Les clichés de rayons de supermarchés vides après avoir été pris d’assaut par des hordes de clients dans plusieurs pays du monde font partie des images fortes relayées par les médias en plein contexte de lutte contre la propagation du Covid-19. Des scènes similaires se sont produites au Liban après que le gouvernement a imposé des mesures de confinement courant mars. Mesures qui ont paralysé la quasi-totalité de l’économie et que l’exécutif a commencé à assouplir il y a une dizaine de jours.
Si le pays du Cèdre traversait déjà une grave crise économique avant que le Covid-19 ne frappe à sa porte, l’impact de l’épidémie sur l’économie mondiale risque d’affecter un peu plus le panier moyen des consommateurs libanais déjà alourdi par l’inflation. Mais pour les importateurs, le risque de pénurie lié au Covid-19 reste pour l’instant « faible », même s’ils redoutent que les problèmes d’accès aux devises que connaît actuellement le pays ne finissent par bouleverser les circuits d’approvisionnement au point de faire disparaître certains produits des rayons.
Produits alimentaires
Ce scénario ne semble pas encore s’être encore concrétisé sur le terrain pour les produits de grande consommation (aliments, boissons, produits d’entretien), malgré quelques indices inquiétants. À Beyrouth, la majorité des rayons sont encore globalement bien fournis. La situation est plus contrastée dans d’autres localités du pays où certaines marques ont disparu. Des clients ont par exemple noté que des marques spécifiques importées de café, de pâtes, de conserves, de produits de nettoyage ou encore de lessives n’étaient plus proposées. C’est également le cas pour des produits frais comme de la charcuterie ou du fromage français.
« Tout ce qui était plutôt rare ou haut de gamme devient cher ou difficile à trouver », résume un acheteur établi en périphérie de Beyrouth. Un résidant du Kesrouan note, lui, que dans certains petits commerces, « de plus en plus de marques de confiserie ont été remplacées par des équivalents produits en Syrie, en Turquie ou dans des pays du Golfe ». Un vendeur de fruits et légumes de la montagne admet volontiers que certaines denrées sont plus difficiles à trouver, citant par exemple l’ail chinois. Le phénomène touche aussi certaines marques locales – de mouchoirs ou de papier hygiénique par exemple. En revanche, les produits laitiers libanais, les viandes ainsi que les fruits et légumes sont toujours présents dans les rayons, même s’ils sont plus chers.
Les consommateurs interrogés n’associent toutefois pas automatiquement la raréfaction, voire la disparition de certains produits à un risque de pénurie dans le contexte économique marqué par la brutale dépréciation de la livre ces derniers mois. « Je crois que les supermarchés possèdent des stocks, mais qu’ils attendent pour ajuster leurs prix », spécule une des personnes précitées.
Si les changeurs agréés sont en grève depuis le 23 avril, le taux du marché noir, qui est devenu le seul véritable baromètre monétaire, oscillait hier entre 3 800 et 4 200 livres d’après nos informations, dans un contexte d’incertitude concernant l’évolution de la situation. La chute libre, quasi continue depuis l’été dernier de la livre et amplifiée par les restrictions bancaires est enfin un des effets les plus visibles de la crise. Certaines sociétés qui distribuent leurs produits au Liban, à l’image de Nestlé, ont d’ailleurs déjà pris la décision d’adapter leurs prix en livres en tenant compte du taux du marché noir au lieu de la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, qui n’est plus appliquée que pour certaines transactions bancaires.
Certains consommateurs soupçonnent les distributeurs de stocker une partie de leurs marchandises. Photo C.A.
Baisse du pouvoir d’achat
Contacté par L’Orient-Le Jour, le président du syndicat des importateurs des denrées alimentaires, Hani Bohsali, est catégorique : c’est bien la situation monétaire qui est à l’origine de la disparition de certains produits alimentaires des rayons libanais. « Même si les usines agroalimentaires dans le monde tournent encore au ralenti à cause du Covid-19, elles sont toujours dans la capacité de répondre à la demande (...) En revanche, les délais de livraison et ceux de production vont s’allonger, et quelques produits risquent de manquer temporairement, mais cela ne sera que passager », poursuit-il. Le professionnel n’écarte cependant pas le risque de diminution des stocks et rappelle que les problèmes liés à l’accès au dollar touchent aussi bien les importateurs que les producteurs locaux (les éleveurs de bovins achètent par exemple une partie du fourrage à l’étranger, les fabricants de contenants en plastique doivent importer leurs matériaux, tout comme les fabricants de médicaments, etc.).
