Rechercher
Rechercher

Culture - Entretien

Nasri Sayegh : Les beaux jours des pièces radiophoniques sont de retour !

Il y a 42 jours, l’artiste visuel, acteur et DJ a créé, sur le ton de la blague, radiokarantina, devenue rapidement une plateforme d’échange de musique, d’images et de mots. Un cadavre exquis, de véritables bijoux auditifs qui emmènent les auditeurs dans un voyage vers des territoires sonores à défricher et à (re)découvrir. Ou quand Ghassan Salhab, Rayya Badran, Jessika Khazrik ou Rabih Kayrouz (entre autres) jouent les DJs de Beyrouth vers le reste du monde (et/ou vice versa).

L’artiste visuel, acteur et DJ peut être fier de son cadavre exquis. . Photo DR

D’abord, explique-nous, en détail, comment cette idée de radiokarantina a germé et comment elle a été concrétisée.

L’intuition, l’envie, le désir me sont venus au soir du dimanche 15 mars. Le Liban s’apprêtant à entamer sa quarantaine, son confinement par décret, j’ai vite compris que ces « vacances sanitaires et obligatoires » étaient là pour s’installer dans la durée. D’abord par envie et plaisir de partager, de faire résonner la musique dans mon appartement-atelier, ensuite pour élargir les murs de mon confinement en invitant mes ami(e)s dans mon chez-moi musical et enfin pour humblement donner l’exemple – dans un certain sens de la responsabilité – pour encourager les gens à rester chez eux. Étant un confiné ou confit (c’est selon) de naissance, l’exercice de l’isolation ne m’est pas ardu dans l’absolu – je vis, travaille, rêve, m’ennuie, m’enivre à partir de chez moi – mais pour beaucoup, cet exercice s’apparente plus à une forme de punition, à un véritable calvaire. Par instinct d’amusement donc, j’ai eu l’envie de partager un premier set musical, un premier mélange sonore composé d’extraits de films, de pubs, de textes de Delphine Seyrig et de chansons de Brigitte Fontaine sur ma page Sound-Cloud. Pour le nom et toujours sur un ton amusé, j’ai intitulé ce premier jet « radiokarantina – Jour un ». L’idée étant de composer et de partager un set par jour de confinement. Égrener les jours d’attente à travers la musique. Quelques minutes après avoir partagé ce premier mélange et à ma très grande surprise, ma boîte mail a très vite été prise d’assaut par des messages de remerciements et de nombreuses demandes de participation. Nous sommes aujourd’hui au quarante-deuxième jour de quarantaine ; autant de jours et autant d’artistes et de non-artistes qui ont participé, façonné ce voyage musical.

Créée sur le ton de la blague « Bein el mazeh wel jadd », radiokarantina est devenue plateforme d’échange de musique, d’images, de mots. De Beyrouth vers le reste du monde (et/ou vice versa), le voyage inclut les sons de Ghassan Salhab, Rayya Badran, Jessika Khazrik, Rabih Kayrouz, Nour Ouayda, Hatem Imam, Mahmoud Merjan, Abraham Zeitoun, Fadi Mansour, Rami Abi Rafeh, Philipp Widmann, Laure Giappiconi, Jana Saleh, Rayan Abdel Khalek (la liste est très longue…!); les mots de Chrystèle Khodr et bientôt ceux de Hanane Hajj Ali ; et les gestes de la Compagnie Zoukak qui s’apprêtent à diffuser une de leurs pièces de théâtre en version radio. Les beaux jours des pièces radiophoniques sont de retour pour le plus grand bonheur de notre imagination…


Nasri Sayegh, en look de confinement. Photo DR

Quel est son objectif ?

Qui dit « objectif » dit « projet ». Et dans ce sens, radiokarantina est l’antiprojet par excellence. Autant dans mon parcours il m’a été donné de participer à / ou de créer des projets, autant radiokarantina semble narguer toutes les règles de l’anticipation et de la projection. Radiokarantina s’invente, se développe et se nourrit d’elle-même. D’ailleurs, et par souci de clarté, je tiens à le préciser, ceci n’est pas une radio ! Il s’agit à l’état actuel d’une plateforme d’échange, de partage de mots et de sons – les auditeurs ont très vite profité de radiokarantina pour faire passer des messages, des dédicaces. D’une ville à une autre, d’un pays à un autre, parfois d’un balcon à un autre ou du salon à la cuisine. Plus que jamais, les gens ressentent un besoin de rapprochement et peut-être d’un besoin – osons le mot – de tendresse.

