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Être noir au Liban, un combat quotidien contre le racisme

« Cela ne me gêne pas qu’on dise que je suis noire, c’est la vérité. Mais me faire traiter d’esclave est insultant », confie la présentatrice de télévision Dalia el-Ahmad à « L’Orient-Le Jour ».

Être noir au Liban, un combat quotidien contre le racisme

« C’est quand j’ai commencé ma carrière dans le journalisme que j’ai su ce qu’était le racisme », raconte Dalia el-Ahmad.

« Nous ne donnons des dollars qu’aux Libanais. Où est votre “madame” ? » Devant un bureau de change à Beyrouth, Ubah Ali, une jeune Somalienne, écoute le changeur sans s’énerver. C’est sur Twitter que l’étudiante en sciences politiques et droit international à l’Université américaine de Beyrouth laisse éclater sa colère. « Aux Libanais qui présument que je suis une employée de maison, ne me demandez pas où est ma patronne. Je suis malade et fatiguée de devoir supporter vos commentaires racistes et absurdes », écrit-elle sur la plate-forme, déclenchant une vague d’excuses de la part d’internautes libanais honteux et confus. Après la mort de l’Afro-Américain George Floyd, asphyxié par un policier blanc au Minnesota le 25 mai dernier, le mouvement de protestation qui a débuté aux États-Unis au cri de « Black Lives Matter » s’est rapidement étendu au-delà des frontières américaines. Avec plus ou moins de bonheur. Ainsi, au Liban, la chanteuse Tania Saleh, comme d’autres vedettes de la chanson et du cinéma arabes, s’est grimée de noir pour exprimer sa solidarité avec « toutes les races ». Cette pratique du « blackface » désormais assimilée à une forme de racisme, un problème prégnant au Liban, a suscité de virulentes critiques. Notamment de la part de Lama el-Amine, une artiste et réalisatrice libanaise dont la mère est africaine. Dans une vidéo sur Instagram, elle s’en est pris à la chanteuse, estimant qu’avant de soutenir les Noirs américains, elle ferait mieux de les soutenir dans son pays. « Au départ, je n’ai pas réagi, car les internautes lui demandaient de supprimer la photo, raconte-t-elle. Mais quand elle ne l’a pas fait, cela m’a choquée, car c’est une artiste connue et appréciée qui dit avoir travaillé avec des artistes noirs. J’ai senti l’insulte, moi la femme noire libanaise. » Dans sa vidéo qui a fait le buzz sur internet, Lama el-Amine raconte son expérience ordinaire du racisme depuis son enfance au Liban : les autres enfants agressifs à son égard, le mépris dans la rue, en taxi ou à l’aéroport...

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Quand elle était toute jeune, Lama el-Amine se souvient avoir été en voiture avec la mère d’une amie de classe. Une voisine les avait arrêtées au passage, demandant à la maman : « Tu as cherché une nouvelle (bonne)? Elle est trop jeune pour nettoyer la maison! » raconte la jeune femme à L’OLJ. « Au Liban, le racisme existe depuis longtemps, comme partout dans le monde d’ailleurs, regrette Lama. On ne veut pas généraliser, mais j’ai toujours dit que les Libanais sont racistes et pensent que cela est normal. Ils sont même racistes à l’égard des Syriens par exemple. » « Je pense que c’est une mentalité ancrée dans le féodalisme, celle de posséder une terre et les gens qui y travaillent. Comme le système de la kafala qui est tout simplement de l’esclavage, et qui doit s’arrêter », poursuit-elle.

Le Mouvement antiracisme libanais dénonce depuis des années le système de garant, kafala, jugé injuste, inhumain et qui soumet le travailleur étranger à un régime de droit séparé du droit du travail appliqué pour les Libanais.

« Nous avons besoin de prise de conscience humaine dans ce pays, d’ouverture, d’éveil », estime l’artiste. « Nous allons essayer de sensibiliser la nouvelle génération dans les écoles, surtout avec ce qui se passe actuellement aux États-Unis », promet-elle.


