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Société - Reportage

À Lassa, une blessure de plus de 80 ans

Le projet agricole de l’archevêché de Jounieh dans la localité n’a toujours pas vu le jour, après une rixe entre agriculteurs et habitants.

L’emplacement des serres où la compagnie Daccache envisageait de réaliser le projet agricole caritatif. Photo Béchara Maroun

Perché sur les hauteurs du caza de Jbeil, à plus de 1 100 mètres d’altitude, le village de Lassa n’aurait peut-être pas dit grand-chose à de nombreux Libanais, s’il n’avait fait souvent la une des journaux à cause d’un conflit foncier entre ses habitants et leurs voisins. Il y a quinze jours, des habitants de la localité, à prédominance chiite, en sont venus aux mains avec des agriculteurs venus profiter d’un projet caritatif mis en place par l’archevêché de Jounieh sur des terrains qui font l’objet d’une dispute. Si une cérémonie de « réconciliation » a eu lieu début juin en l’église Notre-Dame du Rosaire d’Ehmez, de nombreuses parties chrétiennes estiment que le problème de fond persiste. Un problème qui remonte à plus de 80 ans.

Des plans qui datent de 1939

Sur le chemin du village après l’église Notre-Dame, s’étend un vaste terrain dans une vallée où des serres ont été construites. Aujourd’hui vide, les agriculteurs n’y sont plus retournés depuis la rixe du 26 mai, laissant leurs outils sur place, par peur de représailles. Depuis ce site et jusqu’aux alentours, l’Église maronite revendique des biens-fonds de plus de trois millions de mètres carrés qu’elle avait acquis dans les années 30. Les plans officiels datent de 1939, même si les cartes du cadastre avaient à l’époque un caractère optionnel. Au début des années 2000, plus d’un million de mètres ont subi une vaste opération de cadastrage et des certificats fonciers ont été délivrés pour l’archevêché sur un grand nombre de ces parcelles, dont un terrain de 250 000 mètres carrés qui fait aujourd’hui l’objet du litige.

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« Le cadastre de 2002 ne s’était pas déroulé sans remous, raconte Georges Daccache, directeur des opérations au sein de la compagnie d’agriculture Gergy Daccache, qui exploite une partie de ce terrain depuis 2004. Mais l’Église avait pu finalement obtenir les papiers officiels nécessaires. Nous lui avons loué 100 000 mètres carrés sur ce terrain, où nous avons construit ces serres sur presque la moitié de la surface. » « Pour tout dire, ajoute Georges Daccache, nous avons toujours eu des problèmes avec les habitants qui volaient tantôt nos engrais, tantôt nos produits. Les terrains alentour qui sont censés appartenir à l’Église ont également fait l’objet de constructions illégales et de plus de 70 plaintes dans ce sens. Mais un grand nombre de ces parcelles n’ont pas encore été officiellement délimitées. Le problème aujourd’hui, c’est que nous nous disputons sur un bien-fonds déjà cadastré, et le ministre (de l’Intérieur) ne semble pas s’en rendre compte. »

En effet, suite à la dispute du mois de mai, le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a confié à une commission le règlement du « conflit » foncier. « Si nous avons choisi ce terrain pour notre projet caritatif, c’est parce que nous l’avons toujours exploité, afin d’éviter tout litige », poursuit Georges Daccache qui ne se rend plus dans les serres, affirmant avoir été « menacé de mort ».

Les terrains cultivés depuis près de 20 ans.

« Ce terrain nous appartient ! »

Mais qu’en est-il donc de ce projet de bienfaisance qui cause tous ces remous ? Soucieuse d’aider les familles chrétiennes dans le besoin en ces temps de crise, la compagnie Daccache a proposé, il y a quelques mois, à l’archevêché de mettre ce terrain gratuitement à sa disposition cette année, afin que des agriculteurs locaux puissent en profiter. La compagnie, elle, apportera son savoir-faire et le matériel nécessaire pour la plantation. Sur les 50 agriculteurs choisis parmi les différents villages de la région, cinq seraient des habitants chiites de Lassa.