Qu’est-ce qu’elle t’apporte à toi personnellement ?

Dans mon égoïsme mélomane, radiokarantina m’expose de fait à un réservoir de musique insondable ! Du Yémen vers les États-Unis, de France vers la Tunisie, de Turquie vers l’Australie, du Brésil vers l’Égypte, la Somalie, l’Arable saoudite ou l’Italie, les demandes fusent de tous les continents. Du jazz à la pop émiratie, du classique à l’expérimental à l’électro au plus kitsch des sons, de la pop cathodique du Caire des années 80-90 (oui, vous aurez deviné, Sherihan ! ) en passant par les splendeurs d’Asmahan, d’Oum Kalthoum, de Najate el-Saghira à Samira Toufic… la liste est très, très, très longue! Tous les territoires sonores se croisent sur radiokarantina sans préjugé aucun, sans tabou. Sans complexe, John Cage côtoie Amr Diab ou Adawiya ; Feyrouz flirte avec Madonna ou Freddie Mercury, des chants kabyles rencontrent les tubes de Françoise Hardy ou de Christophe… Les rencontres incongrues se font à la manière de cadavres exquis. Parfois surréalistes, les vidéocollages que je réalise accompagnent souvent ces musiques venues des quatre coins de notre imaginaire sonore et collectif.

Comment se construit la programmation ?

D’elle-même. De manière très naturelle, organique, sensuelle. Les demandes de participation venant de la part de mélomanes (pro et/ou amateurs) affluent d’heure en heure. Il en est de même pour les dédicaces. Radiokarantina essaye de diffuser tout et de manière constante, et ce malgré le calvaire de la (non)-vitesse internet libanaise… Un calvaire, le plus souvent…

Y a-t-il un genre de musique préféré ?

Lorsqu’un set, une dédicace ou un vidéocollage sont diffusés, les demandes des auditeurs fluctuent en fonction des musiques du jour. Mais s’il faut évoquer un genre préféré ou un « genre-refuge », il faut dire que l’âge d’or du cinéma égyptien, que ce soit en termes de sons ou d’images, a la part belle sur radiokarantina.

Nostalgique, radiokarantina ?

Je ne sais pas. Peut-être. Sûrement quelque part. Une nostalgie tendre, amoureuse, sensuelle, heureuse. Une nostalgie des jours passés – ceux où l’on s’enlaçait, où l’on s’embrassait – avec ou sans la langue – où nous donnions, recevions et faisions l’amour sans crainte. Une nostalgie qui nous renvoie à un antan récent ; quarante jours en arrière et non pas quarante ans. Ce temps d’avant le confinement.


Une affiche radiokarantina réalisée par Abraham Zeitoun. . Photo DR

Qui en sont les auditeurs ? Est-ce qu’ils se manifestent souvent ? De quelle manière ?

Les auditeurs proviennent des quatre coins du confinement, c’est-à-dire de partout. Les frontières géographiques, les murs du confinement sont abattus quelque part, et radiokarantina reçoit des messages nuit et jour. Des messages de remerciements, d’encouragement en provenance de Pittsburgh, Téheran, Los Angeles, Ankara, Mogadiscio, Bint Jbeil, Cannes, São Paolo ou d’Alger. Des e-mails, des lettres ou parfois tout juste quelques mots. Certains, dès les premières heures, se sont filmés travaillant, cuisinant, paressant ou dansant sur les sons de radiokarantina. D’autres envoient jusqu’à aujourd’hui, tous les jours, à la même heure, leur routine quotidienne, écoutant les sets musicaux de radiokarantina. C’est très émouvant, très joyeux, encore une fois, très tendre.

Une ou des anecdotes à partager ?

