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Les promesses de l'export

Moins exposées à la crise économique et de liquidités, les entreprises exportatrices de services gardent le cap. Certains renoncent cependant à gagner en compétitivité avec la dépréciation de la livre libanaise pour conserver leurs employés.

 « La course aux talents est très présente dans le secteur de la tech », affirme le cofondateur d'Anghami, Élie Habib.
« La course aux talents est très présente dans le secteur de la tech », affirme le cofondateur d'Anghami, Élie Habib.

Les sociétés basées au Liban qui exportent leurs services à l’étranger sont en théorie les mieux placées pour gagner en compétitivité avec la dévaluation de la livre. D’autant plus si elles génèrent l’essentiel de leurs revenus à l’international.

C’est le cas, par exemple, de l’éditeur de logiciels financiers Murex, qui réalise 99 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, et qui reconnaît n’avoir « pas vraiment souffert de la baisse de la demande au Liban », selon son PDG Salim Eddé.

Le fournisseur de services informatiques de gestion de crédit et de risque financier Bluering, lui, a été affecté par la crise bancaire. « Nous travaillions avec 11 banques libanaises qui représentaient avant la crise 40 % de notre chiffre d’affaires », explique Fares Kobeissi, le PDG de cette PME. Mais « heureusement, nous avions commencé depuis quelques mois à chercher de nouveaux marchés », ajoute-t-il. Déjà leader sur les marchés du Levant, Bluering a identifié 10 nouveaux débouchés potentiels pour les cinq prochaines années. « Très prochainement, nous allons nous implanter en Égypte, en Arménie, en Géorgie et au Kazakhstan qui disposent d’un bon niveau de croissance et d’un réseau bancaire suffisamment dense », ajoute-t-il.

Pour ces entreprises, la conjoncture économique au Liban constitue à la fois un motif et un moteur d’expansion géographique. La quasi-totalité des coûts de Bluering, principalement pour le paiement des salaires de ses 18 employés, sont libellés en livres libanaises, dont la valeur s’est considérablement dépréciée ces derniers mois. « Même en indexant en partie nos coûts salariaux à l’inflation, le taux de change constitue un gain de compétitivité, explique Fares Kobeissi. Nous espérons que cela soutienne notre croissance organique et la création de nouveaux emplois. »

Du fait notamment de ce réajustement, l’Institut international des finances (IIF) prévoit, dans un rapport publié en mai, une croissance rapide des exportations de services d’ici à 2024. Elles passeraient ainsi de 15 milliards de dollars en 2019 à près de 19 milliards en 2024, dont la moitié proviendrait du tourisme dans la perspective d’une reprise post crise sanitaire. Mais le Liban a aussi le potentiel de devenir un “hub régional” des services financiers et de l’“économie du savoir”, estime le gouvernement dans son plan de redressement financier présenté en mai au Fonds monétaire international (FMI).

Les ressources humaines en jeu

Dans les secteurs à forte valeur ajoutée, les ressources humaines sont toutefois essentielles et la dépréciation de la livre ne se traduit pas nécessairement par des gains de compétitivité importants. Du fait de la concurrence qu’exercent entre eux les grands groupes internationaux pour les talents, certaines entreprises choisissent en effet de ne pas réduire les coûts salariaux. « Nous continuons de rémunérer nos 700 employés libanais en dollars et à l’étranger, afin de ne pas créer d’écarts de salaires avec le reste des employés du groupe dans le monde, mais aussi pour les conserver », explique ainsi Salim Eddé. « Une poignée de salariés ont déjà choisi de quitter l’entreprise ces derniers mois pour émigrer ; si nous passons les salaires en livres libanaises, beaucoup pourraient partir », estime le chef d’entreprise.

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Le fournisseur de services de streaming musical Anghami est confronté au même dilemme. « La course aux talents est très présente dans le secteur de la tech », affirme le cofondateur de l’entreprise Élie Habib. « Nos ingénieurs savent qu’ils n’auraient aucun mal à se faire recruter chez Facebook ou Amazon, avec une rémunération très attractive », ajoute-t-il. Or la formation d’un nouvel employé prend du temps – neuf mois en moyenne – et les bonnes recrues commencent à se faire rares. Pour l’instant donc, pas question d’accepter la dépréciation des salaires.

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À part la masse salariale, d’autres coûts opérationnels peuvent aussi être dollarisés. Chez Anghami, par exemple, environ 40 % des dépenses sont liées au paiement en devises des labels musicaux. Or « la grande majorité des abonnés libanais règlent leur souscription via les opérateurs de téléphonie mobile Alfa et Touch, qui nous paient en livres libanaises au taux officiel, raconte Élie Habib. Chaque nouvel abonné au Liban représente aujourd’hui une perte financière ».

Les coûts des services sur le “Cloud” ou encore parfois de marketing, comme la publicité en ligne sur les réseaux sociaux, utilisés par beaucoup de fournisseurs de services, doivent également être réglés en dollars.

« Finalement, les mieux placés pour profiter de la conjoncture économique sont les services de sous-traitance, qui ne cherchent pas à retenir leur main-d’œuvre et ont des coûts opérationnels limités », estime Élie Habib. Encore émergents au Liban, les centres d’appels, les sociétés spécialisées dans les opérations de back-office – finance, comptabilité et ressources humaines – ou encore les sous-traitants de services informatiques ont en effet été identifiés comme constituant un secteur à fort potentiel de développement et d’exportation dans le rapport McKinsey publié en janvier 2019.

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