Le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, a expliqué lundi qu'il avait fait le choix de démissionner du poste qu'il occupe depuis 2000 car il "refuse d'être complice de ce qui se passe", estimant que le Liban était aujourd'hui dans une "impasse". Il a défendu le plan de sauvetage économique du gouvernement, sur la base duquel ce dernier sollicite une aide financière auprès du Fonds monétaire international (FMI), mettant en cause "les forces de l'injustice qui se sont liguées" pour le faire avorter.
"Nous sommes arrivés à une impasse (...) J'ai choisi de démissionner car je refuse d'être le complice ou le témoin de ce qui se passe", a affirmé le numéro deux du ministère des Finances lors d'une conférence de presse au Club de la presse à Beyrouth, ajoutant qu'il restait "très peu de temps" pour redresser la situation économique du pays.
"Nous sommes désormais dans une période décisive. Aujourd'hui, les intentions de tous ceux qui ont fui leurs responsabilités sont apparues au grand jour", a-t-il déclaré, affirmant que "les forces de l'injustice se sont liguées pour faire avorter le plan de sauvetage économique du pays". "Le conflit qui fait rage aujourd'hui oppose les détenteurs d'intérêts aux victimes de ce système et ceux qui œuvrent au changement", a-t-il affirmé.
Membre de l'équipe de négociations avec le FMI, Alain Bifani est également l'un des architectes du plan de relance élaboré par le gouvernement, qu'il a longuement défendu. "Le Liban a élaboré un plan acceptable, d'autant qu'il est devenu évident que cette fois-ci, il est devenu impossible pour le pays d'obtenir de l'argent sans la mise en œuvre d'un grand plan de réformes", a-t-il déclaré. Dans ce cadre, il a assuré que le chiffrage du montant des pertes accumulées par le Liban (État, Banque du Liban et secteur financier) par le gouvernement étaient bons, appelant à "cesser les polémiques byzantines".
Il a également rejeté les attaques contre ce plan, accusé d'instituer un "haircut" (ponction des dépôts), rappelant que le programme du gouvernement prévoit le recouvrement des fonds volés à hauteur de 10 milliards de dollars. "Depuis fin 2018, 18,3 milliards de dollars ont été sortis des banques, sans compter les intérêts qui représentent 30 milliards de dollars, dont la plupart proviennent de comptes supérieurs à un million de dollars", a-t-il précisé à cet égard. Il a également réclamé la levée du secret bancaire et la récupération des fonds transférés à l'étranger, rappelant que les grandes fortunes "ont bénéficié pendant des années de taux d'intérêt défiant toute concurrence".
"Face à cette situation et ce temps perdu, je mets en garde contre la conversion des dépôts en livres libanaises et le gel de l'argent des déposants qui diminuerait drastiquement leur valeur", a encore déclaré Alain Bifani, appelant à ne pas faire porter aux petits déposants les pertes du pays. "Ce sont les banques qui sont responsables des dépôts des gens. Ils doivent discuter avec l'Etat et la BDL, et ne pas mettre les déposants en opposition avec eux", a-t-il souligné. "Les Libanais refusent désormais que l'on achète du temps. Cette perte de temps est un crime. Plus on perdra du temps, plus le pouvoir d'achat des Libanais va diminuer, et plus la pauvreté et le chômage vont augmenter", a-t-il prévenu.
Selon la chaîne locale LBCI, M. Bifani va continuer à expédier les affaires courantes, le temps que la question de sa démission, qui sera présentée par le ministre des Finances en Conseil des ministres, soit tranchée.
"Une perte pour le Liban"
Dans un tweet, le coordinateur de l'ONU au Liban, Jan Kubis, a regretté la démission de M. Bifani, "un expert de renommée internationale". "Il s'agit d'une perte pour le Liban alors que le pays traverse une crise générale qui empire rapidement et alors que la directrice générale du FMI ne voit pas de percée dans les négociations" avec les autorités, a souligné le diplomate sur son compte Twitter.
A l'annonce de la démission de M. Bifani, l'ancien ministre druze Wi'am Wahhab a indiqué sur Twitter que le numéro deux du ministère des Finances "a reçu des menaces de la part d'un chef de parti qui a des centaines de milliers de dollars gelés dans les banques et lui a expliqué que cet argent appartenait aux membres de sa communauté". "Les mots ont été durs, en sachant que cet argent est gelé depuis des années et que seuls les propriétaires de cet argent peuvent en bénéficier", a ajouté M. Wahhab qui a toutefois rapidement supprimé son tweet...
Il y a quelques jours, c'est Henri J. Chaoul qui avait défrayé la chronique en quittant l’équipe des négociateurs libanais, dénonçant l’absence "de réelle volonté (de la part des responsables) de mettre en œuvre les réformes" attendues. M. Chaoul assistait, d'ailleurs, à la conférence de presse donnée par M. Bifani, mais s'est refusé à tout commentaire. Cette nouvelle démission intervient en outre alors que deux responsables du FMI, le porte-parole de l’organisation, Gerry Rice, puis la directrice générale de l’organisation, Kristalina Georgieva, ont mis en garde contre les conséquences de l'embourbement du processus de négociation.
commentaires (20)
Monsieur Alain Bifani mérite certainement respect et considération pour la décision qu'il a prise et les motifs qu'il a donnés. Nous aurions toutefois souhaité qu'il désigne nommément les personnes et les partis politiques qui s'emploient à torpiller l'action gouvernementale et leur mode d'action.
Paul-René Safa
13 h 04, le 30 juin 2020