Oh ! Énormément. Certaines personnes envoient des dédicaces amoureuses en demandant, par pudeur, de demeurer anonymes. D’autres envoient des dédicaces pour faire la paix avec des membres de la famille ou des proches – l’isolement les faisant oublier ou relativiser, voire même tourner en ridicule les raisons de leur dispute d’avant-confinement. Et puis, il y a cette infirmière qui officie à l’hôpital d’enfants Béchir Hamza de Tunis qui dit « tenir bon durant ses longues heures de garde nocturne » en écoutant radiokarantina. Ses dédicaces sont quasi quotidiennes. Ses demandes nous parviennent parfois entre 4h et 5h du matin. J’attends souvent sa dédicace avant de me coucher. Un lien est là. Puissant. Émouvant.

Pouvons-nous dire que c’est une radio interactive ?

Tout à fait. Radiokarantina se fait avec et pour ses auditeurs. Elle évolue d’heure en heure, d’échanges en échanges.

Qu’en est-il des podcasts ?

Pour l’heure, nous avons accueilli deux lettres radiophoniques, émouvantes et rieuses de l’écrivaine, actrice et metteuse en scène Chrystèle Khodr. Hanane Hajj Ali est en train de composer sa propre lettre – souriante et méditative au contemporain de la tragédie. La compagnie de théâtre Zoukak sera aussi accueillie la semaine prochaine sur radiokarantina avec la version audio et bouleversante de leur pièce Janna.

Lire aussi

Nasri Sayegh : Je ne vois aucune interruption entre les formes d’art auxquelles je touche


Après la fin de tout cela, va-t-elle rester en quarantaine ? Ou changer de nom, d’identité ?

Aucune idée. Les auditeurs expriment ce souhait dans leurs nombreux messages. Voyons voir où tout cela va nous mener. Et voyons voir surtout ce que ce confinement nous aura appris – ou pas…

Quel est ton programme préféré ?

Je vois et ressens radiokarantina comme une proposition dans son entièreté. Je dirais que mon programme préféré est celui de la surprise permanente et improvisée. C’est ce qui rend l’expérience inédite.

Qui aimerais-tu accueillir sur tes ondes ?

Toutes celles et tous ceux qui ont envie de faire partager des gestes, des mouvements, des images, des sons, des réflexions, des craintes, des colères, des rêves…

Des projets en gestation ?

Oui. Le seul. Celui entamé le 17 octobre dernier. La révolution est une/en gestation permanente. Nous avons hâte de regagner la place, les rues. De tout renverser. Avant qu’il ne soit trop tard.

On retrouvre radiokarantina sur les liens suivants :

Soundcloud https://soundcloud.com/radiokarantina

Facebook www.facebook.com/radiokarantina

Instagram https://www.instagram.com/radiokarantina/

D’abord, explique-nous, en détail, comment cette idée de radiokarantina a germé et comment elle a été concrétisée. L’intuition, l’envie, le désir me sont venus au soir du dimanche 15 mars. Le Liban s’apprêtant à entamer sa quarantaine, son confinement par décret, j’ai vite compris que ces « vacances sanitaires et obligatoires » étaient là pour s’installer dans...

commentaires (1)

L’audio est en plein essor depuis une dizaine d’années. Nous sommes bien placés pour le savoir ? En tant que libanais , de paris, créateur et manager d’une radio en ligne musicale audio qui arrose la terre entière avec succès Normal que les radios « en ligne »en 2020 soit au top. Tout comme l’OLJ en ligne ,sui a capté des lecteurs de nouveaux horizons lointains Bravo à radio karantina ?et à cet article

LE FRANCOPHONE

04 h 08, le 28 avril 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • L’audio est en plein essor depuis une dizaine d’années. Nous sommes bien placés pour le savoir ? En tant que libanais , de paris, créateur et manager d’une radio en ligne musicale audio qui arrose la terre entière avec succès Normal que les radios « en ligne »en 2020 soit au top. Tout comme l’OLJ en ligne ,sui a capté des lecteurs de nouveaux horizons lointains Bravo à radio karantina ?et à cet article

    LE FRANCOPHONE

    04 h 08, le 28 avril 2020

Retour en haut