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Nos Lecteurs ont la Parole

Partir...

Voilà que l’aéroport de Beyrouth ouvre ses portes et que les premiers avions foulent à nouveau timidement le sol libanais. Debout devant le premier poste de sécurité, une mère enlace son fils. Dans quelques heures, il sera parti. Qui sait quand elle le reverra ? Aura-t-il changé ? Lui portera-t-elle le même amour, la même tendresse ? Aucune larme n’est versée pourtant. Son départ, elle le veut. Il est temps.

Le fils se retourne, prend sa valise et s’éloigne, laissant s’échapper un « à bientôt » qu’il sait mensonger. En passant la sécurité, il songe au monde qu’il abandonne. Il marche mécaniquement vers son avion et son esprit s’adonne à une synesthésie libanaise, comme pour savourer encore une dernière fois cet univers qui bientôt sera dans l’horizon. Il repense au coucher du soleil sur la mer, au lever de lune sur le mont Kneisseh, aux collines du Chouf peuplées de cèdres millénaires et au règne éternel du mont Sannine sur les nuages. Il pense à ces villages suspendus à la montagne, aux matins insouciants où l’on se régalait de manakish en écoutant Feyrouz, au taboulé de sa grand-mère, au sourire badin de son oncle, à ces rêves perdus de modernité et de savoir. Plus rien ne sera plus jamais comme avant. Il sent que ce basculement sera indélébile. Comme pour ménager une lueur d’espoir, il se souvient de ces vers de Nadia Tuéni : Beyrouth, « mille fois morte, mille fois revécue ». Revivre ou survivre ? Il pense à ces ruines superposées perdues dans le paysage, aux palais des Omeyyades côtoyant d’imposants temples romains, aux forteresses des croisés construites çà et là et aux fortifications phéniciennes, sempiternelles protectrices du port de Batroun.

Au Liban, on peut voir toute l’histoire défiler en cinq minutes. Et alors que le monde occidental semble avoir mis l’histoire en veille, au Liban, les civilisations se déchirent. Il songe au Liban des poètes, à Michel Chiha : « De la poésie avant tout. Rien n’est plus important, rien n’est plus nécessaire en ce moment. » Que peut la poésie pour nourrir un enfant affamé ? Il pense aussi à ces gens qui font son pays, à cette bonté presque gratuite, à cette exemplaire prodigalité. Il entre dans l’avion et prend place. Autour de lui, on se salue, on se questionne sur ses plans d’avenir. On parle du Liban, de cet espoir perdu, du besoin de partir. La notice de sécurité de Middle East Airlines s’affiche alors. Les paysages du Liban défilent devant eux. Ils n’y prêtent pas attention. Chacun a eu le temps de se les remémorer. L’avion décolle. Beyrouth s’éloigne. À travers le hublot, on peut voir la chaîne du Mont-Liban imposante, immuable, éternel témoin de ces millénaires d’histoire méditerranéenne. Le fils regarde encore une fois son pays qui s’éloigne. Tous ces souvenirs qui se fossilisent dans son esprit, voilà son Liban, et il part pour ne pas le perdre.

Alors il contemple la mer défiler sous son avion et murmure, comme on souffle dans le vent, ces vers désabusés de Nadia Tuéni :

« Alors

Ils sont bien morts ensemble

C’est-à-dire chacun seul comme ils avaient vécu. »

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Voilà que l’aéroport de Beyrouth ouvre ses portes et que les premiers avions foulent à nouveau timidement le sol libanais. Debout devant le premier poste de sécurité, une mère enlace son fils. Dans quelques heures, il sera parti. Qui sait quand elle le reverra ? Aura-t-il changé ? Lui portera-t-elle le même amour, la même tendresse ? Aucune larme n’est versée pourtant. Son départ,...

commentaires (1)

Je me suis exilé au Canada après l assassinat odieux de feu le président Beshir Gemayel , pour oublier mon chagrin et les plaies de mon pays Après 14 ans d université et 30 ans de carrière que Je qualifiierai de bien réussie , l attraction magnétique de Beyrouth n a jamais été aussi puissante . Je dirai à tous les prochains partants , vous ne faites que commencer à souffrir , car le cri du Liban résonnera tous les soirs dans vos oreilles tél un tinnitus interminable, un leitmotive inexhorable

Robert Moumdjian

06 h 15, le 12 juillet 2020

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Commentaires (1)

  • Je me suis exilé au Canada après l assassinat odieux de feu le président Beshir Gemayel , pour oublier mon chagrin et les plaies de mon pays Après 14 ans d université et 30 ans de carrière que Je qualifiierai de bien réussie , l attraction magnétique de Beyrouth n a jamais été aussi puissante . Je dirai à tous les prochains partants , vous ne faites que commencer à souffrir , car le cri du Liban résonnera tous les soirs dans vos oreilles tél un tinnitus interminable, un leitmotive inexhorable

    Robert Moumdjian

    06 h 15, le 12 juillet 2020

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