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Culture - Témoignage

« Tous les matins, il me lisait les textes qu’il avait écrits la veille »

C’est d’une voix tremblante et chargée de plus de cinquante ans de souvenirs littéraires et humains que Vénus Khoury-Ghata a partagé son émotion face à la perte de son ancien professeur, qui fut ensuite son ami et son compagnon de route sur les chemins de l’écriture, Salah Stétié.

Vénus Khoury-Ghata. Photo DR

À l’annonce du décès du grand poète qui fut également diplomate, la poétesse est affligée, mais néanmoins impatiente d’évoquer son ami disparu. « En 1957, lorsque j’étais à l’école des lettres, un de nos professeurs français a été malade, et c’est Salah qui l’a remplacé pour quelque temps. Il nous a fait découvrir Baudelaire, Rimbaud et Apollinaire, alors que nous peinions sur Rabelais et le XVIe siècle depuis des mois. Puis nous nous sommes revus en France car il était ami avec mon mari, Jean Ghata, et nous ne nous sommes plus quittés. Nous étions très souvent invités ensemble en tant que poètes libanais de langue française, notamment au grand Festival de poésie de Sète, que nous ouvrions chaque année tous les deux avec Adonis. Il faut nous imaginer tous les trois sur le podium face à 1 200 personnes dans le parc public. L’année passée, Rami Adwan a organisé une lecture poétique chez lui à l’ambassade du Liban, et ce fut un bonheur de revoir Salah en costume trois pièces, il était heureux de lire ses poèmes. J’aimais beaucoup l’entendre réciter de la poésie, il avait une très belle voix. Tous les matins, il me lisait les textes qu’il avait écrits la veille et il les répétait plusieurs fois. Nous étions très proches, il me présentait aussi régulièrement ses conquêtes féminines », raconte en souriant celle qui a été très affectée par la dernière fois où elle a pu voir l’auteur du Vin mystique et autres lieux spirituels de l’Islam (Albin Michel, 2002).

Pour mémoire

Salah Stétié : « Un écrivain qui n’extériorise pas ses secrets est un écrivain inaccompli... »

« Il y a un an, nous sommes allés lui rendre visite, Adonis et moi, dans son Ehpad (maison de retraite médicalisée, NLDR), en banlieue parisienne. Ce souvenir me fend le cœur. Nous avons déjeuné ensemble, il ne parlait pas, il se contentait de manger, on aurait dit qu’il ne s’intéressait qu’à la nourriture. Une fois que nous sommes sortis de table et que nous avons voulu rentrer à Paris, il s’est glissé dans la voiture comme un petit garçon qui voulait fuir son école pour rentrer à la maison. Il a fallu l’extraire de la voiture, et c’était d’une tristesse incroyable. Je savais qu’il allait mal depuis deux ans. Il avait besoin de quelqu’un pour s’occuper de lui, il n’était plus le même, il a arrêté d’écrire », confie doucement la poétesse qui ne peut s’empêcher de percevoir un certain écho de sa propre mort dans la disparition de son ami. « Nous sommes en train de nous en aller les uns après les autres, Andrée Chédid et maintenant Salah, qui ouvre la voie. Après la mort de ma sœur May Menassa, je sens que chaque journée est un cadeau du ciel que je ne mérite pas vraiment. Mais une jeune génération d’écrivains libanais francophones a émergé, comme Hyam Yared, Rita Baddoura, Alexandre Najjar, Charif Majdalani et bien d’autres... »

Un poésie entre gravité et candeur

Si la connivence littéraire entre les deux poètes était constante, Vénus Khoury-Ghata, qui vient de publier Demande à l’obscurité (Mercure de France, 2020), souligne leurs pratiques très différentes de l’écriture. « Je suis beaucoup plus dramatique que lui, mes textes ont accompagné les différents événements de ma vie, la guerre, la mort de mon mari, jusqu’à aboutir à une poésie proche de la terre, la plus simple possible. Surtout, dans mes deux derniers recueils, Les gens de l’eau (Mercure de France, 2018) et Demande à l’obscurité, j’emprunte la voix de la terre et je reviens vers mon village, Bécharré, vers des gens à l’état brut, vers ce fleuve glacial et ce cimetière construit en belles pierres alors que les maisons peuvent être misérables. Et bien sûr, en arrière-plan, le rocher où est enterré Gebran Khalil Gebran. La poésie de Salah a changé du jour au lendemain au contact de l’enfant de son ex-compagne, Maxime. Il éprouvait beaucoup d’amour pour ce petit garçon, et cela se ressent dans ses derniers écrits. Ses textes, jusque-là empreints de gravité, ont retrouvé une forme de candeur », ajoute la romancière, qui insiste sur l’immense notoriété littéraire de Salah Stétié. « Il a marqué son temps ; d’ailleurs, tout dernièrement, la revue Europe lui a consacré un dossier complet, ce que l’on ne fait que pour les écrivains qui vont traverser les siècles. Il a empreint ses textes de son sceau, vous n’avez pas besoin de regarder la signature pour savoir que c’est du Salah Stétié. Un de mes poèmes préférés est L’être, publié chez Fata Morgana en 2014, je le cite de mémoire :

« Nous avons attendu leurs lettres

Elles disaient que les oiseaux d’ici avaient quitté les automnes

Elles disaient l’enfance appauvrie

Et le pays aux lentes retirées. »

Un aspect déterminant de l’écriture de son ami est, selon elle, que ses textes français sont pétris de langue et de culture arabes ; les connaisseurs peuvent y lire des échos des poètes abbassides ou des sourates du Coran. « Ses poèmes ont une dimension islamique qui est magnifique, il a sublimé ce qui vient de la langue arabe et il l’a introduit dans la langue française. Il avait une vénération pour Mahomet, il lui a d’ailleurs consacré une biographie, mais c’était avant tout un poète ! »

L'hommage d'Adonis

Salah Stétié : ami, témoin et symbole

Doucement, celle qui prépare un roman chez Actes Sud pour la fin de l’année récite à nouveau des vers écrits par son ami, dont elle apprécie la double portée linguistique et culturelle.

« Dans le chaudron de fer les étoiles des lionnes,

Le ciel est sous le feu

Et sur terre,

L’unicité du beau respire

Avec Ibn Arabi, avec Djelal

Portés par le jaillissement d’un bond très pur

Jusqu’à la lune, bergerie spirituelle. »

Salah Stétié a choisi de reposer dans la ville de Tremblay-sur-Mauldre, dans une concession d’où il pourra voir sa maison et son jardin...

À l’annonce du décès du grand poète qui fut également diplomate, la poétesse est affligée, mais néanmoins impatiente d’évoquer son ami disparu. « En 1957, lorsque j’étais à l’école des lettres, un de nos professeurs français a été malade, et c’est Salah qui l’a remplacé pour quelque temps. Il nous a fait découvrir Baudelaire, Rimbaud et Apollinaire, alors que...

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