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Culture - Littérature arabe

Rahim Hassaoui, de l’absurdité des guerres à la fraternité des marginaux...

Dans « Mammar al-mouchat » (Le passage piéton – Hachette-Antoine –168 pages), le romancier syrien pousse un cri de révolte contre la guerre tout en exprimant sa tendresse envers les marginaux des patries perdues, ces nouveaux damnés de la terre étrangers à eux-mêmes et aux autres.

Rahim Hassaoui, de l’absurdité des guerres à la fraternité des marginaux...

« Mammar al-mouchat » de Rahim Hassaoui : un roman choral d’une stridente modernité sur le désarroi de vivre.

Rahim Hassaoui, né en Syrie en 1980, appartient à cette jeune génération d’écrivains qui n’ont pas pu totalement échapper à la guerre, aux ruines, à l’exode, au despotisme sanglant, à la violence aveugle. Mais la volonté de se battre pour un meilleur lendemain – en dépit d’une certaine marginalisation, par-delà tout le mal gratuit inutilement encaissé – n’en est pas moins vive, louable et perceptible. Perceptible dans une écriture qui fouille en profondeur le cœur humain et la douleur de (sur)vivre, pour en dévoiler les sources d’énergie inépuisable et les besoins d’intégration. Cette dénonciation crue de l’absurdité, la perdition, l’errance, l’aridité des terres brûlées, se fait à travers une écriture arabe simple, mais parfaitement moderne émaillée d’un soupçon de poésie…

Tandis que la Syrie, depuis 2011, basculait dans l’horreur, le démantèlement, le « djihadisme » le plus odieux, l’enfer des armes de tous calibres, les dérives d’un pouvoir dictatorial, comme un enfant effrayé par tant de fracas, Rahim Hassaoui s’est réfugié dans la lumière des théâtres, pour donner chair, voix et répliques à ses personnages inspirés d’un quotidien perturbé (et perturbant !).

Si son expérience dramaturgique est réussie, il se heurte néanmoins aux nombreux problèmes pratiques du monde des planches que les comédiens, metteurs en scène et salles de spectacles affrontent dans une situation sociale précaire.

Entre-temps, le goût pour l’écriture s’est ancré en profondeur dans l’esprit et la plume de Hassaoui qui a trouvé dans le roman une vraie bouée de sauvetage, surtout après son exil en Turquie.

L’auteur possède aujourd’hui à son actif six œuvres aux narrations différentes. Il y aborde plusieurs thèmes, du faux suicide à la solitude, en passant par l’éloignement des terres natales, tout en n’omettant jamais la dimension d’un témoignage virulent et abrasif sur une société qui a basculé dans l’anarchie, ou qui se débat dans sa quête d’une véritable identité.

Son premier opus dramaturgique en 2010, intitulé Sayidatt al-3aness avait retenu l’attention du Prix littéraire Cheikh Zayed et son roman al-Panda a été accueilli par les critiques les plus favorables.

Aujourd’hui, il signe un roman règlement de comptes. Entre répliques savamment ourlées, dialogues acides et tendres, personnages hauts en couleurs, mais meurtris (à l’âme et au corps !), l’écrivain traduit un malaise et une peur de vivre. Ceux des exilés pris dans les rets d’une marginalisation aux allures d’enfer moderne où le mal est omniprésent. Des citadins dépouillés de leurs souvenirs, qui ont perdu toute notion de véritable référence et identité. Comme dans un univers où la mémoire se brouille et dérange…

Un roman choral et d’une stridente modernité sur le désarroi de vivre, avec en toile de fond l’injustice, l’errance, le déracinement et les tristes aléas de la vie. Dans un souffle contradictoire mêlant joie et tristesse de la marginalité.

