Le rapport annuel de Greenpeace sur la pollution de l’air dans les pays du monde, lancé aujourd’hui par le bureau de Greenpeace MENA, est une nouvelle occasion de mesurer la gravité de l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé et l’économie. Et une fois de plus, le Liban occupe la triste première place dans la région en termes de taux de décès liés à cette pollution: les décès en 2018 s’élevaient à 2 700, soit un taux de 4 par 10 000 habitants, devant l’Égypte qui en est à 3 par 10 000 habitants. En termes de jours d’absence au travail, le Liban est également dans le peloton de tête avec 1,3 million de jours par an. Des chiffres qualifiés d’« effrayants » par Greenpeace dans son rapport, qui lance un signal d’alarme contre cette pollution qui met la santé, voire la vie, des citoyens en danger.
Le rapport de Greenpeace s’intitule « Air toxique : le prix des énergies fossiles » ; il est mondial, mais s’ouvre néanmoins sur une image de la centrale de Zouk (rappelons que dans son précédent rapport en 2018, la ville de Jounieh avait été désignée par l’organisation comme la cinquième ville la plus polluée de la région). La pollution explorée par ce rapport est exclusivement celle liée à la combustion des énergies fossiles, d’où le fait qu’il insiste sur trois polluants qui sont le dioxyde d’azote (NO2), les petites particules 2,5 et l’ozone. Le texte s’intègre dans le cadre d’une campagne continue en faveur des énergies renouvelables. Il indique notamment que dans toute la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air est estimé à une moyenne de 65 000 par an.
La nouveauté de ce rapport, c’est qu’il accompagne l’actualité, abordant le sujet de la pandémie de Covid-19 qui a secoué le monde au cours des derniers mois. Selon le directeur des programmes de Greenpeace MENA, Julien Jreissati, « la pollution de l’air expose nos sociétés à toutes sortes de maladies chroniques, comme les maladies cardiaques, le diabète, les troubles pulmonaires dont le cancer du poumon, et elle nous rend plus vulnérables aux virus qui attaquent le système pulmonaire, comme le Covid-19 ». Il cite ainsi de nombreuses études qui confirment qu’une exposition prolongée à la pollution de l’air aggrave les cas de contamination par le Covid-19, liant même cela aux décès résultant de ce virus.
Et l’impact de cette pollution de l’air ne se limite pas à la santé, puisque celle-ci affecte profondément l’économie. Ainsi, le rapport de Greenpeace calcule à 1,4 milliard de dollars le coût de cette pollution, en termes de perte de productivité (facture hospitalière, morts prématurées, absences au travail…). Dans le cas du Liban, cela représente 2 % du PIB, l’une des proportions les plus importantes de la région, en deuxième position après l’Égypte (2,8 % du PIB, presque 7 milliards de dollars par an). L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui paieraient respectivement 6 et 5,9 milliards par an, figurent également en bonne place de ce classement.
Mais pour le Liban, cette facture est particulièrement salée du fait de la crise économique et financière aiguë que traverse le pays. « Dans un pays qui se trouve au bord de l’effondrement économique, ce coût met une pression additionnelle sur les finances du peuple libanais et du gouvernement, et révèle un nouvel aspect de la crise économique, déclare Julien Jreissati dans un communiqué de presse. Le budget national du pays ne fait nulle mention de cette question, alors qu’elle nécessite des mesures immédiates de la part du gouvernement. »
Comptabiliser les pertes indirectes
Répondant aux questions de L’Orient-Le Jour, Julien Jreissati souligne que les paramètres explorés par ce rapport, ceux liés à la combustion des énergies fossiles, sont particulièrement significatifs par rapport au Liban où les deux secteurs les plus polluants sont l’énergie (centrales thermiques et générateurs de quartier) et le trafic routier. En d’autres termes, la mauvaise gestion de ces deux secteurs est directement responsable de cette contre-performance si visible dans ce rapport.
« Nous prêtons une attention particulière au secteur de l’énergie, poursuit-il. On parle beaucoup des pertes dans ce secteur et de sa contribution à la crise économique actuelle. Or les 1,4 milliard de dollars de pertes résultant de la facture hospitalière, des morts prématurées et des absences au travail ne sont en aucun cas comptabilisés dans les pertes du secteur de l’électricité, estimées à 2 milliards par an. »
Julien Jreissati rappelle que les morts prématurées, les admissions aux urgences, les hospitalisations ou encore les absences au travail sont un fardeau pour l’État qui en paie une partie. « Il est remarquable que le Liban soit en première place dans l’indice de mortalité, alors qu’il n’est même pas un pays industrialisé, poursuit-il. Cela s’explique par le fait que notre société est friande d’énergies fossiles. Si l’on compare notre situation à celle d’autres pays de la région comme la Jordanie ou les EAU, on constate qu’ils ont déjà construit des centrales éoliennes ou solaires, et produisent une partie de leur électricité par des moyens renouvelables. »
Le directeur des programmes de Greenpeace MENA affirme que « les énergies renouvelables génèrent des bénéfices, permettent de faire des économies, sauvent des vies, protègent l’environnement, créent des emplois et confèrent aux pays une souveraineté énergétique (puisqu’ils n’auront plus à importer du fuel) ».
Selon Julien Jreissati, le rapport diffusé dans les médias s’adressera principalement au ministère de l’Énergie, tout comme à l’ensemble du gouvernement. « Nous les voyons toujours se disputer sur quelle centrale thermique construire en premier, sans se rendre compte que ces centrales deviendront à terme des sources de maladies et de morts, dit-il. Dans le plan qui avait été présenté par l’ancienne ministre Nada Boustani en 2019, il est dit que le Liban devrait produire 30 % de son électricité au moyen de ressources renouvelables d’ici à 2030, mais en pratique, rien n’est fait pour y parvenir. Idem pour les engagements du Liban dans le cadre de la lutte mondiale contre le changement climatique. Ces promesses restent creuses, or nous revendiquons des actions concrètes. »
Dans le monde, Greenpeace estime que les coûts de la pollution liée aux énergies fossiles totaliseraient 8 milliards de dollars par jour, soit 3,3 % du PIB mondial.
commentaires (11)
Un état failli sur absolument tous les plans, matériels et moraux.
Christine KHALIL
21 h 43, le 24 juin 2020