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Société - Coronavirus

Les projections et évaluations de Ali Mokdad, le Libano-américain qui modélise l'évolution du Covid-19

S'il critique la réaction tardive des autorités américaines face à la pandémie, l'épidémiologiste salue la réactivité libanaise.

L'épidémiologiste Ali Mokdad. Photo D.R.

« Pourquoi les Etats-Unis ont-ils mis tellement de temps pour se préparer ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? » Telles sont les questions qui rongent Ali Mokdad, épidémiologiste, lorsqu’il observe les graphes sur l’évolution du Covid-19 que lui et son équipe de l'Institut de métrologie sanitaire et d'évaluation (IHME) à l'Université de Washington, à Seattle, ont produit.

Ces graphes prédisent de combien de lits (hospitaliers et en soins intensifs) et de respirateurs artificiels chaque État américain aura besoin et quand, dans le cadre de la pandémie. Ils prédisent aussi combien de victimes la pandémie fera chaque jour dans les mois à venir. Ces projections peuvent par exemple aider l'agence américaine de gestion des situations d'urgence (FEMA) quand elle doit choisir les Etats vers lesquels elle devrait envoyer ses respirateurs.

Si au début de la pandémie, la Maison Blanche se basait sur d’autres chiffres et modèles, aujourd’hui les autorités américaines, dont la FEMA, ont opté pour ceux de l’IHME. « Nous avons des réunions quotidiennes avec l'équipe de la Maison Blanche pour la tenir informée de l’évolution de la pandémie », indique M. Mokdad, originaire de Lassa, un village du caza de Jbeil.

Quand on lui demande ce qui l’effraie le plus, ce professeur de sciences de la métrique de la santé, détenteur d’une licence en biostatistique de l’AUB et d’un doctorat en épidémiologie quantitative de l'Université Emory, lâche tout de suite : « L'augmentation rapide du taux de mortalité et le pic. Cela signifie que nous allons avoir besoin de plus de respirateurs et de lits en soins intensifs. Je crains aussi que nous nous retrouvions dans une situation où un médecin doive choisir quel patient bénéficiera ou pas d’un respirateur comme cela s'est produit en Italie et en Chine », explique-t-il.



(Lire aussi : Roy Nasnas : Restez confinés, sortez masqués et attendez que le tsunami passe...)



« Des erreurs partout »
Pour M. Mokdad, « des erreurs ont été commises » dans tous les pays du monde face à cette pandémie. « Les pays ont tardé à réagir », estime-t-il. Les lieux religieux, en Iran ou en Arabie saoudite par exemple, auraient dû être fermés au public beaucoup plus tôt, selon lui. « Aux Etats-unis aussi nous avons réagi avec retard. Nous aurions dû prendre des mesures strictes dès le début, être très prudents parce que nous avions vu ce qui s'était passé en Chine », regrette-t-il.

« Pourquoi n'est-ce que maintenant que nous produisons et achetons des respirateurs ? Pourquoi n’avons-nous pas commencé à le faire dès janvier lorsque le virus a commencé à se propager en Chine ? » interroge-t-il, rappelant que le premier décès dû au coronavirus sur le territoire américain a été rapporté fin février, dans l’Etat de Washington. Or, ce n'est qu'un mois plus tard que le gouverneur de cet Etat a ordonné le confinement.

Ali Mokdad, qui a travaillé de nombreuses années au Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), est encore exaspéré de voir que jusqu’à maintenant, « certains gouverneurs n'ont toujours pas donné l'ordre aux habitants de leurs Etats de rester chez eux ».

Aujourd’hui, les projections de M. Mokdad révèlent que la pandémie devrait faire plus de 60.000 morts aux Etats-Unis. « Cela peut aller jusqu’à 170 000 ou chuter jusqu’à 40.000 », précise-t-il toutefois. Il y a quelques jours, cette projection était de 26% plus élevée. M. Mokdad explique cette baisse par le fait que « la distanciation sociale fonctionne et qu'il est clair que de nombreux Américains l'ont pratiquée avant même que leur État ne l'ordonne ».

« Mais attention, nous ne devrons relâcher nos mesures que lorsque nous serons sûrs de pouvoir le faire, et ce en nous basant sur la science et les données et non pas sur des considérations politiques. Nous devons être très prudents », met-il toutefois en garde avant d’ajouter : « Surtout, j'espère que nous avons appris la leçon et que nous serons mieux préparés la prochaine fois ».

