L’approbation par le gouvernement de la construction d’une centrale électrique à Selaata, lors du dernier Conseil des ministres vendredi à Baabda, a suscité de vives réactions dans les rangs des opposants, qui n’ont pas caché leur colère face à l’échec de l’équipe ministérielle à faire preuve de compétence, et surtout d’indépendance selon eux.
Dans ces milieux, on rappelle que dès sa désignation pour former l’équipe ministérielle, le 19 décembre dernier, le Premier ministre Hassane Diab s’était engagé à former un cabinet de spécialistes totalement indépendants. Sauf que la toute dernière séance gouvernementale a prouvé le contraire, estiment les opposants, qui y ont vu la preuve que c’est en fait le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil qui tire les ficelles. Invoquant l’article 56 de la Constitution, le chef de l’État Michel Aoun est en effet parvenu à pousser le cabinet à adopter le plan datant du gouvernement Hariri, incluant la mise en place d’une centrale électrique à Selaata dans le caza du Batroun, fief du chef du CPL, alors que le gouvernement avait décidé lors de sa réunion tenue le 14 mai au Sérail de ne retenir que les centrales de Zahrani (Liban-Sud) et Deir Ammar (Akkar). Ce brusque revirement dans les choix gouvernementaux fait craindre à Élias Hankache, député Kataëb du Metn, « des marchés douteux conclus en coulisses, qui pourraient pousser certains partis à accepter l’amnistie générale en contrepartie de la mise sur les rails de la centrale de Selaata », dans une flèche décochée au CPL. Celui-ci, à l’instar des autres formations chrétiennes, s’était opposé au vote de cette loi lors de la séance parlementaire au palais de l’Unesco, jeudi dernier. En face, le tandem chiite et le courant du Futur s’étaient montrés favorables au texte, dans un souci de satisfaire leurs bases populaires respectives. « C’est justement contre cette logique obsolète que les gens s’étaient révoltés le 17 octobre dernier, souligne M. Hankache à L’Orient-Le Jour. J’espère que ce genre d’agissement n’aura pas de retombées négatives sur les tractations en cours avec le Fonds monétaire international. D’autant qu’il est difficile d’obtenir une aide financière quand un mini-État est doté d’un arsenal. »
« Le gouvernement n’existe pas »
Du côté des haririens, Moustapha Allouche, membre du bureau politique du Futur, a attaqué aussi bien le gouvernement que le binôme Baabda-CPL. « Le cabinet Diab n’existe pas. Le pays est géré par Gebran Bassil », déclare-t-il sans détour à L’OLJ. Pour lui, la séance gouvernementale de Baabda l’a véritablement prouvé. « À cela s’ajoutent plusieurs dossiers dans le cadre desquels l’équipe ministérielle a échoué, comme pour les nominations et permutations judiciaires et la contradiction flagrante entre les chiffres présentés par le gouvernement au FMI et ceux de la Banque du Liban » concernant les pertes de la banque centrale. Tout cela fait dire à M. Allouche que « Hassane Diab n’est que le paravent du pouvoir que dirige Gebran Bassil et ceux qui gravitent dans son orbite ».
Si le Parti socialiste progressiste s’est abstenu de commenter l’affaire, quitte à se prononcer « en temps voulu », la réaction des Forces libanaises – qui s’étaient toujours opposées à la gestion aouniste du dossier de l’électricité depuis 2008 – ne saurait être dissociée de leur conflit chronique avec le CPL. Interrogé par L’OLJ, un responsable du parti souligne que ce n’est pas en agissant de cette manière que le gouvernement pourra obtenir les aides internationales. Le responsable FL estime en outre que la bataille acharnée menée par les aounistes pour la mise en place de la centrale de Selaata serait liée à des calculs locaux et électoraux.
Le mouvement de contestation et les composantes de la société civile dénoncent également ce qu’ils considèrent être l’incompétence et le manque d’indépendance du cabinet. Dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, Salam Yammout, présidente du Bloc national, estime que la toute dernière décision gouvernementale « n’obéit qu’à la seule logique de partage du gâteau entre les partis et les communautés ». « D’ailleurs, toutes les données dont nous disposons montrent que le Liban n’a pas besoin de trois centrales électriques », déplore-t-elle, ajoutant : « Pendant des décennies, nous n’avons pas pu gérer une seule centrale. Comment parviendrons-nous à en faire fonctionner trois ? » « Le mouvement de contestation a toujours plaidé pour un cabinet d’indépendants. Il est grand temps de le former, parce que le gouvernement actuel ne l’est pas », conclut-elle.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le ministre de l’Énergie Raymond Ghajar rétorque que le plan portant sur le secteur de l’électricité a fait l’objet d’une loi votée en 2019, que le gouvernement applique aujourd’hui. « Ce serait à la population de subir les conséquences de la mise en place d’une seule centrale au lieu de trois », déclare-t-il. Et de poursuivre : « Ce sont les conseillers internationaux qui ont désigné les terrains qui pourraient être utilisés pour bâtir les centrales électriques. » Interrogé sur la crédibilité du gouvernement à la suite de cette décision, il a souligné que le cabinet exprime « une nuance politique », mais s’il ne satisfait pas les gens, « ils peuvent demander sa chute ».
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Sans doute, un rapprochement entre les Forces Libanaises et/ou Kataëb avec Amal et le Hezbollah, ferait beaucoup de bien pour faire face à la domination actuelle de la scène politique par le CPL de Aoun et Bassil.
Tony BASSILA
18 h 32, le 01 juin 2020