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Culture - La compagnie des films

Émile Chahine : Je ne suis pas allé vers le cinéma, c’est le cinéma qui est venu vers moi

Critique cinématographique, fondateur et animateur de ciné-clubs, enseignant le 7ème art, une matière vivante qui le fait vibrer, dans plusieurs universités, Émile Chahine a toujours eu pour objectif d’éduquer l’œil, le regard, afin de pouvoir « lire » un film. Une mission qu’il pense avoir accomplie en toute honnêteté.

Émile Chahine : « Il n’y a pas un genre de films en particulier que je n’apprécie pas. » Photo DR

À quel âge est née la passion du cinéma et quel a été le film qui l’a déclenchée ?

Je peux considérer que j’ai ouvert mes yeux sur le cinéma. Mon père avait un terrain sur la place du Tall, près du Sérail (détruit dans les années 50), au centre de Tripoli. Il n’était pas cinéphile mais lorsqu’il décida de construire un immeuble sur ce lopin de terre, la Compagnie Cattan et Haddad lui a demandé de leur louer l’étage du rez-de chaussée pour pouvoir ouvrir une salle de cinéma. Ce qui fait que j’ai grandi en sachant que je pouvais toujours pousser la porte de cet étage et entrer au cinéma quand je voulais et gratuitement de surcroît. Ce qui m’attirait en tant que gosse, ce sont bien sûr les films de cape et d’épée ,et de western, en couleurs. J’ai par ailleurs appris à aimer les films égyptiens car, depuis mon balcon, je pouvais voir les projections du cinéma Dunia, en face de chez nous. Il n’y avait pas d’air conditionné, j’ouvrais la fenêtre de la cuisine et je voyais le film que j’avais envie de voir. C’est ainsi que, depuis mon enfance, je ne suis pas allé au cinéma mais le cinéma est venu vers moi.

Le cinéma est-il pour vous synonyme d’évasion, de délassement ou de divertissement ?

Certes, quand j’étais tout jeune, le cinéma était signe de divertissement comme pour tous les autres jeunes de mon âge, mais lorsque j’ai grandi, et que j’allais au cinéma avec mes amis dans les années 60, deux films ont eu un grand impact sur moi : Hiroshima mon amour d’Alain Resnais et La Notte de Michelangelo Antonioni. Alors que mes copains sortaient de la salle ennuyés, je restais scotché devant l’écran. Par la suite, j’ai vu et revu ces films, toujours à Tripoli. J’ai réalisé que je nourrissais un goût différent des autres pour les films. Par la suite, quand je suis devenu critique et enseignant, j’ai appris à mes élèves que pour voir et apprécier un film, il faut éduquer son œil et savoir comment lire un film et non pas se contenter de le visionner seulement.

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Si vous étiez réalisateur, qui auriez-vous aimé être et qui auriez-vous choisi comme acteur et actrice ?

C’est une idée qui m’est sortie de la tête depuis très longtemps. Tout jeune cinéphile rêve de devenir réalisateur un jour. Pourquoi cette idée ne m’a plus jamais effleuré ? Car à l’âge où je rêvais de devenir metteur en scène, j’ai découvert que le cinéma libanais ne valait rien, du moins il ne me plaisait pas. Bien sûr, Maroun Baghdadi et Borhane Alaouié commençaient à émerger mais il n’y avait pas un « corps » de cinéma, ni même un espoir de survie. J’ai tout de suite pensé à créer une culture cinématographique. Comment ? À travers les ciné-clubs et en persuadant les universités d’enseigner le 7ème art. Je crois que j’ai réussi à jouer ce rôle. Aujourd’hui, avec la crise économique, je commence à avoir peur de nouveau pour le cinéma libanais. Mais revenons à votre question, si je devais être réalisateur, je crois que j’aurai souffert d’une double personnalité. J’aurais aimé être Ingmar Bergman pour son génie et son choix très délicat de casting ainsi que de toute son équipe technique. Mais également, j’aurais aimé porter la casquette de William Wyler, bien qu’il fût critiqué pour sa patte éclectique et sa signature indéfinissable (Vacances romaines et Ben Hur, par exemple). C’est pour cette même raison que je l’appréciais. Il pouvait aborder tous les genres (comédie, western, thriller, péplums…). Je m’identifie à lui car je suis ouvert à tous genres de films…

De combien de films est composée votre bibliothèque ? Avez-vous jamais été tenté par les films piratés ?

J’ai des milliers de films originaux. Je ne les compte même plus. Je ne boude pas les copies car dans ma carrière d’enseignant, on doit toujours être au courant des nouveautés et il m’est souvent impossible d’acquérir ce que je veux. J’ai un autre hobby qui est d’enregistrer des émissions télévisées comme des documentaires sur un réalisateur ou sur des sujets se rapportant au cinéma. Je possède un nombre incalculable de documentaires que j’ai rassemblé au fil des ans parce que j’en avais besoin pour l’enseignement. Ces documents me sont plus précieux que n’importe quel film que je peux retrouver sur internet.

