Jusqu’à quel point le Liban risque-t-il de faire les frais du durcissement de la politique américaine contre le Hezbollah ? Cette question trouve un nouvel écho à travers la lecture du rapport de stratégie de sécurité nationale publié le 10 juin courant par le Comité d’étude républicain du Congrès (RSC), un think thank du parti conservateur à la Chambre des représentants, dont les passages relatifs à l’intensification de la stratégie de pression maximale contre Téhéran contiennent nombre d’éléments inquiétants pour Beyrouth.
Les passages concernant l’inclusion du Liban dans l’effort d’endiguement de l’Iran et de ses alliés introduisent deux axes de rupture potentiels dans l’approche du parti présidentiel. Le premier porte sur la recommandation d’un arrêt de l’aide financière à l’armée libanaise et, parallèlement, que le Congrès adopte une loi « interdisant que l’argent des contribuables versé au (Fonds monétaire international) soit utilisé pour renflouer le Liban », dans la mesure où, selon les auteurs, cela « ne ferait que profiter au Hezbollah à un moment où les manifestants au Liban exigent la fin de la corruption et s’opposent au joug du Hezbollah ». Le second consiste à recommander que les sanctions américaines frappent, pour la première fois, des alliés du Hezbollah au Liban, citant explicitement le gendre du président Michel Aoun et chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil et le président du Parlement Nabih Berry.
Dangereuse équation
Certes, rien n’indique a priori que ces recommandations soient suivies d’effets. D’autant que l’existence d’une majorité démocrate à la Chambre des représentants et le contexte électoral actuel constituent de sérieux obstacles à la traduction de ces préconisations en mesures législatives concrètes. En outre, au sein même de l’administration américaine, le secrétaire d’État Mike Pompeo ne semble pas prêt pour le moment à suspendre l’aide américaine au Liban.
Cependant, l’attitude américaine envers le pays du Cèdre est en train de changer rapidement. On ne peut pas en outre ignorer à quel point ces recommandations entrent en résonance avec l’interprétation israélienne de la situation libanaise, ce qui pourrait potentiellement renforcer leur attractivité d’un point de vue bipartisan. Les responsables israéliens et leurs alliés américains, dont plusieurs sont cités dans le rapport, pensent depuis longtemps, peut-être raisonnablement, que l’arsenal de missiles du Hezbollah constitue une menace stratégique pour Israël. Suivant l’équation posée par l’ancien ministre israélien de la défense, Avigdor Lieberman – « le Liban = le Hezbollah » – ils en déduisent que ce n’est qu’en paralysant le pays que les États-Unis pourront affaiblir le parti de Dieu. Cette logique est d’ailleurs explicitement résumée par, comble de l’ironie, le chercheur libano-américain Tony Badran dans un article publié en décembre 2017 dans la revue The Caravan, de la Hoover Institution : « La stabilité du Liban, dans la mesure où elle signifie la stabilité de l’ordre iranien et de la base de missiles avancée qui s’y trouve, ne constitue pas, de fait, un intérêt américain », écrit-il.
Certes, les responsables politiques libanais portent une part importante de responsabilité dans cette évolution. En permettant au Hezbollah de transformer le Liban en un avant-poste iranien, ils ont fait preuve d’une négligence criminelle à l’égard des conséquences potentielles de cet état de fait pour le pays. S’ils ne disposaient sans doute pas des moyens et de la marge de manœuvre nécessaires pour s’y opposer, ils n’ont même pas tiré la sonnette d’alarme sur le fait que cela ne pourrait que placer le Liban dans le collimateur des Américains et des Israéliens. L’ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil était tellement désireux d’obtenir le soutien du Hezbollah dans l’optique de sa future candidature à la présidence de la République, qu’il en a omis d’accomplir sa tâche, consistant notamment à prévenir son gouvernement du changement de pied périlleux qui s’annonçait à Washington. D’une certaine manière, il aura donc cherché ces sanctions éventuelles... Et ce, même si du point de vue américain, le fait de maintenir ce couperet au-dessus de sa tête sans nécessairement le faire tomber s’avérerait sans doute être un moyen plus sur plus d’obtenir des concessions de sa part.
