« Nul n’a le droit de toucher à ces pierres, sauf le temps », avait écrit Constantin-François Volney (1757-1820). Ce n’est pas un hasard si cette citation du philosophe et orientaliste français figure au tout début du cahier personnel de Ali el-Husseini, propriétaire de l’hôtel Palmyra, où il rassemble des bribes d’images et de souvenirs de l’établissement dont il a fait acquisition en 1985. On croirait même volontiers que cette phrase de Volney a été dédiée au Palmyra, tant les gardiens du lieu se sont éreintés à le faire survivre, sans jamais le dépouiller de son passé, jusqu’à le transformer en une sorte de sésame qui nous transporte, dès lors qu’on en franchit le lourd portail dévoré par du lierre, vers un paradis en dehors de notre temporalité. Seule la main du temps s’est donc chargée de broder sur les pierres du Palmyra 150 ans de mémoire(s) qui ne sont que le reflet de celle du Liban…
Les yeux du Palmyra
C’est donc en 1874 qu’a été posée la première pierre de l’hôtel, lorsque Perikili Mimikakis, un Grec de Constantinople, pense créer un refuge où les pèlerins affluant d’Occident pourraient poser leur fatigue avant de reprendre leur périple vers Jérusalem. Avec la Première Guerre mondiale, Mimikakis passe les clefs du Palmyra à Michel Alouf qui, à son tour, le fera hériter à son petit-fils Michel. Lequel, encombré par une gestion de plus en plus compliquée à cause de la guerre civile qui secouait le Liban, et en l’occurrence la plaine de la Békaa, décide de s’en débarrasser en 1985. Originaire de la région, Ali el-Husseini y voit alors tout un pan de la mémoire de Baalbeck menacé de disparition. « Il s’était dit que cet établissement incarne la mémoire de la région, et aussi une partie de celle du Liban. Il fallait absolument le préserver. Comme le chemin a été rude depuis... » confie sa femme Rima qui, depuis son mariage avec Ali, tient les rênes de l’hôtel mais se décrit plutôt comme « une messagère passionnée, tout simplement ».
À ses casquettes d’avocate, de professeure à la LAU et de danseuse de flamenco, elle a ajouté celle de gardienne d’un trésor national dont les secrets sont conservés au creux d’un imposant livre d’or qui trône à la réception. En en parcourant les pages, ou sinon en traversant le long couloir qui mène vers la salle à manger, on croise les spectres du dernier empereur allemand Guillaume II, de Charles de Gaulle, de François Georges-Picot, de Mustafa Kemal Atatürk, du chah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi, d’Albert Einstein, ou encore ceux de certaines légendes de l’art qui ont foulé la scène du Festival de Baalbeck, notamment Joan Baez, Ella Fitzgerald, Herbie Hancock, Feyrouz, Fanny Ardant et particulièrement Nina Simone dont Rima el-Husseini garde un souvenir particulier. « C’était en 1998, il a fallu la porter sur une chaise vers sa chambre dans l’annexe. Je n’oublierai jamais cette rencontre magique, comme d’ailleurs toutes celles qui font le roman du Palmyra. Elle avait demandé une caisse de Veuve Clicquot rosé avant son entrée en scène, et il nous a fallu sillonner toute la Békaa pour en trouver... » Impossible également, en grimpant les escaliers de bois qui craquent sous les pieds, de ne pas voir l’empreinte poignante qu’a laissée Jean Cocteau après ses deux séjours au Palmyra, en 1956 et 1960. Il suffit de pousser la porte de la chambre 27 pour découvrir, soufflé sur un mur comme une poussière d’étoiles, le Salut amical de Cocteau, orné d’une esquisse d’un visage aux yeux troubles et troublés. « Comme chacun des visiteurs, ce personnage semble regarder les temples de Baalbeck avec les yeux du Palmyra. Voilà, en quelques mots, l’expérience qu’offre notre établissement », s’émeut la gérante du lieu.
Une bataille de plus
Cela dit, face à ce castelet de figures historiques qui semblent avoir déposé une partie d’eux-mêmes au détour des 25 chambres de l’hôtel (et des 5 qui en constituent l’annexe), elle nuance : « Ce n’est pas leur notoriété qui nous impressionne autant que l’engouement et l’attachement qu’ils ont démontré vis-à-vis du Palmyra. Ça ne peut que nous donner envie de continuer et nous battre. » Une bataille de taille, comme les commentaires à répétition de ceux qui, débarquant à l’hôtel, cherchent le minibar, l’air conditionné et l’hyperconfort de rigueur dans les palaces de notre époque, en ignorant que la notion de luxe du Palmyra se joue ailleurs, élégamment et sobrement, dans la capacité qu’a ce lieu de nous embarquer vers un temps en dehors de notre temps. Ou à travers la magie qui opère dans chacun des recoins où s’est scellé un fragment de l’histoire de notre pays, notamment la déclaration du Grand Liban signée en 1920 à l’intérieur même de l’hôtel. « J’ai toujours reçu beaucoup de commentaires du genre : il faut retaper telle ou telle chose, il faut changer, il faut moderniser. Mais plus le temps passait, et plus je me sentais déterminée à faire l’inverse, c’est-à-dire conserver ce lieu tel qu’il est, en y modifiant le côté technique, tuyauteries, chauffe-eau solaire, etc, par souci de confort. Car le Palmyra, c’est cela même : une capsule temporelle », regrette celle qui, dans un effort de continuer à s’engager pour la ville de Baalbeck, a également monté un dispensaire pour femmes.
D’autre part, « le problème est aussi que la région a toujours été associée à des conflits, alimentant une certaine peur auprès du public qui venait assister aux concerts, mais se pressait de rentrer à Beyrouth », poursuit Rima el-Husseini pour qui le silence qui trame le quotidien du Palmyra aujourd’hui n’est pas inhabituel. « Cela va peut-être sembler étrange, mais nous avons connu depuis des années ce que le pays vit actuellement. Il suffit d’un incident dans la région pour que l’hôtel se vide. Cette crise nous paraît comme la crise de plus, peut-être de trop, mais que nous réussirons à surmonter. »
Car si aujourd’hui l’hôtel prend de plein fouet les effets de la crise sociopolitique libanaise, doublée de celle, sanitaire, liée à la pandémie de coronavirus, et si Ahmad, l’iconique maître d’hôtel arrivé à l’âge de 9 ans et qui a officié pendant 77 ans, est décédé en septembre dernier, emportant avec lui les secrets murmurés de Bacchus, Vénus et Jupiter, ainsi que les souvenirs de toute une époque, Ali et Rima el-Husseini ont une ferme promesse à (nous) faire : le Palmyra ne fermera jamais…
commentaires (4)
Dans la brochure de DestinationLebanon.com (maintenant destinationlebanon.gov.lb) je pense que cet hotel est "lieu d'interet pour visiter", sur le plan de Baalbeck (vue son passee et son lien avec l'histoire du Liban); il y a aussi une remarque que les archeologues pensent ou savent que 'un theatre romain' (les ruines) se trouvent en bas de l'hotel. Au Liban il n'y a pas bcp d'espace et presque toute maison est sur une couche de milliers d'histoire je pense.
Stes David
13 h 10, le 30 juin 2020