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Volts-face

Cherchez la femme : apparue dès le Ier siècle, la formule n’a pas fini de faire recette dans la littérature policière et l’industrie du film noir. Sans mettre en cause cette fois la gent féminine, elle a aussi trouvé un fertile champ d’application dans les jeux de la politique et de la guerre ; par-delà la poussière et les brumes des champs de bataille, c’est en effet un atout décisif que la capacité de repérer le point faible de l’adversaire ; d’appréhender ses motivations profondes ; et donc de prévoir, sinon d’influencer, son comportement.

Pour bien comprendre comment se passent les choses dans notre pays, c’est ailleurs qu’il faut chercher. C’est l’odeur de l’argent qu’il faut suivre à la trace. C’est lui qu’il faut écouter, sans même besoin de sonar, car il ne se gêne pas pour parler fort, l’argent, avec cette incroyable assurance qu’a conférée aux prévaricateurs une longue ère d’impunité totale. Magouilles, arnaques, bonnes affaires, dessous-de-table et autres escroqueries n’ont cessé, ces dernières décennies, de bâtir, vite fait, des fortunes colossales, pour finir par régler le cours de la vie publique. Tous ces travers étaient publiquement classés sous la rubrique du gaspillage; c’est le terme de pillage éhonté qui s’imposait et on doit aux rebelles du 17 octobre d’avoir enfin appelé un chat un chat.

Mais comment imaginer que dans un Liban froidement conduit à la ruine, aux registres actuellement scrutés à la loupe par les institutions financières internationales, que dans ce Liban où le peuple émerge de son confinement sanitaire pour réoccuper la rue, la classe dirigeante puisse encore s’enferrer dans l’absurde, patauger dans le suspect, défendre l’indéfendable ? En matière de traficotages, c’est encore et toujours le dossier de l’électricité qui tient le haut de l’affiche car les scandales, c’est bien connu, font eux aussi des petits. Avec les sommes astronomiques dépensées à fonds perdus (mais pas pour tout le monde !) en location de générateurs flottants, le Liban aurait pu se doter d’assez de centrales pour produire du courant à en revendre, et cela d’autant plus que les offres de financement à faible taux d’intérêt n’ont pas manqué. Il y a peu éclatait l’affaire du fuel frelaté, et néanmoins surfacturé, qui servait à alimenter les rachitiques centrales existantes. Voilà maintenant que ce même combustible devient introuvable, même pour les générateurs de quartier…

De cette triste saga, il est cependant un tout récent épisode qui dépasse l’entendement, et même deux fois plutôt qu’une. Irrationnelle en diable est d’abord, selon l’avis quasi unanime des experts, la réactivation du projet de centrale électrique dans la localité côtière de Selaata, parallèlement à celles de Zahrani et Deir Ammar. Pour faire court, on notera seulement qu’aux frais de construction et d’équipement de cet ouvrage devra s’ajouter un coûteux processus d’expropriations, tout bénéfice pour les heureux propriétaires – parfois de simples prête-noms – des parcelles de terrain sélectionnées, et évidemment estimées à la hausse. Pour ce prix-là, et pour toute cette peine, il eût été bien plus profitable de réhabiliter de fond en comble la vaillante centrale de Zouk, qui a du moins le mérite d’exister déjà.

Encore plus outrageuse est, ensuite, la manière dont le boiteux projet de Selaata, défendu par le parti présidentiel, a été remis en piste. Écarté par un vote majoritaire du Conseil des ministres, il était imposé, en dépit de ses nombreuses failles, par le président de la République, à la faveur d’un scénario encore plus boiteux, censé sauver la face des deux pôles du pouvoir exécutif. Or nul, en réalité, ne sort grandi, ou même intact, de cette équipée : d’une flagrante partialité était empreint l’acte d’autorité auquel s’est résolu le palais présidentiel, qui se veut pourtant l’arbitre de la nation. Et c’est à une peu digne volte-face que se trouvait acculé le chef du gouvernement, traité avec une cruelle désinvolture par les tireurs de ficelles.

Hassane Diab n’est plus à un camouflet près, c’est vrai. Mais à force, c’est l’indigestion de couleuvres qui le guette. Mieux en somme que ne pourrait le faire la rue, ce sont ses propres parrains qui s’ingénient à le dégarnir de toute crédibilité.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Cherchez la femme : apparue dès le Ier siècle, la formule n’a pas fini de faire recette dans la littérature policière et l’industrie du film noir. Sans mettre en cause cette fois la gent féminine, elle a aussi trouvé un fertile champ d’application dans les jeux de la politique et de la guerre ; par-delà la poussière et les brumes des champs de bataille, c’est en effet un...