Les banques, de leur côté, refusent de se considérer responsables des pertes liées à leurs investissements dans la dette souveraine du Liban – 11 milliards de dollars d’eurobonds (titres de dette émis en devises) et l’équivalent de 14 milliards de dollars au taux de 1507,5 livres de bons du trésor (titres de dette émis en monnaie nationale) selon l’ABL – ou à leurs placements à la Banque du Liban – 74 milliards de dollars en devises et l’équivalent de 36 milliards de dollars en livres, toujours selon le plan de l’ABL.
Pour la plupart des banques, ainsi que pour une partie du secteur privé, l’État est le premier responsable de la grave crise économique et financière dans laquelle se trouve le Liban aujourd’hui, et de sa dette colossale qui s’élevait fin février à 92,2 milliards de dollars. Une situation qui contraint aujourd’hui le gouvernement, qui a annoncé faire défaut sur sa dette en devises en mars dernier, à négocier un plan d’aide avec le Fonds monétaire international.
Cette ligne de défense prônée par le secteur bancaire est toutefois jugée irrecevable par une partie des experts qui suivent le dossier et estiment que les banques doivent assumer leurs mauvais choix, à savoir celui d'avoir investi massivement l’argent des déposants pour financer l’État et la BDL plutôt que l’économie réelle. Une stratégie dont les limites ont éclaté au grand jour avec la crise du dollar et celle de la Covid-19.
Les principaux objectifs fixés par le ministère des Finances en ce qui concerne la restructuration du secteur bancaire sont : diviser le nombre de banques commerciales par deux (49 sur les 63 au total qui sont membres de l’ABL, les autres étant des banques d’investissement) car la taille du secteur bancaire libanais fait « quatre fois la taille du pays » selon le Premier ministre Hassane Diab; et faire en sorte que le secteur bancaire retrouve son rôle de financement de l’économie réelle au lieu de se focaliser essentiellement sur le financement de l’État. Jusque-là, les bons du Trésor et les eurobonds offraient de hauts taux d’intérêt, pénalisant ainsi le secteur privé qui devait alors payer des taux d’intérêts élevés afin de compenser le coût d’opportunité des banques.
Utilisation des capitaux propres
Mais comment le gouvernement, qui estime les pertes totales du secteur bancaire à 186 000 milliards de livres, compte-t-il s’y prendre?
En premier lieu, pour diminuer les pertes du secteur, le plan prévoit d’utiliser les capitaux propres des banques qui se chiffrent à 31 000 milliards de livres, ramenant ainsi les pertes nettes du secteur à 154 000 milliards de livres. L’exécutif souhaite donc mettre à contribution les actionnaires et les détenteurs d’actions préférentielles des banques. Les pertes restant élevées, le gouvernement veut aussi récupérer les dividendes versés, depuis 2016, par les banques aux actionnaires, ainsi que les fonds « obtenus illégalement » en particulier avec les personnes politiquement exposées ainsi que les fonds « sortis illégalement du pays ». Tout cet argent va être placé dans un « fonds de recouvrement (deposits recovery fund) ».
Ensuite, le gouvernement a séparé en deux catégories les dettes de ce secteur: les dépôts et le reste. Cette deuxième catégorie, qui peut contenir des effets à payer (des sommes que la banque doit à d'autres créanciers), est tout simplement effacée. Concernant la première catégorie, qui constitue un sujet de débat au sein de la société libanaise, le cabinet a martelé sa volonté de protéger « la grande majorité des déposants, si ce n’est tous ». Mais il va quand même devoir piocher dans les dépôts bancaires afin de réduire les dettes des banques et donc alléger leurs bilans. Il n’est toutefois pas précisé, dans le plan, quelle proportion des déposants sera mise à contribution, ni à partir de quel montant de dépôt.
Toutefois, on sait que les « grands déposants » des banques auront le choix de convertir une partie de leurs dépôts soit en actions de leurs banques (bail-In), soit en actions du « fonds de recouvrement », soit encore en obligations bancaires avec un intérêt fiable, voire nul. En revanche, les dépôts de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), et des organisations professionnelles, comme les syndicats, les universités et les associations, seront « préservés ».
