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Société - Société

Dans un Liban confiné, les violences domestiques explosent

Les ONG qui militent pour les droits des femmes s’attendent à une augmentation des cas de maltraitance au cours des prochaines semaines, en raison de la promiscuité prolongée due au confinement.


Selon un rapport de l’ONG Kafa, « le foyer constitue l’un des lieux les plus dangereux pour les femmes victimes de violence domestique, puisque, dans la majorité des cas, les crimes sont commis par le conjoint ou par l’un des membres de la famille ». Photo d’illustration Bigstock

Dans la nuit de dimanche à lundi, deux jeunes filles de 17 et 20 ans sautent du balcon de leur appartement situé au deuxième étage d’un immeuble de Beyrouth pour fuir la violence que leur font subir leurs demi-frères, leur père et leur tante paternelle. Si l’une parvient à s’enfuir, l’autre a moins de chance. Aujourd’hui, elle est hospitalisée pour des fractures au bras et à la colonne vertébrale.

À Barr Élias, dans la Békaa, un homme s’est travesti en femme pour s’introduire dans la maison occupée par son épouse et leurs trois enfants depuis qu’elle a quitté le foyer conjugal, il y a plus de huit mois. Il lui a assené six coups de poignard avant de prendre la fuite. Les enfants ont été récupérés par leur tante maternelle, alors que la maman gît toujours sur un lit d’hôpital, dans un état critique.

Avec les mesures de confinement imposées par le gouvernement pour enrayer la propagation du Covid-19, les craintes d’une recrudescence des cas de violence domestique s’amplifient au Liban. Les ONG qui militent pour les droits de la femme et de l’enfant multiplient les appels pour les protéger. Et pour cause, puisque la promiscuité prolongée favorise cette violence.

Ces craintes sont justifiées. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a d’ailleurs mis en garde dimanche contre une « horrible flambée mondiale de violence domestique » dirigée contre les femmes et les filles, appelant les gouvernements, à travers le monde, à prendre des mesures pour les protéger.

Au Liban, les FSI ont indiqué que les appels reçus en mars dernier sur la hotline dédiée aux femmes victimes de violence domestique (1 745) ont pratiquement doublé en comparaison avec le nombre des appels reçus au cours de la même période de l’an dernier. Une étude publiée hier par l’Escwa met elle aussi l’accent sur le fait que les cas de violence domestique dans les pays arabes, dont le Liban, « ont augmenté de 100 % » en raison des mesures de mobilisation générale et donc de confinement. Vendredi, la présidente de la Commission nationale de la femme libanaise, Claudine Aoun Roukoz, a de son côté appelé les femmes et les témoins d’actes de violence domestique à faire appel aux forces de sécurité et aux associations.


« Le foyer, un lieu dangereux »

« Le foyer constitue l’un des lieux les plus dangereux pour les femmes victimes de violence domestique, puisque, dans la majorité des cas, les crimes sont commis par le conjoint ou par l’un des membres de la famille », constate l’ONG Kafa, dans son rapport du mois de mars, rendu public hier. Elle souligne que la crise économique qui sévit dans le pays et qui s’aggrave en raison de la mobilisation générale renforce encore plus la tension au sein du foyer et, par conséquent, « les possibilités de violence dirigées contre les couches les plus vulnérables de la société ».

« Le nombre de nouveaux appels reçus en mars 2020 est le même que celui reçu en mars 2019, à savoir 75 nouveaux cas », explique à L’Orient-Le Jour Leila Awada, avocate et membre fondatrice de Kafa. « C’est la qualité de ces appels qui a toutefois changé, ajoute-t-elle. Avant, les cas de femmes sollicitant une aide urgente étaient minimes par rapport à celles qui demandaient un avis légal ou un soutien psychologique. Aujourd’hui, l’ensemble des nouveaux appels proviennent pratiquement de femmes qui subissent les sévices de leur agresseur. » Selon le rapport, le cercle de la violence s’est élargi, dans le sens où « le mari n’est plus le seul agresseur ». « Ce sont également le père, le frère, l’oncle, ou toute autre personne qui vit dans la maison qui attaquent les femmes », précise Me Awada.


(Lire aussi : Décongestionner les prisons pour éviter la propagation du virus, tout en préservant la sécurité publique)


Une aide via les réseaux sociaux

Kafa fait remarquer que l’aide sollicitée par écrit a considérablement augmenté, les victimes envoyant des messages aux comptes de l’ONG sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. Un moyen de communication que Kafa compte privilégier et renforcer au cours de la prochaine période, puisqu’il semble être plus sûr pour les femmes victimes de violence domestique, d’autant que l’assaillant est tout le temps avec elles à la maison. L’association relate dans ce cadre l’histoire d’une femme qui a dû se rendre chez sa voisine pour pouvoir déclarer la violence que lui fait subir son mari.

Si les centres d’accueil sont actuellement fermés, l’ONG continue d’assurer le soutien légal, social et psychologique aux femmes victimes de violence domestique à distance ou à travers son centre d’écoute qui fonctionne toujours 24h sur 24h. Sur le terrain, « les Forces de sécurité intérieure (FSI) sont très coopératives », assure Me Awada. « Elles suivent de près tous les dénonciations judiciaires que nous lui avons présentées », constate-t-elle.

