Le projet de décret des nominations judiciaires, qui subit un parcours cahoteux depuis près de trois mois, n’en finit pas de faire des allers-retours, retardant d’autant sa promulgation. Au point de se demander s’il finira par voir le jour. Le dernier retour qui doit s’effectuer est celui annoncé lundi soir par la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm. Celle-ci a affirmé avoir demandé à la présidence du Conseil de lui restituer la version qu’elle lui avait envoyée vers la mi-avril pour la remplacer par une nouvelle mouture en harmonie avec un additif communiqué le 18 mai dernier par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cet additif comporte la réduction du nombre de juges militaires conformément à une demande de la ministre de la Défense, Zeina Acar, ainsi que des modifications dues au récent départ à la retraite de magistrats. Le projet que devra signer la ministre de la Justice une fois que le texte initial lui aura été restitué sera ensuite remis dans le circuit censé l’acheminer enfin vers le président de la République, après les signatures successives des ministres de la Défense et des Finances, et du chef du gouvernement.
Ce cheminement avait dérivé vers la mi-avril, lorsque Mme Najm avait subdivisé le projet de nominations établi par le CSM en nominations civiles et pénales, d’une part, et militaires, d’autre part. La première partie, signée par Mme Najm et assortie de remarques critiques, est parvenue à la présidence du gouvernement, tandis que la seconde a été envoyée à Mme Acar qui se prévalait alors de sa prérogative légale de proposer elle-même les noms à assigner aux postes militaires. Finalement, la ministre de la Défense n’a utilisé son pouvoir que pour réclamer au CSM une réduction du nombre de juges militaires à 12 contre les 18 initialement prévus.
Une demande satisfaite par le CSM qui a donc envoyé un additif en ce sens à Mme Najm. La ministre de la Justice devra rassembler en un seul document les deux parties qu’elle avait séparées, sachant que toutes deux se chevauchent et ne peuvent être signées qu’en même temps.
Président de tribunal et falsificateur
Mme Najm s’était engagée à remplir son obligation légale de signer le train de nominations, même si le CSM avait refusé de le modifier après avoir pris connaissance de ses remarques. Les annotations de la ministre relevaient, d’une part, d'une mauvaise application des critères objectifs de compétence, d’intégrité et d’ancienneté, et, d’autre part, du non-respect de l’article 95 de la Constitution qui supprime la règle de la représentation communautaire. Sur ce dernier point, Mme Najm estime que l’affectation de tel poste à telle confession empêche de mettre « la bonne personne à la bonne place », indiquant que parfois on ne trouve pas dans une confession un juge qui ait le profil requis pour un poste, alors qu’on peut le trouver dans une autre confession. Quant aux critères objectifs, la ministre de la Justice juge qu’ils n’ont pas été appliqués à toutes les permutations. Après avoir souvent suggéré que certains postes relevant de la justice pénale ne semblent pas avoir été confiés à des magistrats capables de combattre la corruption, elle a illustré ses réflexions pour la première fois dimanche, lors d’un entretien sur al-Jadeed, en donnant des exemples, sans toutefois citer de noms. Elle a ainsi déploré qu’un magistrat ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire ait été désigné à un poste de procureur général et qu’un juge ayant falsifié un document ait été propulsé à la présidence d’un tribunal pénal. Marie-Claude Najm a également regretté que certains magistrats accèdent à des postes de procureurs généraux, alors que le nombre de leurs échelons ne le leur permet pas. La réponse du CSM ne s’est pas fait attendre. « Les propos de la ministre de la Justice sur des sanctions ayant touché certains magistrats contredisent la réalité. Il aurait d’ailleurs mieux valu les inclure dans ses remarques (écrites) exprimées sur le projet de nominations plutôt que d’en parler dans les médias », indique un communiqué du CSM publié en soirée.
Confusion
Dans la matinée de lundi, un tweet posté par Mme Najm avait laissé croire qu’elle venait de signer le projet unifié. « J’ai signé le décret des nominations judiciaires en dépit des remarques auxquelles je suis attachée ; ce qui est à présent plus important que les nominations, c'est une loi sur l’indépendance de la justice ». Jointe par L’Orient-Le Jour, une source proche de la ministre a précisé que ce message fait référence à la partie consacrée aux nominations civiles et pénales signées en avril, précisant donc que Mme Najm n’a pas signé le projet de décret dans sa version intégrale puisqu’il ne lui a pas encore été restitué. Un rectificatif en ce sens a d’ailleurs été publié en soirée par le bureau de presse de la ministre.Toutes ces démarches procédurales ne signifient pas pour autant que le dossier va se débloquer. Loin de là. Il n’est pas sûr que le chef de l’État signera le décret, d’autant que le camp aouniste estime que le texte lèse plusieurs juges qui lui sont proches, selon des sources proches du CPL. De mêmes sources, on avance que le projet ne verrait pas le jour avant septembre, au prétexte qu’il faudrait y inclure 40 jeunes magistrats dont la promotion est attendue à cette date. Quant à la communauté internationale, elle reste dans l’expectative, le coordinateur spécial des Nations unies au Liban, Jan Kubis, ayant critiqué le Liban au sujet des blocages à ce niveau et affirmé mercredi dernier que le retard pris dans le décret des nominations constitue un des facteurs qui affaiblissent la position du Liban dans ses négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Est-ce dans cet état d’esprit que Jan Kubis s’est entretenu hier matin avec Mme Najm au ministère ? Selon la version officielle rapportée par l’ANI, leurs discussions ont porté sur les moyens de renforcer le soutien de l’ONU à la justice libanaise. On peut toutefois, sans grand risque de se tromper, présumer que le dossier des nominations a été évoqué d’une façon ou d’une autre.
commentaires (8)
Cette rencontre avec M. Kubis veut-elle dire que nous sommes de facto sous tutelle de l'ONU? Inchallah!
Michael
23 h 59, le 02 juin 2020