Ubah Ali, étudiante à l’AUB, a été confrontée au racisme dès son arrivée au Liban en 2017.


« Parfois je regrette ma venue au Liban »
Dans les universités, le problème se pose moins, estime Ubah Ali qui a été confrontée à des réactions racistes dès son arrivée à Beyrouth, en 2017. « Le premier jour à l’aéroport, l’agent de sécurité m’a demandé de me placer dans la file d’attente des employées de maison, se souvient-elle. J’ai obtempéré, perdue, car je ne comprenais pas. Il m’a ensuite dit qu’il fallait que je contacte “mon maître” pour qu’il vienne me chercher. Quand il a compris que je venais au Liban pour faire des études, il était choqué. » La jeune fille doit obtenir son diplôme de l’AUB dans un an. « Avant de venir à Beyrouth, je ne savais pas grand-chose à propos du Liban. J’ai fait ma scolarité aux États-Unis où je n’ai pas pu rester à cause de mes papiers. J’ai donc postulé à différentes universités. » À l’AUB, Ubah Ali assure qu’elle ne vit jamais ce genre de mésaventures, mais que les choses se compliquent quand elle quitte l’enceinte de l’université. « Les gens pensent immédiatement que je suis une employée de maison. Dans les magasins, les vendeurs ont parfois peur que je ne vole quelque chose, dit-elle. Une amie de mes amies, originaire du Rwanda, s’est fait éconduire par un vendeur dans un magasin sous prétexte “qu’il était trop cher pour elle”. Tant que les gens pensent que des personnes de couleur ne peuvent être éduquées et qualifiées pour faire autre chose dans la vie que le ménage par exemple, et qu’ils ne reconnaissent pas la diversité dans ce monde, la ségrégation continuera malheureusement d’exister. »

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Pour l’étudiante, « les Libanais doivent comprendre que les humains sont égaux ». « Cela revient à l’éducation à la maison, et la façon dont les employées de maison sont traitées », déplore-t-elle. « Quand les Libanais apprennent que je suis étudiante à l’AUB, ils changent de ton. C’est pourquoi, exprès, je n’utilise jamais ma carte étudiante. Je veux être respectée pour ce que je suis en tant qu’être humain. C’est le droit de chacun », poursuit Ubah, qui assure cependant que son expérience avec le racisme n’est pas uniquement liée au Liban. « Même mes amis syriens sont racistes, c’est quelque chose en rapport peut-être avec le Moyen-Orient, dit-elle. C’est étrange pour des personnes qui sont également victimes de racisme et de stéréotypes liés au terrorisme dans d’autres pays. » Et d’ajouter : « Au Liban, les minorités doivent parler et le racisme ne peut être normalisé. Même si je souhaite le meilleur à ce peuple résilient et fort, parfois je regrette d’être venue au Liban. »


Lama el-Amine, jeune artiste libanaise engagée, assimile le racisme à une « mentalité ancrée dans le féodalisme ».


Un complexe d’infériorité ?
Présentatrice vedette à la télévision al-Jadeed, Dalia el-Ahmad estime pour sa part que le racisme au Liban peut être expliqué de différentes manières. « C’est une histoire de lutte de classes, dit la journaliste soudanaise. Mais c’est aussi un problème à différents niveaux, tel que le niveau confessionnel. C’est peut-être cette peur de l’autre, ce complexe d’infériorité qui fait que nous voulons supprimer les autres, car nous sommes nous-mêmes faibles et opprimés. »

« J’ai bâti toute ma vie au Liban, raconte la jeune femme. Mais c’est vraiment quand j’ai commencé ma carrière dans le journalisme que j’ai su ce qu’était le racisme. Pas à cause de mes collègues, mais à travers les réactions du public. Quand on n’approuve pas ce que je dis, on s’en prend immédiatement à la couleur de ma peau. Cela ne me gêne pas qu’on dise que je suis noire, c’est la vérité. Mais me faire traiter d’esclave est insultant. » « Malheureusement, poursuit-elle, au Liban, on dénigre des personnes par racisme. À l’intérieur même de nos maisons, on s’en prend aux employées de maison, alors que la maison devrait être le lieu où tout commence, surtout l’éducation. »

