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Politique - LE CENTENAIRE DU GRAND LIBAN

I – La configuration géographique, fondement de la « personnalité » spécifique libanaise

La célébration cette année du centenaire de la proclamation, ou de la reformation, du Grand Liban, le 1er septembre 1920, est passée inaperçue du fait de la profonde crise économico-financière et de la pandémie due au coronavirus. Pourtant, nombre de Libanais, surtout parmi la génération montante, sont peu ou mal informés des circonstances historiques et des multiples conditions objectives qui ont conduit, d’abord, à une lente émergence à travers les siècles d’une spécificité psychosociale ou d’une « personnalité » libanaise et, ensuite, à la naissance du Grand Liban dans sa forme actuelle.

Ce manque d’informations à cet égard a conduit certains observateurs ou encore de simples citoyens à s’interroger, à la lumière des bouleversements de ces dernières décennies, sur le bien-fondé du Grand Liban. Celui-ci est-il une entité artificielle ou repose-t-il au contraire sur des fondements objectifs solides ? Et d’une manière plus générale, les grands dossiers à caractère existentiel qui sont au centre du débat national depuis des lustres (relations avec la Syrie, système communautaire, neutralité, libéralisme...) peuvent-ils être compris avec discernement en les plaçant dans le contexte de l’histoire tumultueuse du Liban ?

Dans une série d’articles, nous apporterons un éclairage sur ces questions tout en retraçant les principales phases historiques que le Liban a connues. Chaque article abordera un angle précis, un thème ou une étape de l’histoire du pays du Cèdre. Dans ce premier article, nous exposons la thèse défendue par des historiens de renom, selon laquelle la configuration géographique du Liban, axée sur la montagne longeant à pic tout le littoral, a contribué à forger, au fil des siècles, la « personnalité » et la spécificité libanaises, notamment pour ce qui a trait à l’attachement à la liberté et l’ouverture sur le monde.

Les ports le long du littoral libanais ont symbolisé la volonté d’ouverture sur le monde, l’un des traits de la « personnalité » libanaise. Joseph Eid/AFP

Les principaux ouvrages académiques de référence et la plupart des historiens de renommée qui ont planché sur l’évolution de ce qui constitue aujourd’hui le Proche-Orient s’accordent à relever que le Liban, en tant qu’entité politique et administrative dans ses limites géographiques actuelles, n’a commencé à émerger et à prendre forme qu’au XVIe siècle, au début de l’époque ottomane. Cela n’a pas empêché cependant une lente émergence au fil des siècles d’une certaine « personnalité » libanaise qui s’appuyait, dans un cadre général, sur la spécificité géographique qui distingue le Liban des autres régions de cette partie du monde. Cette spécificité géographique est représentée principalement par la présence de cités parsemées le long du littoral et adossées à la chaîne de hautes montagnes du Mont-Liban, lequel s’étend sur toute la longueur du pays, sur près de 200 kilomètres environ. Le lien de cause à effet entre le relief géographique du Liban et le profil sociologique des populations qui l’habitaient a été mis en évidence par le grand historien Arnold Toynbee qui a souligné, lors d’une conférence donnée à Beyrouth en mai 1957 au Cénacle libanais (forum lancé par Michel Asmar en 1946), que « les traits physiques (géographiques) du Liban sont à la base de ses fortunes humaines ». Toynbee avait relevé que ces attributs physiques (mer, montagnes, forêts) sont certes communs à d’autres côtes de la Méditerranée, comme en Grèce, en Italie ou en Catalogne, mais dans notre cas précis ils distinguent bel et bien le Liban, dans sa forme actuelle, des autres pays de la région.


Géographie et histoire
C’est cette configuration géographique qui a contribué dans une large mesure à forger ce qu’Henry Laurens a appelé (dans un spécial de la revue Historia de décembre 2016) « la personnalité spécifique libanaise », laquelle s’est formée, précise-t-il, « à travers la longue durée historique » et qui est « évidemment liée à la géographie physique ». Concrètement, les hautes montagnes permettent l’attachement ancestral des Libanais à la liberté et le littoral assure l’ouverture sur le monde, notamment occidental.

L’impact de la géographie sur l’histoire d’un peuple a été longuement exposé par l’historien libanais de renom Jawad Boulos dans ses œuvres, notamment l’ouvrage en cinq tomes Les peuples et les civilisations du Proche-Orient. Lors d’une conférence donnée au Cénacle en novembre 1955, Jawad Boulos devait noter que le Liban « constitue une individualité géographique réelle ». Il relevait à cet égard que « le rôle, la mission et le caractère particulier du Liban sont les effets de sa situation et de sa configuration géographique ».

De fait, les hautes montagnes qui longent parallèlement, à pic, le littoral ont constitué une sorte de barrière géographique qui a permis aux populations du territoire libanais de préserver, autant que faire se peut, une certaine liberté et une autonomie, ou tout au moins de résister farouchement aux armées d’occupation.

L’on retrouve même l’impact de ce facteur géographique à l’époque des Phéniciens, les cités phéniciennes présentes sur le littoral ayant réussi à préserver leur autonomie en profitant du fait que la montagne à laquelle elles étaient adossées constituait un rempart entre elles et les vagues d’occupants venant de l’hinterland arabe, comme le souligne Edmond Rabbath qui qualifie sur ce plan la montagne libanaise de « digue puissante contre laquelle se brisèrent les invasions » diverses.

La Vallée sainte de la Qadisha et les crêtes de Bécharré sont, entre autres, un exemple significatif de ce rôle de refuge face aux invasions étrangères qu’ont joué les hautes montagnes.


