Critiques littéraires Récit

Les confessions d'un repenti

Les confessions d'un repenti

D.R.

J’ai payé Hitler de Fritz Thyssen, Nouveau Monde éditions, 2019, 331 p.

Le destin de Fritz Thyssen (1873-1951) est étonnant, pour ne pas dire extraordinaire. Héritier du groupe éponyme, il est l'un des magnats allemands les plus riches de son temps. Officier pendant la guerre 14-18, il est – fait capital pour expliquer son évolution future – désespéré par le péril communiste et l’anarchie de 1919. Négociateur à Versailles, il s’oppose en vain à la signature du traité qu’il juge inique. En 1923, comme la France et la Belgique envahissent la Rhénanie pour obliger l’Allemagne à payer, il organise, avec d’autres industriels, la résistance passive, en vain, là aussi.

 

Il se rapproche alors du général Ludendorff, figure militaire populaire, qui lui présente Adolf Hitler. Convaincu que celui-ci est le seul capable de lutter contre le communisme et de redresser l’Allemagne, il va l’aider financièrement et le présenter à d’autres industriels. En 1931, il entre au parti et soutient activement, avec d’autres magnats, la candidature d’Hitler au poste de chancelier. C’est chose faite le 30 janvier 1933 : le loup est entré dans la bergerie.

 

À partir de cette date, l’enthousiasme de Thyssen se refroidit peu à peu. La déclaration de la guerre en 1939 est le coup de grâce : il s’exile en Suisse. Le régime nazi le déchoit de sa nationalité et l’exproprie. Ce n’est qu’à son installation en France, en avril 1940, qu’il accepte la proposition d’Emery Reves, un éditeur britannique célèbre, proche de Churchill, de lui dicter ses mémoires.

Ce sera J’ai payé Hitler, publié en 1941 après la défaite française, et qui est réédité aujourd’hui, avec une préface de Marc Ferro. Entre-temps, Thyssen a été livré par Vichy aux autorités allemandes qui l’envoient (certes avec des conditions privilégiées) en camp de concentration. Il est libéré de Dachau en 1945. Malgré sa défection héroïque de 1940, les alliés l’emprisonnent et le condamnent en 1948 à verser 15% de sa fortune en guise de dédommagement aux victimes de guerre. Pour le reste, il est acquitté et meurt en 1951 en Argentine auprès de la famille. Destin assez extraordinaire, on en conviendra.

J’ai payé Hitler est une confession. Thyssen y explique les raisons de sa déraison. Aveuglé par son nationalisme, il avoue s’être fourvoyé. Hitler a été suffisamment malin pour lui faire entendre ce qu’il voulait entendre.

 

Si l’on est touché par l’honnêteté du « pénitent », on reste confondu par sa naïveté, sans pouvoir s’empêcher de penser que celle-ci a été un peu volontaire. Mein Kampf avait été en effet publié en 1924. Tout y était, et il l’a forcément lu. Il savait donc, lui qui n’était pas antisémite, combien Hitler l’était. Mais, comme l’a montré l’historien Kershaw, beaucoup d’Allemands n’ont pas pris au sérieux cette face sombre du nazisme. Thyssen était de ceux-là. Il avoue : « Je l’ai regardé (l’antisémitisme) comme une concession pas trop dangereuse au sentiment public (…). Dans la région dont je suis originaire (…) ce genre de stupidité suscitait l’ironie aux dépens des nazis. » Fatale erreur. De même, alors que Thyssen est profondément catholique, il n’a pas compris la haine, là encore, qu’Hitler portait à cette religion.

Ce n’est qu’avec la nuit de Cristal, en 1938, premier pogrom du régime contre les juifs allemands, qu’il ouvre enfin les yeux. « Ah, quel cinglé, j’ai été ! », ne cesse-t-il de dire à l’éditeur. J’ai payé Hitler est un réquisitoire implacable et passionnant. Furieux d’avoir été trompé, Thyssen y détaille, parfois avec humour, l’incurie des pontes nazis qu’il n’a pas voulu voir, et l’absurdité des mesures économiques qui sont prises, devant fatalement, explique-t-il, conduire à la défaite.

 

Mais il est difficile pour un homme d’assumer complètement ses erreurs. Les justifications qu’il leur apporte sont parfois assez maladroites. Ainsi, écrit-il, « les défauts du nazisme ne tiennent pas au parti lui-même mais à certains de ses dirigeants », laissant entendre que tout n’était pas à jeter… Concernant la guerre à laquelle il s’oppose, il dit néanmoins qu’elle est venue trop tôt (la jugeait-il au bout du compte nécessaire ?). « Hitler perdra la guerre, écrit-il, et ce sera de sa faute. »

J’ai payé Hitler, même si certains historiens ont noté que Reves a pu y ajouter des passages de son cru, reste un témoignage indispensable à ceux qui veulent comprendre comment certains Allemands éduqués ont pu sombrer avant de se reprendre...

J’ai payé Hitler de Fritz Thyssen, Nouveau Monde éditions, 2019, 331 p.Le destin de Fritz Thyssen (1873-1951) est étonnant, pour ne pas dire extraordinaire. Héritier du groupe éponyme, il est l'un des magnats allemands les plus riches de son temps. Officier pendant la guerre 14-18, il est – fait capital pour expliquer son évolution future – désespéré par le péril...

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