« Nous ne donnons des dollars qu’aux Libanais. Où est votre “madame” ? » Devant un bureau de change à Beyrouth, Ubah Ali, une jeune Somalienne, écoute le changeur sans s’énerver. C’est sur Twitter que l’étudiante en sciences politiques et droit international à l’Université américaine de Beyrouth laisse éclater sa colère. « Aux Libanais qui présument que...

commentaires (14)

Le racisme, signe d'ignorance et de sous développement. Les libanais que nous sommes avons dans notre DNA toutes les races du monde et tous sont nos frères et sœurs!! Gibran écrivait pour l'humain quelque soit sa couleur et son origine! Notre hymne National nous élève bien au delà des différences...ce racisme est honteux

Wlek Sanferlou

15 h 34, le 08 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • Le racisme, signe d'ignorance et de sous développement. Les libanais que nous sommes avons dans notre DNA toutes les races du monde et tous sont nos frères et sœurs!! Gibran écrivait pour l'humain quelque soit sa couleur et son origine! Notre hymne National nous élève bien au delà des différences...ce racisme est honteux

    Wlek Sanferlou

    15 h 34, le 08 août 2020

  • C'est la faute à "Al Moutanabi" et son poème satirique et raciste inoculant au monde arabe cette phobie, qui arrangeait bien le négrier de l'époque.

    DAMMOUS Hanna

    12 h 51, le 08 août 2020

  • Une nation d'orgueils brisés, de rêves écrasés. Tous prisonniers et souvent doublement prisonnières. Quelle chance alors de trouver plus faible, plus miséreux que soi...

    N.S.

    08 h 26, le 08 août 2020

  • Tout ce qui a été dit est vrai et c'est CHOQUANT. Ils doivent très vite changer de façon de voir et de juger les gens. Ce n'est pourtant pas difficile de traiter tout le monde de la même façon et avec respect. Sauf nos politiciens qu'ils faut chasser du pays.

    Georges Zehil Daniele

    20 h 45, le 26 juin 2020

  • "À l’intérieur même de nos maisons, on s’en prend aux employées de maison, alors que la maison devrait être le lieu où tout commence, surtout l’éducation. » Il est bien là le fond du problème. L’éducation des enfants. A partir du moment où on inculque à nos enfants le fait qu'un noir, un jaune un rouge ou un blanc c'est exactement la même race et qu'ils sont tous égaux, l'enfant va intégrer ce qu'on lui dit et en grandissant il aura le même regard sur toutes les races et donc le même respect puisqu'on lui a appris à la maison mais aussi à l'école qu'il n' y aucune différence ni de niveau ni de qualité physique et intellectuel. Combien de nos concitoyens consacrent du temps à l'éducation de leurs enfants afin qu'en grandissant ils ne fassent pas le distinguo que malheureusement on rencontre aujourd'hui même si on essaye de cacher que le racisme est ancré en nous.

    Citoyen

    18 h 23, le 26 juin 2020

  • La chanson de Tania Saleh dont je parlais est "Bala Ma Nsammih" de l'annee 2002. Excellente musique et tres bon video (que je remarque d'aillieurs fait par Nadine Labaki). Je pense que le Liban a des problemes structurels comme partout dans le monde il y en a, mais je ne crois pas qu' il s'agit vraiement de mauvaises intentions de Tania Saleh.