Il reste que les conséquences d’une éventuelle application des recommandations du RSC dépassent largement la question de l’endiguement du Hezbollah. Ne serait-ce que parce que si l’équation posée par Lieberman correspondait à la réalité du pays, le document du RSC n’aurait pas pris la peine de mettre l’accent sur les nombreux Libanais qui s’opposent à l’agenda du parti de Dieu. Juger et punir tous les Libanais parce qu’un parti leur a imposé sa volonté par les armes est une assertion qui mériterait pour le moins d’être réévaluée. De même, empêcher un renflouement du Liban par le FMI n’aurait d’autres conséquences que de renforcer la perspective d’une destruction sociale et économique du pays, celui-ci risquant déjà de se retrouver bientôt à court de devises pour importer des produits de première nécessité comme la nourriture, les médicaments et le carburant. D’autant que l’entrée en vigueur, cette semaine, de la loi César, qui vise à sanctionner le régime de Damas et ses relations, va de facto affecter une autre soupape de sécurité, permettant au Liban d’effectuer des transactions via la Syrie. Dans un tel scénario, le Liban pourrait donc vite se retrouver dans une situation pire que celle que connaît le Venezuela.
Efforts diplomatiques
Si le RCS est réellement préoccupé par le sort des Libanais qui exigent la fin de la corruption et sont opposés au pouvoir du Hezbollah, il devrait admettre que les appauvrir, priver leurs enfants d’un avenir et créer une situation pouvant potentiellement conduire à un conflit civil, voire interconfessionnel, ne constitue guère une voie stratégique à suivre. Sauf à parier implicitement sur le fait qu’une nouvelle guerre civile serait un moyen idéal de neutraliser le Hezbollah – tout comme la guerre de 1975-1990 a sérieusement endommagé la force de l’OLP dans le pays. Si tel est le raisonnement sous-jacent, alors les décideurs politiques américains et les idéologues qui leur fournissent ce type d’argumentaire devraient se tenir prêts à affronter les répercussions potentielles qu’aurait pour l’Occident la constitution d’un autre État failli dans la région.
Tels seraient les arguments que devrait faire valoir un gouvernement libanais compétent auprès des membres du Congrès américain. Certes, l’actuel ministre des Affaires étrangères, Nassif Hitti, possède indiscutablement une expérience diplomatique considérable et saisit très certainement les enjeux d’un tel revirement potentiel. Mais il est handicapé dans sa démarche par les hommes nommés par Gebran Bassil au sein de son administration. Ces derniers ne sont guère les interlocuteurs les plus crédibles pour persuader les législateurs américains de la nécessité d’éviter d’opter pour une telle approche. Et les convaincre que cette punition collective aurait probablement pour effet de fragiliser les opposants au Hezbollah, tandis que ce dernier sortirait relativement renforcé de ce traumatisme.
Les Libanais ont tendance à attendre que le couperet tombe pour prendre conscience des problèmes et y faire face. Les recommandations du RSC ont réussi à faire leur chemin dans le courant dominant du parti dont est issue l’administration, et cela exige une réaction rapide. Le gouvernement libanais ne devrait donc pas ménager ses efforts diplomatiques à Washington pour éloigner cette perspective tout en accélérant les négociations avec le FMI afin de parvenir à un accord avant une éventuelle concrétisation des menaces américaines. Cette perception des risques potentiels doit aussi prévaloir parmi les alliés sincères du pays du Cèdre, tant à Washington que dans d’autres capitales comme Paris et Berlin. Leur voix sera aussi nécessaire pour plaider qu’une destruction du Liban au prétexte de le sauver de l’influence de l’Iran constituerait dans aucun doute la plus folle des voies à suivre.
Ce texte est une traduction, adaptée avec l’auteur, d’un article publié en anglais sur Diwan.
Par Michael Young
Rédacteur en chef de « Diwan », le blog du Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square : an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).
commentaires (22)
Les israéliens avaient la possibilité de se débarrasser de HN et son parti. La preuve ils se seront occupés de son boss. ils le laissent puisqu’il fait tout dans leur intérêt. Détruire le Liban et le laisser occupé par ses conflits intérieurs et économiques pendant qu’Israël prospère, se développe et s’occupe du bien être de son peuple. Qu’il ne vient nous expliquer que HB combat Israël. Il est le meilleur ennemi du Liban et des libanais.
Sissi zayyat
16 h 33, le 22 juin 2020