le Liban est alors gouverné par un « moutassarref » nommé par Istanbul et qui doit être un sujet ottoman, non libanais, chrétien, obligatoirement catholique. Il est assisté d’un conseil d’administration communautaire formé de douze membres élus : quatre maronites, trois druzes, deux grecs-orthodoxes, un grec-catholique, un sunnite et un chiite.

Le mandat français
L’effondrement de l’Empire ottoman, en 1918, pave la voie à la proclamation, le 1er septembre 1920, du Grand Liban qui est placé sous mandat français. D’emblée, la France envisage la réorganisation politique et administrative du Liban sur base du régime communautaire déjà en place. De fait, la Charte du mandat, approuvé le 24 juillet 1922 par le Conseil de la Société des nations, stipule dans son article 6 que « le respect du statut personnel des diverses populations et de leurs intérêts religieux sera entièrement garanti ». L’article 9 interdit en outre explicitement à la puissance mandataire « toute intervention dans la direction des communautés religieuses et sanctuaires des diverses religions, dont les immunités sont expressément garanties ». Cette Charte du mandat constitue ainsi une reconnaissance internationale du système communautaire qui caractérise le Liban. Dans le cadre de l’action de réorganisation politique initiée par la France, l’année 1926 verra la naissance de la première Constitution libanaise, qui sera élaborée grâce à l’apport fondamental de Michel Chiha, considéré comme le père du système politique libanais communautaire. Le document consacre explicitement le système confessionnel. L’article 9 de cette Constitution souligne en effet que « la liberté de conscience est absolue » et que « l’État respecte toutes les confessions, et en garantit et protège le libre exercice », de même qu’il garantit aux populations, « à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». Allant plus loin dans la consécration du système communautaire, la nouvelle Loi fondamentale souligne en outre dans son article 10 qu’ « il ne sera porté aucune atteinte au droit des communautés d’avoir leurs écoles ».

Cette reconnaissance du fait confessionnel dans ces différents textes officiels ne fait que refléter la réalité sur le terrain. L’adjonction au Mont-Liban, en 1920, des quatre cazas de Baalbeck, de la Békaa, de Hasbaya et de Rachaya, ainsi que des villes côtières de Tripoli, Saïda et Tyr, est en effet rejetée par une large faction de l’opinion sunnite, ce qui approfondit la fracture confessionnelle. Celle-ci se reflète dans le résultat d’un sondage effectué en 1926 par la puissance mandataire auprès de 180 notables de différentes régions et confessions au sujet du système politique qui devrait être mis en place. L’une des questions porte sur le fait de savoir si la répartition des sièges au Parlement devrait se faire sur une base confessionnelle. Sur les 180 notables ayant participé au sondage, 121 adressent au haut-commissaire français une pétition dans laquelle ils se prononcent pour le maintien du système confessionnel, soulignant que le « peuple libanais se compose de communautés ayant chacune des convictions religieuses, une mentalité, des coutumes et des traditions propres ».

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IV – Le prélude au régime des deux caïmacamats au Mont-Liban


Dans un tel contexte, le haut-commissaire français Maurice Sarrail fera preuve en 1926 d’une méconnaissance totale de ces réalités locales. Sur base de ses positions anticléricales, il décide d’abolir la représentation confessionnelle au sein du Conseil représentatif chargé d’élaborer le statut organique du Liban, ce qui suscite un tollé général, si bien que le gouvernement français est contraint de mettre à l’écart Sarrail qui est remplacé par Henry de Jouvenel. Celui-ci rétablit le Conseil représentatif conformément aux usages confessionnels. Il commet toutefois un faux pas en envisageant, en avril 1926, de mettre en place une législation civile de statut personnel ainsi que le mariage civil. Il est contraint cependant de faire marche arrière en raison des réactions hostiles violentes émanant de toutes les communautés. Une tentative similaire avait été entreprise en 1924 par le général Weygand qui avait tenté lui aussi de faire avaliser un projet de statut personnel unifié, mais il s’était heurté au rejet unanime de l’ensemble des communautés (3).

Le testament politique de Chamseddine
Cette réalité communautaire se maintiendra au fil des ans et sera consacrée une nouvelle fois lors de l’indépendance de 1943 avec la « formule libanaise » (accompagnant le pacte national) prévoyant une répartition des pouvoirs législatif et exécutif, ainsi que des postes administratifs sur une base confessionnelle. Un tel clivage sera exacerbé en permanence sous l’effet des diverses interférences étrangères et des développements régionaux-clés, notamment à la fin des années 50 avec la vague nassériste, dans les années 60 et 70 avec l’implantation palestinienne armée, et dans les années 90 avec l’occupation syrienne. Si bien que l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine, qui était au début de la guerre libanaise le porte-étendard de la « démocratie du nombre », écrira dans ce qui constitue son testament politique : « Dans le contexte présent, je rejette le projet d’abolition du confessionnalisme politique (…) et j’appelle à axer les efforts sur l’examen des lacunes qui entachent notre système confessionnel afin d’y remédier (…). J’exhorte les chiites libanais, en particulier, et tous les Libanais à abolir de l’action politique le projet d’abolition du confessionnalisme » (4).

