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Moyen-Orient - Éclairage

En Allemagne, le procès d’un colonel syrien redonne de l’espoir aux victimes

Traqué par la justice allemande et par des activistes pendant plusieurs années, Anwar Raslan est accusé de crimes contre l’humanité.


Des photos du rapport César exposées au siège de l’ONU à New York, en 2015. Photo Reuters

Il espérait passer entre les mailles du filet, se faire oublier en refaisant sa vie en Allemagne, où il a obtenu l’asile en 2014. Mais c’était sans compter sur l’acharnement des ONG de défense des droits de l’homme, d’avocats et d’activistes syriens pour faire reconnaître les crimes commis par des membres du régime Assad. Anwar Raslan, plus haut gradé de l’appareil répressif syrien jamais appréhendé est, depuis hier, face à la justice de Coblence (centre de l’Allemagne) dans le cadre du premier procès pénal d’officiers des services secrets inculpés par des procureurs allemands de crimes contre l’humanité. Un moment historique pour ses victimes appelées à témoigner à la barre, mais aussi pour toutes celles qui continuent de traquer leurs bourreaux et espèrent que justice soit un jour rendue.

Neuf ans après le début de la révolution syrienne, le régime sanguinaire de Bachar el-Assad continue de bénéficier d’une impunité totale. Jusqu’à ce jour, seuls des petits bonnets ont été jugés, notamment en Suède et en Allemagne, où d’anciens responsables ou soldats du régime avaient trouvé refuge. Le procès d’Anwar Raslan pourrait marquer un tournant, alors que des enquêtes sur des violations graves en Syrie, telles que des actes de torture et autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont actuellement en cours, menées par un certain nombre de juridictions au sein des pays européens.

« Quand j’ai su qu’il vivait tranquillement en Allemagne, je me suis demandée comment il pouvait oser ? Il a commis des crimes pendant des dizaines d’années et se présente aujourd’hui comme un repenti, mais de quel droit ? » fustige Nuran al-Ghamian, l’une des anciens détenus témoignant contre Raslan, interrogée par L’Orient-Le Jour. En février 2019, trois Syriens, soupçonnés de crimes contre l’humanité entre 2011 et 2013, ont été interpellés en Allemagne et en France dans le cadre d’une opération commune entre les deux pays, où ils avaient le statut de réfugiés. Parmi eux, Anwar Raslan, un ancien colonel qui dirigeait à Damas le service enquête dans la « branche intérieure », la 251 ou al-Khatib, dépendant des renseignements généraux dite « sécurité de l’État ».

L’arrestation de Raslan a suscité une controverse parmi les opposants syriens, au motif que ce dernier avait fait défection en 2012 pour rejoindre leur camp, allant même jusqu’à participer aux pourparlers de Genève en 2014 en tant que membre de la délégation de l’opposition. « Si la révolution syrienne n’était pas arrivée, il aurait continué à faire son travail comme si de rien n’était et à torturer les gens. Il a eu peur pour sa peau, alors il a fait défection, mais ça n’efface en rien ses crimes », estime Nuran al-Ghamian. L’homme est aujourd’hui accusé d’avoir supervisé la « torture systématique et brutale » de plus de 4 000 prisonniers entre avril 2011 et septembre 2012, entraînant la mort d’au moins 58 personnes.


(Lire aussi : Requiem pour une jeunesse syrienne sacrifiée)


« Jugés un par un »

La branche 251, l’avocat syrien des droits de l’homme Anwar al-Bunni, ne la connaît que trop bien. Il mène une traque sans relâche depuis l’Allemagne, où il a trouvé refuge en 2014, des criminels du régime afin qu’ils soient « jugés un par un ». Au printemps 2006, l’activiste avait été arrêté devant son domicile sur ordre de ce même Anouar Raslan, puis incarcéré pendant cinq ans jusqu’à sa libération en 2011 lors du soulèvement. Leurs destins se recroisent en 2014. Arrivés à deux mois d’intervalle, ils se retrouvent hébergés dans le même foyer de demandeurs d’asile à Berlin. Mais le dissident ne reconnaît pas tout de suite son bourreau. Ce n’est qu’après quelques mois, lorsqu’il le recroise dans un grand magasin, que son nom lui revient.