Quel est le film que vous avez visionné plusieurs fois et toujours avec le même plaisir ?

Il y a d’une part Singin’ in the rain pour sa légèreté, sa musique et son intelligence. Je ne me lasse jamais de le revoir. Mais aussi les films d’Ingmar Bergman comme Persona ou Les Fraises sauvages que je vois et revois des centaines de fois en y découvrant à chaque fois un détail nouveau.

Quel est le genre de films que vous n’aimez pas ?

Ça peut vous sembler étrange mais il n’y a pas un genre de films en particulier que je n’apprécie pas. J’arrive même, à cause de l’esprit critique que j’ai nourri et éduqué avec le temps, à m’amuser de la faiblesse d’un film ou de sa médiocrité. Mais certainement, je ne perdrais pas trop mon temps à voir ce genre de films.

Un film à déconseiller durant le confinement ?

Je ne conseillerai certainement pas Contagion de Steven Soderbergh. Non seulement parce qu’il parle uniquement de pandémie et que ça ressemble à la situation que nous vivons tous, mais aussi parce qu’il est le fruit de l’imagination et qu’il n’est pas basé sur des données scientifiques réelles. Il pourrait donc déstabiliser le spectateur, lui donner de fausses idées ou créer des peurs infondées.

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Avez-vous transmis cet amour du cinéma à vos proches et amis ?

J’ai commencé à animer des ciné-clubs à Tripoli dans les années 60 à la demande du Centre national de cinéma. J’ai repris par la suite cette tâche à l’université et je projetais chaque semaine des films français empruntés au Centre culturel français ou des films allemands. Puis, lorsque j’ai été lauréat dans le cadre de l’émission télévisée à succès de Télé Liban al-Moutafawikoun, cela m’a ouvert des portes et j’ai commencé à animer d’autres ciné-clubs au Mont-Liban (Beit Méry, Ajaltoun...) et à Beyrouth (Aldec) avec Aimée Boulos. Cela a encouragé les jésuites à créer l’Institut des études scéniques et audiovisuelles (Iesav). J’ai toujours cru que ces ciné-clubs pouvaient assurer une certaine éducation cinématographique. J’ai insisté pour les poursuivre même durant ma carrière d’enseignant (à l’ALBA, Notre Dame University et Lebanese American University). C’est ainsi qu’est née l’idée de la fondation Émile Chahine que dirige mon épouse Rose-Marie où elle organise des séminaires, des rencontres, des projections et accueille des invités à la NDU. Je suis donc content et fier de rencontrer continuellement des personnes (à part mes élèves, bien sûr) qui me disent que grâce à moi, elles ont pu aimer et apprécier le cinéma.

Quel est le film qui vous décrit le plus ?

Cela dépend de l’époque. Dans ma jeunesse, je pensais que c’était East of Eden (À l’Est d’Eden) d’Elia Kazan, mais, avec l’âge, je me rapproche du personnage des Fraises sauvages d’Ingmar Bergman sans pour autant avoir tous ses problèmes. Et il y a bien sûr le personnage fou amoureux des films de Cinema Paradiso de Guiseppe Tornatore.

Le top 5 des films d’Émile Chahine

« J’aime en général les films de grands réalisateurs », affirme Émile Chahine, qui égrène :

Les Fraises sauvages, d’Ingmar Bergman.

Persona, d’Ingmar Bergman.

Singin’ in the rain, de Stanley Donen.

Mort à Venise, de Luchino Visconti.

La Notte, de Michelangelo Antonioni.


À quel âge est née la passion du cinéma et quel a été le film qui l’a déclenchée ? Je peux considérer que j’ai ouvert mes yeux sur le cinéma. Mon père avait un terrain sur la place du Tall, près du Sérail (détruit dans les années 50), au centre de Tripoli. Il n’était pas cinéphile mais lorsqu’il décida de construire un immeuble sur ce lopin de terre, la Compagnie Cattan...

commentaires (1)

En effet... je le vois sur la photo. Comme si c’était hier dans « al moutafawikoun » un vrai génie... une mémoire colossale. Il gagnait à chaque fois. Il avait les réponses à toutes les questions. Les années 70 sur TeleLiban ou la CLT sans doute, avant la création de Télé Liban ? Cependant que de ( bons) souvenirs d’insouciance de l’époque ..waow ...

LE FRANCOPHONE

01 h 17, le 14 mai 2020

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Commentaires (1)

  • En effet... je le vois sur la photo. Comme si c’était hier dans « al moutafawikoun » un vrai génie... une mémoire colossale. Il gagnait à chaque fois. Il avait les réponses à toutes les questions. Les années 70 sur TeleLiban ou la CLT sans doute, avant la création de Télé Liban ? Cependant que de ( bons) souvenirs d’insouciance de l’époque ..waow ...

    LE FRANCOPHONE

    01 h 17, le 14 mai 2020

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