Concernant la réduction de la taille du secteur par deux selon les propos du ministère des Finances il y a une dizaine de jours, ce sont les banques elles-mêmes qui devront proposer un plan de restructuration et de recapitalisation, à travers notamment des fusions-acquisitions.
De plus, le gouvernement va permettre à cinq nouveaux acteurs d’entrer sur le marché en émettant cinq nouvelles licences bancaires, qui pourraient être attribuées également à des banques de développement et des fonds spécialisés. Ces établissements devront avoir un capital minimum de 200 millions de dollars, dont la moitié doit être constituée d’argent « frais » via des fonds en devises provenant soit de l’étranger, soit placés en liquide directement dans un compte. Ce nouveau capital devra financer « exclusivement » l’économie réelle.
La BDL et le ministère des Finances vont, en outre, entreprendre une dédollarisation graduelle pour réduire les crédits octroyés en devise étrangère. Le taux de dollarisation des crédits au secteur privé était évalué à 66,3 % à fin mars, contre 69,7 % un an auparavant, alors que celui des dépôts est de 77,9 % au premier trimestre de l’année 2020, contre 70,6 % à la même période en 2019, selon les chiffres relayés par le Lebanon This Week de la Byblos Bank. Les prêts interbancaires vont donc se résumer à fournir de la liquidité en devises aux banques, qui sera assurée par la Banque centrale.
Provenance des pertes
À noter que les pertes du secteur bancaire pourraient être revues à la baisse ou la hausse, selon les résultats de l’audit de la BDL (effectué par trois cabinets internationaux: Kroll, Oliver Wyman et KPMG), de la qualité des actifs que possèdent les banques (Asset Quality Review - AQR), et, plus spécifiquement, des prêts douteux pour évaluer plus précisément les pertes. Celles-ci, à hauteur de 186 000 milliards de livres, comprennent les pertes de la BDL, celles de la restructuration de la dette libanaise et des créances douteuses. Ces dernières sont les prêts contractés par les acteurs du secteur privé qu’ils ne peuvent plus rembourser. Des créances douteuses qui devraient croître de 30%, selon le gouvernement, en raison de la crise économique.
Par ailleurs, les banques commerciales sont liées à la Banque centrale, qui non seulement collecte les réserves obligatoires des banques pour prévenir le risque de défaut de paiement d’un établissement bancaire envers un client, mais possède également dans son portefeuille des certificats de dépôts des banques qu’elle rémunère. Ainsi, toute restructuration de la BDL, dont les pertes s’élèvent à 177 000 milliards de livres (les pertes nettes à 121 000 milliards de livres en comptant un taux de change livre/dollar de 3500 livres) implique nécessairement des retombées sur les banques du pays. Or, le secteur bancaire et la BDL ont massivement investi dans des bons du Trésor et dans des eurobonds, et le Liban a officiellement fait défaut sur sa dette en devises en mars (qui s’élève à 34,1 milliards de dollars à fin février), et va probablement le faire pour celle en livres. Ce défaut impacte doublement les banques libanaises : la première fois directement, quand elles ne perçoivent ni le principal ni les intérêts des titres de dette arrivant à maturité ; la seconde fois indirectement lorsque c’est la BDL qui ne les reçoit pas, se retrouvant alors dans l’incapacité de payer aux banques les certificats de dépôts arrivant à maturité.
L'exécutif a, de plus, prévu, dans le cadre de la restructuration de la BDL, de réduire sa dette envers les banques à hauteur de 10,4 milliards de dollars, soit 36 400 milliards de livres, au taux de 3500 livres pour un dollar, ce qui pèsera aussi sur ce secteur.
commentaires (11)
ET... les reserves d or du Liban ? Servent a quoi ? A faire joli ? L etat Libanais a une grosse responsabilité....!!!! Il ne participe pas ?
LAMARCK
21 h 22, le 21 mai 2022