Une constante historique
L’attachement à la liberté et à l’indépendance ainsi que l’ouverture sur le monde constituent l’une des constantes historiques qui a de tout temps caractérisé la personnalité libanaise au fil des siècles et jusqu’à nos jours. Il s’agit là, certes, d’un penchant naturel que tout peuple dans le monde manifeste à travers son histoire, mais ce qui caractérise la spécificité libanaise sur ce plan, en comparaison avec cette partie du monde que constitue le Moyen-Orient, c’est qu’elle puise sa source dans ce relief particulier du pays : un littoral offrant une ouverture sur le monde et une double chaîne de montagne (le Mont-Liban et l’Anti-Liban) faisant barrière et permettant ainsi aux populations de résister aux déferlements de forces étrangères.

Jawad Boulos a parfaitement formulé en ces termes cette causalité entre géographie et histoire, dans le cas spécifique du Liban : « C’est à son individualité géographique bien caractérisée que le Liban doit ce qu’il est et ce qu’il a toujours été. La montagne, qui le protège, a développé chez ses habitants l’attachement à l’indépendance et le besoin de liberté. L’activité maritime a favorisé le développement d’un esprit libéral, ouvert et accueillant. La combinaison de ces facteurs a façonné le caractère original des Libanais et commandé le rôle historique du Liban. »

Mais ce rôle historique du Liban et l’émergence du pays du Cèdre en tant qu’entité politique et administrative plus ou moins autonome, dans sa forme actuelle, n’apparaîtront qu’avec l’émirat de la montagne, au XVIe siècle, sous la forte impulsion de l’émir Fakhreddine II, puis, plus tard, de l’émir Bachir Chehab…



Pour mémoire 

Les petits secrets du Grand Liban


Les principaux ouvrages académiques de référence et la plupart des historiens de renommée qui ont planché sur l’évolution de ce qui constitue aujourd’hui le Proche-Orient s’accordent à relever que le Liban, en tant qu’entité politique et administrative dans ses limites géographiques actuelles, n’a commencé à émerger et à prendre forme qu’au XVIe siècle, au début de...

commentaires (6)

En comparaison , les montagnes de Lycie et de Cilycie , qui abritaient de vastes populations armeniennes , et qui sont bien plus géantes et impénétrables que le Mont Liban , n'ont pas protégé les anciens habitants de l'invasion turque venant de l'hinterland . On se demande pourquoi et qu'est ce qui a donc différencié les deux pays en ce sens

Chucri Abboud

16 h 12, le 01 juin 2020

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Commentaires (6)

  • En comparaison , les montagnes de Lycie et de Cilycie , qui abritaient de vastes populations armeniennes , et qui sont bien plus géantes et impénétrables que le Mont Liban , n'ont pas protégé les anciens habitants de l'invasion turque venant de l'hinterland . On se demande pourquoi et qu'est ce qui a donc différencié les deux pays en ce sens

    Chucri Abboud

    16 h 12, le 01 juin 2020

  • "L'histoire des peuples est dans leur géographie" général de Gaulle

    Democit Atanase

    16 h 10, le 06 avril 2020

  • Le président de ce pays connaît il seulement l’histoire du Liban qu’il « préside »? Cet événement historique qui aurait dû être célébré en petit comité mais avec tous les honneurs est passé inaperçu vu l’agenda surchargé des commémorations et célébrations des martyrs morts au Yémen, en Syrie pour la gloire de l’Iran et ses alliés avec de statuts pour ne pas les oublier. Tous les événements qui relatent la prouesse des libanais à conserver leur pays indépendant et libre, son ouverture au monde qui a toujours fait que sa population soit multiculturelles et émancipée pour céder la place à des primaires aux slogans obscurantistes qui prônent la mort contre la vie et le limogeage contre La Liberté de la parole et qui sont suivis par des libanais encore plus obtus qu’eux qui ne voient que du feu. Ça n’est pas le virus COVID 19 qui a relégué cet événement aux oubliettes mais les dirigeants au pouvoir qui n’accordent plus aucune importance à tout ce qui a une couleur libanaise et préfèrent le jaune et le noir. Noir comme leur esprit et jaune comme leurs tronches cadavériques malgré leur gavage.

    Sissi zayyat

    11 h 49, le 06 avril 2020

  • FONDEMENT DE LA PERSONNALITE SPECIFIQUE DE TOUT CITOYEN DE TOUT PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 40, le 06 avril 2020

  • Alors que les wilayets de Damas et d'Alep étaient gouvernés par des pachas ottomans , turcs pour la plupart , qui y sévissaient sans recours et qui étaient directement nommés par la Sublime Porte , le Mont Liban n'a jamais plié de bon gré au joug des Sultans , lesquels ont presque toujours été acculés à d'accepter que les libanais soient gouvernés par leurs propres émirs , libanais choisis par leurs pairs féodaux (comme les Maan et les Chehab ) et qui avaient souvent le courage et la détermination de s'opposer aux autorités d'Istambul ! Fahreddine 2 et Bechir 2 en sont de précieux exemples . Cette particularité tranche avec le reste de la région ( dont les peuples étaient généralement totalement soumis à la Grande Porte ( et consitue à plus d'un égard le pilier de la s`´ecificité du Liban .

    Chucri Abboud

    02 h 40, le 06 avril 2020

  • Une petite correction: les cités phéniciennes ne s'opposaient pas alors à "l'hinterland Arabe". Mais aux assyriens, babyloniens, perses, hébreux etc. Le facteur Arabe vient beaucoup plus loin dans l'histoire et n'est en aucune façon connecté à la période phénicienne.

    Mago1

    01 h 57, le 06 avril 2020

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