Déchiré par les contradictions et conflits qui minent les rapports entre ses parrains politiques, incapable jusqu’ici de répondre concrètement aux attentes maintes fois exprimées par la communauté internationale en matière de réformes, contesté de plus en plus dans la rue, le gouvernement de Hassane Diab semble à la peine et multiplie les reculades.
Les coups de boutoir assénés non seulement pas l’opposition, mais aussi par ses propres parrains, qui menacent à tour de rôle de retirer leurs ministres respectifs du cabinet toutes les fois que ce dernier tente de se prononcer sur un dossier sensible, ont fini par vulnérabiliser à l’extrême le gouvernement. Ce dernier, qui s’était prévalu de l’appellation de technocrate, pourra-t-il survivre aux défis qui s’accumulent à l’ombre d’une crise financière et économique sans précédent ? Au vu des maigres réalisations d’une équipe censée être celle du sauvetage et de son incapacité à affronter un système politique dysfonctionnel et décrié dans la rue, rien n’augure a priori de sa pérennité. Mais dans un pays compliqué comme le Liban, les situations de pourrissement peuvent s’éterniser.
Quatre mois après son démarrage dans un climat de contestation, confronté en cours de route à une pandémie qui a précarisé un peu plus la population, ce gouvernement n’a toujours pas réussi à faire adopter la moindre réforme requise pour redresser la situation. En dépit de sa bonne volonté et de celle de quelques ministres au sein du cabinet, Hassane Diab aura surtout échoué à prendre le taureau par les cornes et libérer son pouvoir de décision de l’emprise des parrains politiques.
Ces gouverneurs de l’ombre, qui ont repris du poil de la bête dès que la révolte du 17 octobre a été paralysée par la propagation du Covid19, ont réussi à faire échouer à ce jour toute tentative de réforme enclenchée. Dernier exemple en date, l’affaire de la centrale de Selaata que le cabinet a été contraint de recycler selon les desiderata du président de la République et, derrière lui, du Courant patriotique libre, illustre parfaitement ce bras de fer.
Bien avant lui, le chef du Parlement, Nabih Berry, et le leader des Marada, Sleiman Frangié, avaient recouru au même type de chantage, menaçant à tour de rôle de retirer leurs ministres, notamment lorsque l’affaire du rapatriement des Libanais puis celle de la nomination des vice-gouverneurs de la Banque centrale n’allaient pas dans la direction souhaitée. L’épée de Damoclès a de nouveau été brandie dimanche dernier par le député druze Talal Arslane, pour une nomination aussi basique que celle du directeur de la police judiciaire. Autant de manœuvres orchestrées par les pôles politiques traditionnels qui pourtant gravitent dans la même orbite politique et qui ont réussi à tenir l’exécutif en laisse.
« Nonobstant la crise politique, financière et économique sans précédent, les ministres, à quelques exceptions près, continuent de se chamailler sur le partage des dépouilles et des prébendes », commente pour L’Orient-Le Jour Karim Bitar, politologue.
Rejoignant l’avis de nombreux observateurs, M. Bitar constate que ce gouvernement reste foncièrement inféodé à ses parrains politiques et ne jouit d’une marge d’indépendance que celle que ces derniers veulent bien lui consentir, comprendre quasiment aucune.
Une faiblesse que l’opposition n’a pas tardé à exploiter, même si, pour l’heure, cette opposition (FL, Futur, PSP, Kataëb) avance en rangs dispersés.
Déception
Observant à la loupe l’action du gouvernement, la communauté internationale ne cesse de son côté d’insister sur l’urgence des réformes et de la lutte contre la corruption, condition sine qua non pour toute aide à venir dont dépend actuellement la survie du Liban.
Mercredi dernier, le coordinateur spécial de l’ONU, Jan Kubis, est revenu à la charge pour pointer du doigt les différentes lacunes qui « affaiblissent la position du Liban » dans ses négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) lancées à la mi-mai. Le diplomate onusien a cité à titre d’exemple les chiffres contradictoires présentés par le gouvernement et la Banque du Liban concernant les pertes financières, le peu de progrès dans les nominations judiciaires et autres, et les blocages de la réforme du secteur de l’électricité. À cela s’ajoute l’affaire de Selaata, qui paraît clairement avoir été accueillie avec mécontentement par la communauté internationale. Autant de revers pour un gouvernement qui risque, sinon d’être balayé, du moins de se voir contraint à moyen terme de colmater les brèches. « Tout au plus, l’exécutif sera contraint de mener la politique du chien crevé au fil de l’eau, pour emprunter l’expression à Georges Clemenceau (ancien Premier ministre français), c’est-à-dire on laisse aller et on continue à gérer les affaires courantes sans pouvoir faire de grands chantiers de reformes, y compris celles qui sont les plus urgentes », analyse M. Bitar. Compte tenu de l’ampleur de la crise et en l’absence d’alternative sérieuse proposée par les nouvelles élites, le gouvernement pourrait donc perdurer vaille que vaille, d’autant que le pays ne peut tolérer une nouvelle vacance institutionnelle. À moins d’un grand événement sécuritaire qui viendrait aggraver encore davantage la crise économique, ce gouvernement pourrait tenir encore du fait de sa réussite relative à gérer la pandémie, mais aussi de « l’ouverture des négociations avec le FMI qui lui ont allongé son espérance de vie », croit savoir M. Bitar.
Zeina Hélou, chercheuse et activiste, se dit également convaincue que le gouvernement survivra, « pour les mauvaises raisons » toutefois.
« Les chefs de file veulent préserver le système qui est leur bouée de sauvetage et ne permettront pas que le gouvernement, qui continue bon gré mal gré de protéger leurs intérêts, tombe », commente Mme Hélou, qui reste tout aussi sceptique concernant les réformes.
Bien qu’il ait réussi à établir « un bilan de la crise économique réaliste que les gouvernements précédents n’avaient pas eu le courage de faire », comme le relève M. Bitar, il n’en reste pas moins que le gouvernement Diab a surtout déçu l’opinion publique qui avait réclamé une équipe véritablement indépendante et des réformes radicales. Celle-ci s’apprête d’ailleurs à se mobiliser de nouveau dès samedi prochain pour dénoncer haut et fort l’incompétence et le manque d’indépendance du cabinet.
commentaires (19)
Les voleurs de grand chemins menaces de retirer leurs ministres du gouvernement. Quel bonheur.nous ne demandons que ça. Qu'ils le fassent et que Diab soit libre de former son propre gouvernement de technocrates. Allez ouste, dehors .
Khalil Mteini
19 h 28, le 03 juin 2020