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Société - palestiniens

Coronavirus : dans le camp de Chatila, on prend peu à peu conscience de la menace

Si l’idée du confinement s’impose tardivement dans l’espace surpeuplé, certains responsables locaux lancent un signal d’alerte : en cas de propagation du virus, les moyens de lutte sont quasiment inexistants.

Dans des commerces progressivement fermés, une campagne de désinfection lancée par la municipalité de Ghobeyri. Photo AFP/Anwar Amro

Le camp palestinien de Chatila, qui tombe entre Ghobeyri (banlieue sud) et Beyrouth, s’adapte lentement aux directives de la mobilisation générale pour la lutte contre le coronavirus, lancée depuis près de dix jours par le gouvernement libanais sur tout le territoire. « J’ai fait un tour aujourd’hui dans le camp, j’ai été impressionné par le calme que j’y ai observé, raconte Haytham Takrouri, qui vit actuellement hors du camp mais qui y a passé le plus clair de ses jeunes années. De toute ma vie, je n’aurais jamais cru voir les rues du camp aussi désertes. Le confinement n’est pas encore parfaitement respecté, mais c’est un début. »

Khaled Abou el-Nour, habitant du camp et membre des comités populaires, souligne toutefois la difficulté de convaincre les résidents de la nécessité de rester chez eux. « Nous constatons un plus grand respect des directives ces derniers jours, mais cela a beaucoup tardé, dit-il. Le problème, c’est que la plupart des résidents sont des travailleurs journaliers, qui ont de petits commerces. Ils insistent à travailler parce qu’ils craignent de ne pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Jusque-là tous les commerces continuaient à ouvrir leurs portes. Les comités populaires et les différentes factions palestiniennes tiennent de nombreuses réunions, et ils ont sollicité l’aide de la municipalité de Ghobeyri pour obliger les commerces à fermer leurs portes à 16 heures et les cafés à rester clos. »

Le camp de Chatila s’étend sur à peine un demi-kilomètre carré, situé dans sa plus grande partie à Ghobeyri, limitrophe de Beyrouth. Ce petit espace est très densément peuplé, comme la quasi-totalité des camps palestiniens au Liban, avec près de 5 000 logements et quelque 20 000 à 25 000 habitants, selon Khaled Abou el-Nour. Celui-ci explique que les familles sont entassées dans des logements exigus, situés sur des bâtiments qui vont en hauteur, étant donné que des étages sont constamment ajoutés aux immeubles afin de caser les familles grandissantes. Les petites rues tortueuses du camp sont généralement bondées de passants et de clients des échoppes multiples qui vendent toutes sortes de marchandises, accolées les unes aux autres. Plus encore, le camp jouxte le fameux marché de légumes et de fruits de Sabra, qui attire nombre de clients et de grossistes, venant de diverses régions du Liban. La population du camp de Chatila n’est d’ailleurs pas exclusivement palestinienne : s’y ajoute une population nouvelle de Palestiniens venus de Syrie et de réfugiés syriens, ainsi que des Libanais.


Difficile de limiter les accès

« Le camp est exposé aux risques de propagation du virus pour de multiples raisons, explique Khaled Abou el-Nour. D’une part, il est très difficile d’en limiter les accès parce qu’il s’y trouve plusieurs entrées et que l’accès au camp par certaines voies non surveillées est assez aisé et connu des habitants. C’est un camp dont l’interaction avec la ville est continue, et où la possibilité d’une contamination par des personnes venues d’ailleurs n’est pas exclue. D’autre part, cet espace est surpeuplé et les logements sont exigus, à peine une ou deux pièces de vie, une cuisine et une salle de bains par famille. Nous n’avons recensé aucun cas avéré pour le moment, Dieu merci, mais si c’est le cas, il est facile d’imaginer la rapidité de la propagation du virus ! De plus, on nous parle d’isolement à la maison, comment faire cela quand la famille est confinée dans un si petit espace ? »