Il reste que depuis les années 60 du siècle dernier, des appels à l’abolition du confessionnalisme sont lancés à diverses occasions. Mais encore faut-il que le pays puisse bénéficier d’une longue période de paix civile et de sérénité nationale durable pour qu’un processus d’osmose puisse être un jour patiemment et progressivement enclenché.

1) Edmond Rabbath, « La formation historique du Liban politique et constitutionnel » (Publications de l’Université libanaise, pp. 56-57).

2) Edmond Rabbath, op.cit.

3) Edmond Rabbath, op.cit. p. 91

4) Mohammad Mahdi Chamseddine (2001), « El-Wassaya » (éditions an-Nahar, pp. 52-53 et p. 60).


L’ancien ministre feu Michel Eddé n’a jamais caché, à plusieurs occasions, son attachement ferme au confessionnalisme politique, soulignant que le problème de base au Liban ne réside pas dans le système communautaire en tant que tel – seule formule valable, soulignait-il, dans une société pluraliste –, mais plutôt dans la mentalité sectaire et réductrice qui marque son...

commentaires (5)

Le problème est qu’il n’a jamais existé que de bonnes intentions derrière la volonté d’abolir le système confessionnel. Au contraire, à chaque qu’il en a été question, une des confessions se trouvait en position dominante et voulait profiter pour changer la donne en écrasant les autres. Le moment est loin d’être propice à ce genre de jeu qui mettrait encore plus le pays en danger. Le jour où tous les libanais se reconnaîtront par leur drapeau, leur nationalité libanaise et leur identité patriotique avant toute autre appartenance alors on pourrait discuter de compétence et de mérite pour accéder à toutes fonctions publiques et régaliennes sans aucune distinction. Cela arrivera une fois que nous sommes débarrassés de toutes les influences étrangères qui nourrissent le sentiment du racisme confessionnel pour se mêler de la politique intérieure de notre pays, alors nous pourrions prétendre à changer le système. Nous construirons notre pays tous ensemble et veillerons à ce que tous les libanais aient les mêmes droits et devoirs dans leur pays sans avoir recours aux zaims ou représentants communautaires. C’EST LE  LIBAN REVÉ PAR LA MAJORITÉ DES LIBANAIS

Sissi zayyat

19 h 30, le 14 juillet 2020

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Commentaires (5)

  • Le problème est qu’il n’a jamais existé que de bonnes intentions derrière la volonté d’abolir le système confessionnel. Au contraire, à chaque qu’il en a été question, une des confessions se trouvait en position dominante et voulait profiter pour changer la donne en écrasant les autres. Le moment est loin d’être propice à ce genre de jeu qui mettrait encore plus le pays en danger. Le jour où tous les libanais se reconnaîtront par leur drapeau, leur nationalité libanaise et leur identité patriotique avant toute autre appartenance alors on pourrait discuter de compétence et de mérite pour accéder à toutes fonctions publiques et régaliennes sans aucune distinction. Cela arrivera une fois que nous sommes débarrassés de toutes les influences étrangères qui nourrissent le sentiment du racisme confessionnel pour se mêler de la politique intérieure de notre pays, alors nous pourrions prétendre à changer le système. Nous construirons notre pays tous ensemble et veillerons à ce que tous les libanais aient les mêmes droits et devoirs dans leur pays sans avoir recours aux zaims ou représentants communautaires. C’EST LE  LIBAN REVÉ PAR LA MAJORITÉ DES LIBANAIS

    Sissi zayyat

    19 h 30, le 14 juillet 2020

  • UNE SEULE COMMUNAUTE, DE PAR UNE DE SES PARTIE, N,ACCEPTE PAS LE VIVRE ENSEMBLE. ELLE PEUT EMIGRER EN IRAN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 53, le 13 juillet 2020

  • Toujours, ce n'est nullement le temps pour abolir le confessionalisme, avec des appétits dévorants de partout.

    Esber

    11 h 38, le 13 juillet 2020

  • J'ai entendu une fois dire que les sources du systeme communautaire au Liban se trouve dans la politique du royaume lagide ou ptolémaïque (époque hellénistique) en Egypte: par exemple les tribunaux de droit égyptien et de droit grec cohabitent, les communautes differentes avaient leur propres tribunaux, il y a une "double culture".

    Stes David

    10 h 08, le 13 juillet 2020

  • je me range du coter de Mr Eddé je suis tout à fait d’accords maintenant !!!

    Bery tus

    06 h 04, le 13 juillet 2020

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