S’il est assez critique de la réaction des autorités américaines face à la pandémie, Ali Mokdad se montre bien plus enthousiaste quand on évoque son pays natal. « Je suis impressionné par ce que les Libanais ont fait. Ils ont tiré les leçons de ce qui s’est passé en Italie et ont fait ce qu’il fallait dès le départ, en fermant les écoles et les universités. Je suis très fier du Liban », lance-t-il.



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Le pic et la fin de la pandémie
L’équipe de l’Institut a construit son modèle de projection en se basant sur les données des pays par lesquels la pandémie est passée avant d’arriver aux Etats-Unis : la Chine, la Corée du Sud et l’Italie.

Selon les projections de l'équipe d'Ali Mokdad, les Etats-unis sortiront de la pandémie « au début de mois de juin ». « A condition que les mesures continuent d’être appliquées et que le même pourcentage de personnes restent confinées », précise-t-il tout en indiquant ne pas avoir pour l’instant de projections sur la fin de l'épidémie à l'échelle mondiale.


(Voir, en cliquant ici, les projections de l'Institut de métrologie sanitaire et d'évaluation)


Le chercheur et son équipe qui compte une cinquantaine de personnes ont néanmoins publié, cette semaine, de nouveaux graphes pour chaque pays d’Europe. D’autres pays du monde devraient suivre.

Concernant le Liban, le professeur estime, à partir de ses projections, qu’il « n'a pas encore atteint son pic ». « En me basant sur les données que j’ai, le pic au niveau des ressources hospitalières (c'est-à-dire le moment où les hôpitaux libanais auront le plus besoin de ressources) aura lieu entre le 15 et le 18 avril. Nous commencerons à observer un déclin après cela. La courbe du nombre de décès quotidiens devrait atteindre son apogée une semaine après », ajoute-t-il, tout en martelant que toutes ces projections restent tributaires du respect des règles de confinement.


Déconfinement
Le chercheur prévoit que, comme pour les Etats-Unis, la fin de la pandémie au Liban, aura lieu début juin. « Mais il faut être très prudent. Il est impératif que le gouvernement assouplisse les mesures de confinement étape par étape et non d'un seul coup. Si le virus se remet à circuler, il faut revenir en arrière, au confinement. S'il n'y a pas de virus en circulation, on continue à aller de l'avant dans le déconfinement. Il ne faut pas, par exemple, ouvrir les écoles, les mosquées, les églises ou les cinémas avant d’être sûr que le virus ne circule plus ».

Risque-t-on de subir une deuxième vague du Covid-19 ? « Nous ne le savons pas, c'est le problème avec ce virus. S’il y a une deuxième vague, ce sera très dangereux, surtout s'il mute. L’histoire tend à montrer que les virus sont saisonniers, comme la grippe. Jusqu'à ce que nous ayons un vaccin ou un traitement similaire à ce qui existe pour la grippe, nous devons être très prudents », conclut Ali Mokdad.


« Pourquoi les Etats-Unis ont-ils mis tellement de temps pour se préparer ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? » Telles sont les questions qui rongent Ali Mokdad, épidémiologiste, lorsqu’il observe les graphes sur l’évolution du Covid-19 que lui et son équipe de l'Institut de métrologie sanitaire et d'évaluation (IHME) à l'Université de Washington, à Seattle, ont produit.Ces...

commentaires (1)

En résumé, entre le 15 et le 25 avril, une dizaine de jours difficiles au Liban , avec pic et mortalité élevée. Emanant d'un scientifique d'origine libanaise,il faut le prendre au sérieux, pour faire face à ce qui peut nous attendre, en nous préparant à tous les niveaux.

Esber

06 h 14, le 11 avril 2020

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Commentaires (1)

  • En résumé, entre le 15 et le 25 avril, une dizaine de jours difficiles au Liban , avec pic et mortalité élevée. Emanant d'un scientifique d'origine libanaise,il faut le prendre au sérieux, pour faire face à ce qui peut nous attendre, en nous préparant à tous les niveaux.

    Esber

    06 h 14, le 11 avril 2020

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