« Le parquet général fait lui aussi preuve d’une grande coopération », insiste l’avocate. Elle donne dans ce cadre l’exemple d’une dame qui s’était présentée à un poste de gendarmerie après avoir été violemment battue. Le procureur général a demandé que la femme soit examinée par un médecin légiste, qui a refusé de sortir de la maison en raison des mesures de confinement. « Le procureur général a alors demandé à l’enquêteur de décrire lui-même les traces de violence et de les inscrire dans le procès-verbal de l’enquête », note Me Awada. Selon elle, l’ONG a présenté récemment quatre demandes de protection judiciaire.

Comment ces jugements sont-ils exécutés ? « D’abord, il est facile de notifier l’agresseur puisqu’il est confiné chez lui, répond l’avocate. De plus, ces jugements comportent des astreintes pour chaque violation commise par l’agresseur. Ce qui représente un lourd fardeau économique que le coupable préfère éviter en cette période de crise économique et de confinement. Cela pourrait constituer un facteur de dissuasion. »

Kafa et les ONG qui œuvrent pour la protection des femmes s’attendent à une forte augmentation des cas de violence au cours des prochains jours et semaines, « notamment si la période de confinement se prolonge ». « Ce qui nous inquiète, c’est que les appels que nous avons déjà commencé à recevoir ne représentent que le sommet de l’iceberg, déplore Me Awada. Un plus grand nombre de femmes victimes de violence ne trouvent pas de moyen de nous joindre. Nous l’avons constaté avec celles qui, d’habitude, faisaient un suivi de leur situation de manière périodique. Depuis que la mobilisation générale est entrée en vigueur, elles n’ont plus donné signe de vie. »

« Malheureusement, à chaque crise, nous constatons la fragilité des mécanismes de protection, les dossiers des femmes ne constituant pas une priorité », déplore pour sa part Hayat Mirshad, responsable des campagnes au Rassemblement démocratique des femmes libanaises. Pour cette activiste féministe, « les affaires des femmes sont tout aussi importantes que les questions sanitaires liées à l’épidémie » de Covid-19. « Le plan de mobilisation générale aurait dû prévoir des mesures pour renforcer leur protection. »


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commentaires (7)

Quand on est con... on est con Confiné ou pas... riche ou pauvre.. jeune ou vieux La violence n’est pas due directement au confinement mais à la connerie de la personne violente. Dans ce cas, tous confinés.. on va tous nous mettre à nous taper dessus? Le confinement est un retour à la source de chacun d’entre nous qui se retrouve face à lui-même sans fard et sans artifice. Donc cette connerie naturelle remonte à la surface.

LE FRANCOPHONE

23 h 10, le 07 avril 2020

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Commentaires (7)

  • Quand on est con... on est con Confiné ou pas... riche ou pauvre.. jeune ou vieux La violence n’est pas due directement au confinement mais à la connerie de la personne violente. Dans ce cas, tous confinés.. on va tous nous mettre à nous taper dessus? Le confinement est un retour à la source de chacun d’entre nous qui se retrouve face à lui-même sans fard et sans artifice. Donc cette connerie naturelle remonte à la surface.

    LE FRANCOPHONE

    23 h 10, le 07 avril 2020

  • Bravo les libanais ils son devenus comme le reste des pays arabes

    Eleni Caridopoulou

    18 h 46, le 07 avril 2020

  • Comme le veut notre adage la pauvreté fait exploser les querelles et dans un pays ou son peuple est dans la rue depuis le 17 octobre on imagine mal comment il se remettra sur pieds .

    Antoine Sabbagha

    17 h 17, le 07 avril 2020

  • Le ministre français Castener à fait la même déclaration concernant la France . C'est pareil en France, donc pavlov devrait savoir que la stupidité non confinée ne devrait pas faire de différence pavlovienne dans le choix de ses cultures .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 39, le 07 avril 2020

  • Ce type d'article peut indirectement justifier les violences domestiques, on se référant au confinement comme excuse. Les exemples de l'individu qui s'introduit pour poignarder... et des 2 jeunes femmes qui se jettent du balcon.... ne sont pas en rapport avec le sujet. Les intérêts financiers des associations (appels aux dons) entre en collusion avec cet énorme problème. Les problèmes financiers sont à la base de bcp de problèmes de société aussi bien au Liban qu'ailleurs. Tout nous ramène à la corruption, la corruption et la corruption qui a appauvri la masse pour privilégier une minorité

    Shou fi

    12 h 42, le 07 avril 2020

  • CONFINES OU PAS CONFINES LES MOEURS NE CHANGENT PAS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 22, le 07 avril 2020

  • "les violences domestiques explosent". Résultat inévitable et donc prévisible du confinement. C'est pourquoi, j'ai toujours pensé que les conséquences du confinement généralisé risquaient d'être catastrophiques. Les seuls pays à avoir réussi à gérer convenablement cette crise comme la Corée du Sud, Taïwan ou Hong-Kong, ont associé dépistage et confinement intelligent. Pourquoi s'obstine-t-on à suivre les modèles qui échouent plutôt que ceux qui ont réussi?

    Yves Prevost

    07 h 22, le 07 avril 2020

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