Quatorze ans plus tard, les deux hommes sont de nouveau face à face. « Je suis dans un très bon état d’esprit, confie Anwar al-Bunni à L’OLJ, l’intérêt que suscite ce procès et surtout l’importance qu’il a aux yeux de mes compatriotes victimes m’encouragent dans la démarche. » « Les procès en Allemagne envoient un message clair aux tortionnaires en Syrie qui continuent de commettre des crimes en toute impunité. Ils envoient également un message d’espoir aux victimes, aux survivants et à leurs familles – même si le processus de responsabilisation est lent, il finira par avoir lieu », dit-il. À cause de la fermeture des frontières afin d’endiguer l’épidémie du coronavirus, Nuran al-Ghamian, qui vit en Suisse depuis trois ans, n’a pas pu assister à l’ouverture du procès d’Anwar Raslan, qu’elle attendait avec impatience. Arrêtée fin mai 2012 lors d’une manifestation contre le régime, après le massacre d’al-Houla, près de Homs, la jeune femme, 20 ans à l’époque, est jetée seule pendant plusieurs semaines dans une cellule de moins de deux mètres carrés, dans la fameuse branche d’al-Khatib. « Je me sentais abandonnée, j’étouffais, il y avait du sang partout et c’était infesté de bêtes. Un gardien ouvrait de temps en temps la lucarne pour me lancer des grossièretés », raconte-t-elle. Nuran demande alors à voir Anwar Raslan. C’est lui qui avait fait arrêter en 2011 sa sœur, Marwa, l’une des premières manifestantes emprisonnées au début de la révolution. Le gardien accède finalement à sa requête et l’emmène les yeux bandés dans le bureau du colonel. « C’est l’un des pires moments de ma vie. Je tremblais et je sentais que ma vie entière dépendait de ce criminel. Il se moquait de moi. Je lui ai demandé de me mettre dans une cellule avec d’autres femmes. Il m’a dit : Tekram ayounik aammo (pour tes beaux yeux ma petite), mais j’ai vu à travers le bandeau qu’il a haussé les sourcils au gardien. Il mentait, et on m’a renvoyée dans ma cage », dit-elle. La jeune femme sera finalement libérée après trois mois, puis se réfugiera en Jordanie, avant d’obtenir l’asile politique en Suisse quelques années plus tard.

Tabassage et insultes

Des témoignages comme celui de Nuran se confondent avec ceux de tant d’autres Syriens et Syriennes qui ont souffert de la répression sans limites du régime post et prérévolution. Des témoignages de rescapés d’actes de torture, d’emprisonnement et surtout de violences sexuelles qui sont le pivot de tout processus juridique, quand celui-ci est toutefois possible. Guevara Namer, 36 ans, cinéaste d’origine kurde réfugiée en Allemagne, arrêtée à deux reprises à Damas pour son activisme au début de la révolution, ne compte pas témoigner dans l’absolu à cause des possibles représailles du régime contre sa famille restée à Damas. « Avec ce procès, l’espoir est revenu. On espère que ce ne sera pas uniquement symbolique, histoire de dire voilà, on juge un ou deux criminels du régime et puis basta », confie-t-elle. Hamoudi C., 38 ans, joint par téléphone, ne verra jamais juger ses bourreaux. Ils sont morts. Alors, cet homme originaire de Raqqa aide tant qu’il le peut d’autres victimes comme lui, réfugiées en Allemagne, à traduire en justice des criminels. « Je regrette qu’ils soient morts et j’aurai aimé les voir dans un tribunal pour montrer aux yeux du monde ce qu’ils m’ont fait endurer », confie-t-il. Arrêté à trois reprises fin 2011 lors de manifestations à Raqqa, Hamoudi a été jeté, avec d’autres protestataires, dans le même dortoir que des criminels accusés de viol et de harcèlement sexuel. Envoyé à la sécurité d’État de Deir ez-Zor, il subit toutes sortes de tortures physiques et psychologiques. Ses tortionnaires forcent les autres détenus à l’insulter et à le tabasser, parce qu’il est homosexuel. « Ils m’ont gardé dans une petite cellule avec un détenu mort pendant 25 jours », dit-il. Il raconte son incarcération ensuite par l’État islamique, qui a pris le contrôle de sa ville, comme une histoire banale. « Quand on se croise entre Syriens à l’étranger, on se pose la question “alors, et toi, où as-tu été emprisonné et par qui”, c’est tellement courant. »



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Il espérait passer entre les mailles du filet, se faire oublier en refaisant sa vie en Allemagne, où il a obtenu l’asile en 2014. Mais c’était sans compter sur l’acharnement des ONG de défense des droits de l’homme, d’avocats et d’activistes syriens pour faire reconnaître les crimes commis par des membres du régime Assad. Anwar Raslan, plus haut gradé de l’appareil répressif...

commentaires (4)

Si Anwar Raslan avait eu la chance d'avoir un passeport US aurait été-t-il exfiltré vers ce pays?

TrucMuche

14 h 04, le 20 mai 2020

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Commentaires (4)

  • Si Anwar Raslan avait eu la chance d'avoir un passeport US aurait été-t-il exfiltré vers ce pays?

    TrucMuche

    14 h 04, le 20 mai 2020

  • Ça va pousser les repentis à ne plus se repentir . Ça va faire pleurer les grands mères dans les chaumières, sans plus .

    FRIK-A-FRAK

    17 h 08, le 23 avril 2020

  • IL Y A CRIMES D'ORDRE PHYSIQUE ET CEUX FINANCIERS ET ENFIN CEUX MORAUX. NOS ACTIVISTES DEVRAIENT PREPARER LES LISTES DE NOMS DE NOS CRIMINELS A NOUS, DE LA 2e & 3e CATEGORIE QUI APPAREMMENT NE SERONT PAS INQUIETES, AFIN DE POUVOIR LES TRAQUER -NOUS MEMES JE DIRAIS- SANS DEVOIR COMPTER SUR LES SERVICES JUDICIAIRES&DE SECURITE . POUR LES FAIRE JUGER TRANQUILLEMENT....

    Gaby SIOUFI

    15 h 10, le 23 avril 2020

  • L Allemagne auj= Syria? triste.

    Marie Claude

    09 h 26, le 23 avril 2020

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