C’est sans ambages que le patriarche maronite Béchara Raï a accusé la présidence de la République d’avoir accentué les divisions dans le pays, rompant ainsi avec une tradition centenaire qui veut que Bkerké représente le soutien moral de la première magistrature. Dans son homélie dominicale à Dimane, siège d’été du patriarcat maronite, Mgr Raï a pointé du doigt les dysfonctionnements qui font obstacle à un accès du Liban aux aides internationales.
Il a commenté en termes très durs les assises nationales de Baabda, qui s’étaient tenues au palais présidentiel jeudi dernier malgré l’absence d’un large éventail de formations politiques. Le patriarche maronite s’en est pris aussi bien à la présidence de la République qu’au gouvernement et a réitéré son appui au mouvement de contestation, exhortant les jeunes protestataires à descendre à nouveau dans les rues et à revenir à l’esprit du 17 octobre, date du début des manifestations populaires contre la classe politique libanaise. Il est vrai que le chef de l’Église maronite multiplie depuis quelque temps ses critiques envers le pouvoir. Mais dans son homélie d’hier, il a particulièrement haussé le ton, s’indignant de « l’isolement du Liban », dans une référence à la grave crise de confiance dont souffre le régime Aoun et, plus généralement, le pouvoir dans son ensemble, face à la communauté internationale à laquelle le Liban a décidé de recourir pour sortir de sa grave crise économique. Une aide conditionnée à une série de réformes que le gouvernement devrait mettre sur les rails dans les plus brefs délais. Sauf que le cabinet, qui se présente comme « issu du mouvement de contestation » et formé « de spécialistes indépendants de la classe politique », continue d’atermoyer sur ce plan, et ce notamment pour des raisons liées à ce que des observateurs appellent « la mainmise du Hezbollah sur la décision gouvernementale ». C’est par ce motif que ces derniers expliquent aussi le non-respect de la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits régionaux.
« Nous appelons le gouvernement à œuvrer pour recouvrir la confiance sur le double plan local et international, et à engager les réformes sectorielles et structurelles exigées par tous, dans les plus brefs délais », a déclaré le patriarche maronite, avant d’exhorter le cabinet à « définir la politique générale du pays conformément à la Constitution, au pacte national, aux constantes et aux principes nationaux ». Il a adressé ce message fort aux pôles du pouvoir : « Nous en avons assez de l’isolement et du parti pris. Nous en avons assez aussi des fuites an avant, au lieu des prises de décisions justes et courageuses pour régler ce que l’on appelle “les divergences” », a-t-il dit, ajoutant : « Nous en avons assez des tentatives de freiner le progrès, de l’appauvrissement de l’État et de la frustration des nouvelles générations. »
Le patriarche Raï semblait ainsi réagir à la léthargie du pouvoir face à la crise actuelle, ainsi qu’à l’appel du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à « se diriger vers l’est », comprendre l’Iran et la Chine, pour sortir de la crise économique.
La rencontre de Baabda
Béchara Raï a parallèlement décoché ses flèches en direction de la présidence de la République pour n’avoir pas bien préparé la table de dialogue tenue jeudi dernier sous la présidence de Michel Aoun, et consacrée à l’examen de la situation sécuritaire et politique du pays, au vu des émeutes observées dans la rue il y a quelques semaines. D’autant que, contrairement à ce qu’avait espéré le chef de l’État, ces assises étaient loin d’être une occasion de rassembler tous les protagonistes autour de lui, quatre anciens Premiers ministres et plusieurs composantes de l’opposition ayant boycotté la réunion. Le communiqué final s’est donc contenté de généralités, sans s’attarder sur les mesures à prendre pour résoudre la crise.
Bien qu’il se soit montré à plusieurs reprises favorable à tout dialogue entre les Libanais, le prélat a déclaré sans détour : « Il faut unifier les efforts pour sauver le pays du danger de l’effondrement, préserver son système démocratique et son régime économique libre (…). C’est ce à quoi nous nous attendions de la rencontre tenue à Baabda le 25 juin. Mais, à cause de la mauvaise préparation, cette rencontre a malheureusement aggravé les clivages politiques, lesquels avaient déjà causé le manque de confiance dans la classe politique, d’où la régression économique, la flambée du dollar et la hausse du taux de pauvreté. » En critiquant les assises de jeudi dernier, le patriarche maronite a fait d’une pierre deux coups : il a tancé le pouvoir en place et la présidence de la République, pourtant traditionnellement et historiquement soutenue par le patriarcat, à quelques exceptions près, notamment durant le mandat d’Émile Lahoud, dont les rapports avec le patriarche Nasrallah Sfeir étaient en dents de scie, voire gelés.
Le chef de l’Église maronite a par ailleurs donné une caution au mouvement de contestation du 17 octobre. En cette année de centenaire du Grand Liban, dont Bkerké est l’un des principaux piliers, le patriarche maronite a appelé les Libanais à poursuivre leur « révolution positive » contre la caste politique. Évoquant l’escalade observée dans la rue, il y a plus de trois semaines, il a refusé d’en imputer la responsabilité aux manifestants, condamnant en revanche « les éléments infiltrés et les casseurs qui on attaqué les propriétés publiques et privées, et défiguré la cause pour laquelle a été déclenchée la révolte du 17 octobre ».
Il reste que Mgr Raï n’a pas manqué de saluer courtoisement l’initiative de Michel Aoun, lui proposant la tenue d’un congrès national, en collaboration avec les pays amis du Liban, pour qu’il puisse faire face aux défis et se réconcilier avec le monde arabe et la communauté internationale.
Provenant du chef de l’Église maronite, ces prises de positions fortes et significatives reflètent une profonde crise de confiance dont souffre le mandat sur le double plan local et international. D’autant qu’elles interviennent à l’heure où le Courant patriotique libre, principal appui du régime, semble secoué par des secousses liées aux récentes divergences autour du plan de sauvetage économique et où le cabinet est de plus en plus décrié par les contestataires.
Aussi bien les milieux de Baabda que ceux du CPL n’ont pas jusque-là souhaité réagir aux propos de Mgr Raï. Mais les aounistes reconnaissent que le pays est isolé de son entourage, critiquant le retard mis par le gouvernement à opérer les réformes. Ils assurent toutefois qu’il n’est pas question pour le moment de chercher un substitut au Premier ministre Hassane Diab.
De son côté, la présidence de la République a fait savoir à L’Orient-Le Jour que le chef de l’État prépare de nouvelles rencontres qui devraient se tenir prochainement, comme on peut lire dans le communiqué final de la rencontre du 25 juin. Les sources proches de Baabda n’ont toutefois pas répondu explicitement à l’appel de Mgr Raï à un congrès national.
commentaires (8)
Au point où en est notre pays...ni congrès national ou autres dialogues...ne réussiront à le sauver ! Il n'y a qu'une solution= renvoyer chez eux définitivement tous ceux qui nous ont plongés dans cet enfer. T O U S...du plus haut placé jus'qu'au plus petit, y-compris les soi-disant "résistants" iraniens divins sur notre sol libanais !!! Il y a plein de vrais Libanais capables de diriger notre pays ! Irène Saïd
Irene Said
17 h 08, le 29 juin 2020