    Stes David

    16 h 03, le 26 juin 2020

  • Dalia el-Ahmad, on aime votre classe et votre beauté...c'est un plaisir de vous écouter et de vous voir ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 46, le 26 juin 2020

  • Avec tout sympathie pour ces 3 gens differents qui racontent comment c'est pour etre noir au Liban, je trouve qu'il ne faut pas pointer le doigt vers Tania Saleh. Peut-etre elle a fait une erreur, mais j'espere acheter ou trouver encore une fois dans ma vie son CD de debut , ce qui n'est pas evident au Liban ... d'abord surtout car j'etais etonne de trouver TRES PEU de point de ventes de CD au Liban. Il semble que la plupart de Libanais font des copies illegals de musique. EN plus j'aime beaucoup la chanson 'Bala man nasmi' de Tania Saleh, je n'y comprends aucun mot, mais j'aime sa facon de combiner la guitarre electrique et le chant, une combinaison tres reussi, c'est une artiste qui est un peu de la scene alternative de Beyrouth on peut dire ... J'ai cherche a l'aeroport et a Spinneys (un supermarche au Liban) on vend des CD 'legals' mais tres peu de Tania Saleh.

    Stes David

    15 h 31, le 26 juin 2020

  • C’est de l’ignorance Le Racisme ne peut être que le fruit de l’ignorance Quand tu t’ouvres a l’autre, à son histoire, à sa Culture, A ses parcours, tu t’ouvres à l’Humanité et à la Connaissance Il est temps pour nous Libanais en tant que Société et Collectivité De partir notre machine d’Autocritique, cette roue révolutionnaire, pour pouvoir finalement bâtir une Nation. Nous sommes racistes entre nous, notre Confessionalisme n’est qu’une forme de racisme. Notre société n’accepte pas la différence, par pure ignorance, et Un refus de s’ouvrir à l’Autre. Nous avons énormément de travail à faire sur nous meme Cette crise existentielle est notre occasion de basculer, vers le Grand Monde, ou alors dans l’Obscurantisme.

    Nada Maalouf

    14 h 45, le 26 juin 2020

  • C'est une honte. Rien à dire. Vraiment honteux de ces comportements débiles, racistes relevant d'un manque de culture, manque de savoir vivre, manque d'éducation, manque de QI et manque d'humanité. Dans mes équipes, j'en ai de toutes les couleurs, toutes les communautés et on ne se pose JAMAIS la question sur l'orgine, la religion ou la couleur . On s'en tape !!!!... TFEH !!! à ce racisme, à cet anti sémitisme aussi dont on ne parle pas dans ces colonnes mais qui existent bien et aussi à cette ségrégation raciale et communautaire

    LE FRANCOPHONE

    13 h 58, le 26 juin 2020

  • Nous libanais , sommes racistes comme la grande majorité des populations "arabes" Nous sommes ,nous-mêmes, victimes de racismes en qualité d'émigrés ... Cependant nous nous considérons supérieurs aux autres!!! A qui la faute? Bien sûr à notre éducation... adel

    Hamed Adel

    09 h 41, le 26 juin 2020

  • NOUS SOMMES POUR NOTRE MAJORITE DES RACISTES. C,EST UN FAIT. ET NON SEULEMENT A L,EGARD DES NOIRS. MAIS A L,EGARD DES FEMMES. MAIS A L,EGARD DE TOUT ETRANGER. MAIS A L,EGARD DE NOS COMPATRIOTES D,AUTRES RELIGIONS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 38, le 26 juin 2020

  • C’est en parlant du racisme que l’on cultive davantage cette triste calamité. Tous les pays de la péninsule Arabe depuis l'antiquité cultivent cette pratique discriminatoire ancrée profondément dans leurs moeurs ! Le Liban est le moins touche et vouloir en faire un article particulièrement sur le pays dans les circonstances sociales et economiques actuelles , c’est vouloir épater la galerie abusivement. Nous vivons actuellement d’autres drames sociaux bien plus prioritaires qui mériteraient mieux notre attention..

    Cadige William

    08 h 19, le 26 juin 2020

  • Désolé chère Mme al Ahmad ; désolé de ma société pourrie , désolé de la racaille qui pullulent dans nos rues . Si ça vous console nous sommes tous noirs et fiers de l être Robert Moumdjian md

    Robert Moumdjian

    03 h 23, le 26 juin 2020

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