Hani Bohsali souligne enfin que les difficultés de sa filière sont moins liées à la dépréciation de la livre elle-même qu’à l’incertitude de la conjoncture actuelle, notamment incarnée par un taux de change dollar/livre « qui peut varier au cours de la même journée », ce qui complique toute projection au niveau des paiements à effectuer et des commandes. Ces difficultés impactent encore plus les entrepreneurs qui ont plus de mal à trouver de « l’argent frais » (des fonds en devises déposés sur des comptes spécifiques institués en novembre par le secteur bancaire et qui ne sont soumis à aucune restriction). En outre, l’impact de la crise sur le pouvoir d’achat des Libanais oblige les importateurs à choisir et commander des produits moins chers et de « moins bonne qualité, mais (qu’ils) seront sûrs de vendre ». Le syndicaliste cite en exemple la disparition progressive du riz basmati, plus cher que le riz blanc.
Carburant et médicaments
La situation est sensiblement différente pour les secteurs du carburant et des produits pharmaceutiques. Ces deux filières font partie de celles considérées comme stratégiques par la Banque du Liban (BDL), qui a introduit début octobre un mécanisme leur permettant de débloquer 85 % de leurs besoins en dollars en échangeant leurs livres au taux officiel. Ce mécanisme bénéficie également à quelques autres filières stratégiques dont les importateurs de blé.
S’agissant du carburant, le président du syndicat des propriétaires de stations-service, Samy Brax, est catégorique : « Il n’y aura aucune pénurie d’essence au Liban. » Il évoque le fait que les stocks mondiaux sont élevés et les prix très bas par rapport aux moyennes habituelles. Il ajoute que l’approvisionnement en carburant du pays n’a quasiment pas été perturbé pendant les mesures de confinement liées au Covid-19. De plus, « la demande d’essence au Liban a diminué d’environ 70 à 75 %, dû à la baisse d’activité des usines et des transports ». Samy Brax met en revanche en garde contre une pénurie temporaire de mazout, « qui n’est pas une pénurie à proprement parler car ce sont les importateurs de mazout qui ont réduit leurs commandes face à la baisse de la demande, ce qui pourrait créer une pénurie temporaire », explique-il. La filière se plaint régulièrement de l’impact de la dépréciation de la livre sur ses revenus.
La situation est plus compliquée pour les importateurs de produits pharmaceutiques, qui affirment que les restrictions bancaires sur les transferts ont retardé les paiements de certains de leurs fournisseurs qui ont arrêté de travailler avec eux. Conséquence : les stocks de certains médicaments étaient tombés à zéro pendant un temps, déplore le président du syndicat des importateurs de produits pharmaceutiques, Karim Gebara. Le tir a finalement été partiellement corrigé lors d’une réunion en mars entre les professionnels de la filière, le Premier ministre Hassane Diab et le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, qui a permis de réduire le montant des arriérés dus par la filière pour lui permettre de commencer à reconstituer une partie de ses stocks.
Karim Gebara précise toutefois que les problèmes de stocks touchent moins certains traitements de maladies chroniques, comme le diabète et l’hypertension, pour lesquels les pharmacies ont généralement des stocks plus importants que pour d’autres catégories de produits. Il pointe enfin du doigt les clients qui constituent des stocks excessifs de médicaments chez eux par crainte d’une pénurie, une tendance qui fausse la perception sur les conditions d’approvisionnement du marché.
commentaires (3)
Je pense que cet article est de la désinformation. Beaucoup de produits commencent à manquer et vont manquer d’avantage au fur et à mesure de l’écoulement des stocks importants qui existaient. Les prix ont été multipliés par 3 pour tous les produits importés et par 1,5 à 2 pour les produits locaux. La grande majorité de la population libanaise va tellement se paupériser qu’elle n’aura plus les moyen d’acheter les produits de base tant alimentaires que d’hygiène. Voilà le résultat de l’incompétence et de la corruption des dirigeants libanais tous bords politiques confondus alors que tous veulent combattre la corruption. Et ces technocrates, qui se prennent au sérieux, pensent vraiment sauver le pays en volant à leur tour les épargnes de la population. Attention à la révolution de la faim, elle sera dévastatrice
Lecteur excédé par la censure
11 h 46, le 06 mai 2020