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Moyen-Orient - Syrie

À Soueida, le feu couve sous la cendre

Des sujets de discorde, dont l’épineux dossier de la conscription, créent des frictions entre la population druze de la province et le régime de Bachar el-Assad.

Des manifestations ont éclaté mi-janvier dans la ville syrienne de Soueida contre la cherté de vie. Photo Twitter

La province de Soueida, à majorité druze dans le sud de la Syrie, a connu un parcours atypique depuis le début du soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad. Au commencement, Soueida a participé activement au mouvement pacifique qui s’est déclenché en mars 2011. Mais ses habitants ont rapidement pris une position neutre lorsque la contestation s’est transformée en une guerre civile. Ils se sont abstenus de participer aux combats avec l’une ou l’autre des parties (le régime syrien ou l’opposition armée). Et la province est devenue au fil des années un lieu sûr pour des milliers de déplacés de diverses provinces syriennes.

Toutefois, depuis un certain moment, Soueida souffre d’une insécurité chronique, en raison de l’action subversive des forces de sécurité syriennes qui met de l’huile sur le feu pour créer un chaos permanent dans la région.

« Il y a plein de gangs spécialisés dans le rapt et le vol. Et ils sont connus par les habitants de la province. Ces gangs ont travaillé dans le passé avec les services de sécurité du régime et en particulier la branche de la sécurité militaire. Ils faisaient principalement de la contrebande, puis leur action s’est déplacée vers les enlèvements et le brigandage. Le régime syrien utilise ces bandes comme une carte de pression sur les habitants parce qu’ils refusent de s’incliner devant les exigences des autorités, à savoir, principalement, la conscription au sein de l’armée d’Assad », déplore Assaad Abou Asli, un commerçant de la ville.

Les habitants de Soueida subissent par ailleurs de plein fouet la crise économique. « La cherté de vie est terrifiante et indécente ces jours-ci. Les prix sont constamment en hausse en raison notamment de la baisse de la valeur de la livre syrienne par rapport au dollar et l’exploitation de cette situation par des commerçants sans scrupules et jouissant de l’impunité, surtout qu’il n’y a aucun contrôle du gouvernement pour empêcher leur cupidité », ajoute Raafat Abou Ras, un fonctionnaire de la ville.

Rappelons que la dépréciation de la livre syrienne est arrivée à son point le plus haut avec un taux au marché noir de plus de 1 000 LS pour un dollar. Le pays subit de plein fouet les sanctions occidentales contre le régime. Il a par ailleurs été touché par la crise qui frappe le Liban. Face à cette situation, des manifestations avaient éclaté dans la province de Soueida mi-janvier pour dénoncer les conditions économiques désastreuses.

« Nous avons manifesté pour exiger l’amélioration du niveau de vie dans le pays et pour mettre fin à l’exploitation des commerçants. Nos revendications étaient uniquement sociales. Mais au lieu de trouver des solutions et de répondre à nos demandes, le gouvernement nous a accusés d’être à la solde de services de renseignements extérieurs, y compris le Mossad israélien et les renseignements américains. Pour le régime, ces manifestations étaient manipulées de l’extérieur pour déstabiliser la Syrie », s’indigne Chadi Kiwan, un étudiant en ingénierie.


La conscription
Parmi les différends majeurs entre la population druze de Soueida et le régime de Bachar el-Assad, l’épineux dossier de la conscription, exigée par les autorités pour combler le manque d’effectifs dans l’armée.

Des milliers de jeunes druzes refusent de servir au sein de l’armée. Ils sont tous habitants de la ville où des factions armées empêchent le régime syrien de les prendre par la force. Le groupe le plus important s’appelle « Mouvement des hommes de la karama (dignité) », dirigé par le cheikh Yahya el-Hajjar. Ce mouvement a contribué de manière significative à l’expulsion de l’État islamique et à la protection de la ville. Il a joué un rôle important dans l’action destinée à empêcher le régime d’enrôler par la force de jeunes druzes dans l’armée. En plus, le groupe a empêché les services de sécurité d’arrêter arbitrairement des habitants de la province.