Entre Berlin et Naples

Le roman emmène le lecteur à Berlin, incarnation des cités où pullulent les marginaux, et à Naples, port méridional aux habitants frappés de chômage. Ses personnages aux multiples nationalités et identités content leurs luttes et leurs combats incessants pour arracher des moments de paix, de sérénité et d’équilibre à un quotidien constamment menacé, même par le souvenir douloureux du passé. Ils croisent leur destin et destinée comme sur une carte du tendre aux tracés à la fois dangereux et poreux. Destin et destinée qui se font et se défont au gré des rencontres, de ce qui est permis ou défendu, comme à travers l’orchestration des feux de signalisation. Ces feux qui garantissent sécurité, mouvement en masse ou marche solitaire, en toute rapidité ou nonchalance. Avec cette image routière, illustration presque parfaite de l’agissement et du comportement civique de l’individu, l’auteur jette ses créatures de fiction telles des marionnettes sur le damier de la vie. Et c’est là l’essence de ce roman volubile (presque bavard mais joliment !), aux teintes colorées, brassant en un récit presque court et haletant une brochette de personnages aussi bien européens qu’africains ou levantins. À Berlin, incarnation d’une mégalopole où grouillent les milieux interlopes, s’ébat un groupe de jeunes gens de tous bords : Noah le Nigérien, Catherine l’Allemande, et puis Carlo, Fabio, Ricardo, Roselyn, tous Italiens. L’auteur présente ici un tir groupé de portraits insolites qui évoluent entre cafés-trottoirs, studettes, petits emplois, oisiveté, besoin de glander, aimer et rêver…

Sans forcément une ligne de narration claire ou précise, la trame s’étend comme une anarchique toile d’araignée pour parler de l’absurdité et la dictature des frontières où la vie devient une fragile branche d’olivier, un brin d’espoir à préserver comme le souffle d’une bougie chancelante… Un chassé-croisé de sentiments et d’émotions où le passé des actants resurgit et rattrape un présent déjà vacillant. L’ombre d’un crime il y a trente ans à Naples hante ce microcosme de société qui se débat déjà pour sa vie et sa survie.

Entre les intermittences du cœur, le réseau des complexes générés par la stridence de la vie contemporaine et les événements anodins qui se succèdent et se chevauchent, les personnages, comme dépassés par ce qui leur arrive, baignent dans un monde étrange.

Suspense, crime, changements d’horizons et passions non partagées font la tessiture de ce roman grinçant et nerveux, écrit dans une langue arabe au lyrisme contenu. Et jamais la parole n’arrive à exprimer directement ou avec emphase cet état de désarroi. Nul ne parle de la notion du bonheur ou de la paix intérieure dans ces pages. Et l’héroïsme semble bien loin de la portée de ces personnages, authentiques anti-héros, comme emprisonnés dans la nasse d’un piège invisible…

Livre sombre et ténébreux, et néanmoins bouleversant avec sa prose allusive, affichant une fausse indifférence qui laisse transparaître une sensibilité d’écorché vif. Et une attente de la compassion des lecteurs.

En signant le mois dernier son ouvrage au café Kotti, vieux lieu de croisements, unique en son genre, des milieux les plus improbables et multiculturels au cœur du quartier Kreuzberg à Berlin, Rahim Hassaoui, qui voulait aller à la rencontre de ses lecteurs inconnus, n’en déclarait pas moins aux premières lignes de son roman, qu’écrire, après tout, n’est qu’une banale tâche journalière dont on peut bien se passer pour un moment de méditation ou le temps de se prélasser au soleil… Belle formule, faite de poésie et de légèreté, pour aborder une littérature loin de toute lourdeur ou prétention. Mais qui n’en dit pas moins sur la gravité et l’importance du témoignage de l’écriture sur une réalité bien cruelle…

« Mammar al-mouchat » de Rahim Hassaoui (édition Hachette-Antoine – 167 pages) disponible en librairie.


Rahim Hassaoui, né en Syrie en 1980, appartient à cette jeune génération d’écrivains qui n’ont pas pu totalement échapper à la guerre, aux ruines, à l’exode, au despotisme sanglant, à la violence aveugle. Mais la volonté de se battre pour un meilleur lendemain – en dépit d’une certaine marginalisation, par-delà tout le mal gratuit inutilement encaissé – n’en est pas...

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