« Un tel projet peut nous sauver de la misère. C’est pourquoi j’ai présenté une demande de participation auprès de ma paroisse, raconte Yaacoub el-Atik, un professeur d’école originaire de Bouar. Mais c’est dommage que n’ayons pas pu planter quoi que ce soit. » Un autre bénéficiaire de Qartaba, Georges Karam, estime que ce projet aurait pu secourir de nombreuses familles, vu la surface du terrain. « L’Église a choisi une famille de chaque village. Je ne suis pas agriculteur, mais j’étais censé cultiver des patates car elles pourraient être prêtes à la vente en seulement trois mois, affirme-t-il. Quelqu’un d’autre aurait pu rapidement profiter de ma parcelle après moi, mais ils nous ont tout simplement chassés. »

Arrivé à Lassa le 15 mai, le premier groupe d’agriculteurs se voit en effet confronté à un cheikh du village qui leur crie : « Ce terrain nous appartient ! » Un habitant du village, Mohammad Abou Fadel, assure qu’une parcelle du terrain appartient à sa famille. Des discussions avec le Conseil supérieur chiite suivent alors, ainsi qu’un meeting. « Nous avons alors décidé de nous éloigner du terrain revendiqué par Abou Fadel, que nous avions d’ailleurs toujours cultivé depuis 2004, et dont les certificats fonciers prouvent qu’il appartient à l’archevêché, explique Georges Daccache, directeur du projet. Lors des travaux de cadastrage en 2002, un terrain trois fois plus grand lui avait été confié en échange de sa parcelle visible sur les plans de 1939. Il a été également convenu d’ajouter 12 agriculteurs chiites aux 50 agriculteurs initiaux, même si le président de la municipalité de Lassa, Ramzi Mokdad, avait initialement refusé de nommer cinq chiites : mécontent de ne pas avoir été impliqué, il avait eu vent du projet à travers des membres du clergé proches du Courant patriotique libre. »

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Résigné, le groupe d’agriculteurs remonte donc à Lassa le 22 mai. « Tout était normal au départ en début d’après-midi, raconte Élias Saadé, un agriculteur de Mayrouba. Nous attendions que les parcelles soient allouées à chaque agriculteur, mais nous avons soudain été attaqués par une trentaine de personnes qui n’étaient pas là au départ, et que je soupçonne de ne pas faire partie des habitants du village. » « Ils ont attaqué Georges Daccache, insulté sa famille ainsi que l’archevêque de Jounieh, poursuit Élias. Ils s’en sont pris ensuite à nos voitures et nous sommes tous retournés avec des vitres brisées et des véhicules endommagés. » De son côté, Georges Daccache assure avoir été attaqué par une horde d’enfants munis de grands couteaux de cuisine et d’hommes armés de bâtons. « Abou Fadel est revenu à la charge, dit-il. Cette fois, il nous a dit que la moitié du terrain lui appartenait et que nous ne pourrons rien planter. Après des menaces directes, je n’ai plus mis les pieds à Lassa. »

« Rien ne se fait à Lassa sans l’accord du Hezbollah »

À la municipalité de Lassa, le président Ramzi Mokdad se veut plus conciliant. « Nous déployons actuellement des efforts pour résoudre le problème et allons bientôt fixer la date d’une réunion », promet-il, assurant toutefois que l’ensemble du village a besoin d’une nouvelle opération de cadastrage et que les cartes foncières anciennes revêtent toutes un caractère optionnel. Contrairement à ce qu’assure l’avocat de l’archevêché André Bassil à L’Orient-Le Jour, Ramzi Mokdad estime que le cadastre de 2002 n’a pas été achevé. Il souligne que les biens-fonds de Mohammad Abou Fadel sont bien visibles sur les cartes de 1939 mais qu’ils ont disparu après le cadastrage. « Ils disent que des terrains lui ont été attribués en contrepartie, mais aucun document officiel ne le prouve », affirme-t-il, sans nier que les différentes parties ont autorisé l’exécution du projet, mais loin des terrains de M. Abou Fadel et en augmentant le nombre de bénéficiaires originaires de Lassa. « Nous avons conclu un accord, il est vrai, mais il y a eu un problème dans l’exécution et dans l’approche, ajoute Ramzi Mokdad. En tout cas, le problème prendra des années avant d’être résolu. »

Près des serres vides sur la place du prophète Chamoun, qui donne une vue imprenable sur la côte, Ramzi Mokdad assure que les habitants de Lassa n’ont « aucune mauvaise intention », ce que Georges Daccache conteste vigoureusement, en soulignant que « rien ne se fait à Lassa sans l’accord du Hezbollah ».

Perché sur les hauteurs du caza de Jbeil, à plus de 1 100 mètres d’altitude, le village de Lassa n’aurait peut-être pas dit grand-chose à de nombreux Libanais, s’il n’avait fait souvent la une des journaux à cause d’un conflit foncier entre ses habitants et leurs voisins. Il y a quinze jours, des habitants de la localité, à prédominance chiite, en sont venus aux mains avec...

commentaires (11)

Dans un pays qui a fait le vide au fil des décennies . On a fait fuir une grande partie des libanais dont les chrétiens à cause des diverses guerres aussi bien internes que régionales ( et par la peur en leur disant qu’ils sont MINORITAIRES dans la région On assiste ICI à une évacuation PROGRAMMÉE et progressive pour un changement de démographie en faisant peur aux villageois Achats de terres ailleurs en montagne , constructions d’immeubles sauvage à Beyrouth, pour installer des gens venant de la banlieue sud ou du sud. c’est AU LIBAN et non en Turquie ( votre autre article) que tout paraît être programmé? pour un changement démographique étalé sur des dizaines d’années. Avec l’aide inconsciente du CPL.

