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Nos Lecteurs ont la Parole

La pensée de Veblen et le contexte libanais

L’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929) estime que la vanité humaine pousse certaines sociétés à consommer futilement et outrageusement dans le but d’impressionner les autres plutôt que de satisfaire des besoins vitaux intrinsèques, un phénomène qu’il dénomme « la consommation ostentatoire ». Dans de telles sociétés vaniteuses, il ne suffit pas de consommer pour parer à l’indispensable ou simplement se faire plaisir. Il est tout aussi important d’afficher facétieusement une prodigalité exagérée et superflue dans le but de gagner l’estime des autres et ainsi gravir les échelons du statut social. Veblen prédit que la société qui pratique massivement et allègrement la consommation ostentatoire finirait tôt ou tard par s’effondrer et basculer dans la misère. Bien qu’éminemment brillant, Veblen était une figure hautement controversée en son temps. Il fut donc rejeté par ses pairs. Plus de cent ans plus tard, force est de constater que la pensée de Veblen est non seulement valide, mais aussi intemporelle.

Le contexte libanais représente un laboratoire idéal pour tester le bien-fondé de la théorie de Veblen. Durant des décennies, la société libanaise a vécu bien au-delà de ses moyens. Alors que le salaire moyen de la population oscille autour de 800 dollars par mois, il est devenu monnaie courante de voir de nombreuses personnes au Liban s’endetter pour avoir un train de vie plus luxueux et plus fastueux que le voisin d’en face. Alors on dépense à tout-va sur les anniversaires, les mariages, les communions et les baptêmes. On fanfaronne, on se déguise, on danse et on chante à tue-tête. On s’y met aussi de la fête durant la Saint-Valentin, la Saint-Sylvestre et la Sainte-Barbe. Les réjouissances sont si nombreuses et si fastueuses qu’on ne sait plus à quel saint se vouer. L’extrême forme de prodigalité est de mise car elle représente l’emblème suprême de la réussite sociale. Chaque souche sociale tente farouchement d’émuler la classe supérieure tout en se démarquant dédaigneusement de la classe inférieure. Dans cette grande foire de la vanité, dans cette hystérie de masse, le verbe « avoir » se conjugue bien plus fréquemment et facilement que le verbe « être ».

Hélas, nous réalisons un peu trop tard que ce mode de vie n’est en fait qu’une fourberie éphémère, une illusion spécieuse, un mirage saharien. Aujourd’hui, le seuil de la pauvreté dans le pays se rapproche du chiffre fatidique de 60 % de la population. De nombreux ménages croulent sous les dettes et vivent dans le dénuement. Impuissants, ils voient leurs épargnes désespérément fondre comme neige au soleil dans les coffres virtuels des banques brinquebalantes. Ils sont amers et furieux d’avoir été menés en bateau pendant qu’ils travaillaient jour et nuit comme des bêtes de somme.

Cependant, dans ce tableau sombre digne des œuvres de Soulages, il reste encore une lueur d’espoir. Contre vents et marées, le Liban demeure un pays généreux qui exalte une formidable chaleur humaine et où il fait bon de vivre. Mis à part le nettoyage de fond en comble d’une écurie politique poisseuse à l’odeur nauséabonde, le Liban a besoin d’une forte dose d’un remède thérapeutique qui a pour nom composé « Humilité-Sobriété ».

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929) estime que la vanité humaine pousse certaines sociétés à consommer futilement et outrageusement dans le but d’impressionner les autres plutôt que de satisfaire des besoins vitaux intrinsèques, un phénomène qu’il dénomme « la consommation ostentatoire ». Dans de telles sociétés vaniteuses, il ne suffit...

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