Un jeune appelé, qui a refusé d’indiquer son nom, se dit « pas convaincu de la guerre qui a lieu en Syrie, parce que les parties belligérantes suivent toutes des agendas différents, en particulier le régime syrien qui est soumis à l’Iran et la Russie. Cette guerre consiste pour le régime d’Assad à se maintenir du pouvoir, et je ne suis pas prêt à mourir pour des intérêts politiques qui ne sont pas importants pour moi ».

Karim, un jeune druze, a été emmené dans l’armée par la force alors qu’il se trouvait à Damas, où il a été arrêté lors d’un contrôle sur un barrage près de la capitale. Il s’est enfui et est retourné à Soueida. Il refuse, depuis, de sortir de sa ville. « J’ai été transféré dans une brigade située à Deir ez-Zor (Est). Mes supérieurs se comportaient d’une manière sectaire avec moi. Les officiers, de confession alaouite, nous disaient ouvertement que nous les druzes sommes des traîtres parce que nous refusons de nous battre pour notre pays. On nous infligeait un mauvais traitement, moi et trois autres conscrits de Soueida. Nous avons fini par soudoyer des officiers pour nous donner une autorisation de prendre quelques jours de vacances. Nous sommes alors retournés chez nous, et nous n’avons plus quitté la ville depuis », affirme-t-il.

Les relations entre le gouvernement syrien et la région de Soueida ne sont pas au beau fixe depuis des années. Le 25 juillet 2018, l’EI a attaqué la province. À la suite de cette attaque, plus de 220 personnes ont été tuées, dont un grand nombre de femmes et d’enfants. Et l’armée du régime n’était pas intervenue pour protéger la région druze, laissée à son propre sort. Des factions militaires locales avaient pris la défense de la région, expulsant les jihadistes, alors que l’armée loyaliste s’était auparavant retirée de la zone qui avait été attaquée, sans avertissement. Cela avait facilité l’attaque de l’EI, et suscité l’amertume de la population contre le régime syrien. Mais il n’y a pas eu d’affrontement entre les druzes et le régime.

Parallèlement, les factions armées de la communauté druze de Soueida sont devenues de plus en plus puissantes, étendant leur contrôle sur la région et empêchant les abus commis par les services de sécurité. Yasser* est l’un des chefs d’une de ces factions druzes. Selon lui, « il y a quelques affrontements avec les services de sécurité de temps en temps, et cela ne nous pose aucun problème d’aller plus loin dans les combats si le régime décide de nous attaquer. Lorsque les manifestations ont commencé à Soueida, nous étions du côté des manifestants et avons envoyé un message au régime que nous sommes prêts à répondre s’ils sont attaqués ».



Quitter Soueida
Il faut dire qu’historiquement, Soueida n’a jamais bénéficié des faveurs du régime. Depuis 1970 et l’accession au pouvoir de Hafez el-Assad, père de l’actuel président Bachar, et jusqu’à ce jour, il n’y a jamais eu dans la région de véritables plans de développement. Ni du secteur public ni du secteur privé. À l’exception de quelques projets qui se comptent sur les doigts d’une main. Ce qui a contribué à la migration de la jeunesse de la province vers d’autres pays (monarchies du Golfe, Venezuela et autres). Le déclenchement de la guerre, la crise économique d’une ampleur inédite et l’insécurité galopante dans la région, tout cela a contribué à une augmentation du nombre de départs, en particulier vers l’Europe et le Canada, d’une manière légale en présentant des visas aux ambassades, ou bien d’une manière illégale à travers la mer, pour fuir la pauvreté et le chômage.

« Depuis le début de la crise, nous nous efforçons de rester dans notre pays, mais en raison du manque d’opportunités d’emploi à Soueida, de nombreux jeunes se sont tournés vers l’étranger, en Europe, au Canada ou en Turquie, pour s’offrir une nouvelle vie », explique Mazen el-Ismi, un jeune de la région, fraîchement diplômé. Et de poursuivre : « Le niveau de chômage ici est très élevé et les possibilités de trouver un emploi sont rares. La majorité des familles de Soueida dépend des rentrées financières transférées par leurs enfants expatriés à l’étranger. Personnellement, je ne peux plus supporter le coût de la vie et il est difficile pour moi de vivre dignement avec ma femme dans cette ville. Quitter Soueida pour une nouvelle vie à l’étranger est inévitable ».


*Le prénom a été changé pour des raisons de sécurité



Pour mémoire
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