LE FRANCOPHONE

12 h 37, le 07 juin 2020

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Commentaires (11)

  • Dans un pays qui a fait le vide au fil des décennies . On a fait fuir une grande partie des libanais dont les chrétiens à cause des diverses guerres aussi bien internes que régionales ( et par la peur en leur disant qu’ils sont MINORITAIRES dans la région On assiste ICI à une évacuation PROGRAMMÉE et progressive pour un changement de démographie en faisant peur aux villageois Achats de terres ailleurs en montagne , constructions d’immeubles sauvage à Beyrouth, pour installer des gens venant de la banlieue sud ou du sud. c’est AU LIBAN et non en Turquie ( votre autre article) que tout paraît être programmé? pour un changement démographique étalé sur des dizaines d’années. Avec l’aide inconsciente du CPL.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 37, le 07 juin 2020

  • Les nombreuses agressions commises dans l'histoire par les colons de Lassa contre les propriétaires légitimes des terres n'ont jamais été punies. Ce ne sont pas seulement des colons mais en plus des colons-imposteurs car ils prétendent être les résistants et les déshérités, alors que tout le monde sait que sans leur collaboration avec l'occupant assadien ces pseudo-résistants n'auraient pas vu leur parti voir le jour, et que s'ils n'étaient pas protégés par le pouvoir mis en place par l'occupant assadien en 1990 et toujours en place (tiens Mr Fahmi qui occupe le ministère de l'intérieur a lui-même un lourd passé de collabo) ces pseudo-déshérités de Lassa et ceux de la dahié venus leur prêter main forte dans leurs basses oeuvres seraient depuis longtemps sous les verrous. Au moins le colon israélien ne prétend pas être un déshérité alors que c'est lui qui déshérite les autres.

    Citoyen libanais

    00 h 27, le 07 juin 2020

  • Yalla... a la prochaine guerre civile, ces habitants de Lassa qui cultivent la haine iront se réfugier a Dahier... ou en Iran...

    Aboumatta

    15 h 53, le 06 juin 2020

  • Au Liban il y a de problèmes sans jamais trouver de solutions. Vive les conflits

    Corine Abounader Kiwan

    15 h 18, le 06 juin 2020

  • Le village de Lassa se trouve au Liban et non en Iran. Le Hezbollah est une formation armée supplétive aux Pasdaran iraniens. De quoi se mêle-t+il dans le Jurd-Est de Meyrouba, Hrajel et Faraya ? La route de la Palestine et de Jérusalem . ne passe pas par Lassa. Lorsqu'on prétend faire de la "résistance" à l'occupation israélienne, il n'y a pas d'Israéliens à Lassa.

    Un Libanais

    12 h 28, le 06 juin 2020

  • ET SI CES TERRAINS SE SITUAIENT A BATROUN ? DE QUELLE FACON JOBRAN AURAIT-IL REAGIT LUI ET AOUN QUI ONT FALSIFIE UN SLOGAN QUI DISAIT VOULOIR RAPATRIER ET PROTEGER LES DROITS DES CHRETIENS? A MOINS QUE CECI NE TENAIT QU'A FOUTRE DES FONCTIONNAIRES ESCLAVES DANS LE PUBLIC ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 14, le 06 juin 2020

  • ILS ONT USURPE ET USURPENT ENCORE PAR LA FORCE EN INTIMIDANT S,APPUYANT SUR LES ARMES DES MILICES ILLEGALES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 56, le 06 juin 2020

  • la ou le Hezbollah se trouve, le chaos se trouve

    Jack Gardner

    10 h 52, le 06 juin 2020

  • Quelle bonne idée cette mini-enquête qui éclaire un peu un débat confus mais lourd de risques. Reste à nous expliquer cette opération de cadastrale controversée.

    Marionet

    09 h 22, le 06 juin 2020

  • Puisque, pour ce terrain, au moins, la justice a déjà tranché, pourquoi le ministre de l'Intérieur refuse-t-il de faire appliquer la loi? Quel intérêt a-t-il à entretenir la discorde?

    Yves Prevost

    07 h 21, le 06 juin 2020

  • La moitie de la dahiye n'est pas en leur nom et ils y ont construit des immeubles et en vendent et achetent des appartement sans aucun titre de propriete. ils veulent faire vivre les autres communautes en dhimmi Sus aux colons

    Elementaire

    06 h 26, le 06 juin 2020

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