La perspective d'une propagation du virus dans le camps en effraie plus d’un actuellement, et c’est pourquoi une partie grandissante de la population de Chatila choisit désormais de se calfeutrer chez soi. Comme la famille même de Khaled Abou el-Nour. Son épouse Amina Hassanein, mère de trois enfants de 7, 10 et 12 ans, témoigne de la vie en confinement dans un camp palestinien. « J’ai interdit à mes enfants de descendre dans la rue, même s’ils doivent devenir insupportables parce qu’ils ne sont pas habitués à rester enfermés à la maison, raconte-t-elle à L’OLJ. Ils poursuivent leurs études sur internet. Seul un professeur continue de venir à la maison leur donner des leçons : il ne voulait pas se déplacer au début, mais je l’ai convaincu que la maison est continuellement nettoyée et aseptisée, et que nous prenons toutes nos précautions. »

Amina a peur aujourd’hui, pour ses enfants comme pour ses parents, qui n’habitent pas loin. « Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes négligent toujours les mesures de précaution, que ce soit par nonchalance, incrédulité ou par besoin, dit-elle. Il m’est arrivé de les sermonner parce qu’ils nous mettent tous en danger. Je remarque que les nouveau venus syriens, notamment, laissent leurs enfants courir dans la rue, comme si de rien n’était. »


(Lire aussi : La dure loi du pain, l'éditorial de Issa GORAIEB)


Des aides urgentes

Si Amina a peur, c’est pour de bonnes raisons. Le camp de Chatila, comme les camps palestiniens en général, ont très peu de ressources pour faire face à une éventuelle propagation de l’épidémie. « Une propagation du virus dans un tel environnement serait catastrophique, vu la densité populaire », affirme Khaled Abou el-Nour.

Les mesures de précaution prises jusque-là sont minimales. « La municipalité de Ghobeyri a procédé à des campagnes de désinfection des rues et des lieux publics, précise-t-il. Elle a même commencé à dresser des procès-verbaux aux commerces contrevenants. De nombreuses ONG sont actives dans le camp, elles contribuent à la sensibilisation de la population aux mesures de protection et d’hygiène personnelle liées au combat contre le coronavirus. »

Comme le reste du pays, mais de façon bien plus aiguë, les camps palestiniens font aujourd’hui face à un double problème : une crise économique grandissante et le risque de contamination d’une large frange de la population. « Notre peuple est fatigué, dit Khaled Abou el-Nour. Les décisions du précédent gouvernement lui avaient fermé bien des portes de travail, et il se trouve dans une situation difficile. Et si cette présente crise dure indéfiniment, ce sera la catastrophe. »

Et en cas de propagation de l’épidémie ? Les deux hommes lancent un même signal d’alarme. « J’étais aujourd’hui au bureau du Croissant national palestinien (l’équivalent de la Croix-Rouge libanaise), souligne Haytham. Ils ont des centres, mais sous-équipés. Et s’il y a des cas de coronavirus, ils n’ont certainement pas les moyens de la CRL pour transporter les malades de manière sûre. »

Khaled Abou el-Nour estime que les Palestiniens du Liban et les Libanais ne sont pas logés à la même enseigne en cas de contamination par le virus. « En général, les soins sont pris en charge par l’Unrwa dans des hôpitaux bien précis, dit-il. Mais l’Unrwa, déjà en difficulté, n’a pas de plan d’urgence pour le camp. En cas de propagation à large échelle, ce sera l’inconnue. »

Les deux hommes affirment qu’une aide économique d’urgence doit être apportée à la population afin de l’aider à observer un confinement strict, et lui donner les moyens de faire face à une éventuelle émergence de la maladie. Ils appellent des organismes, comme l’Organisation de libération de la Palestine, l’Unrwa, ou encore des Palestiniens nantis de l’étranger, à mettre en place une action pour apporter de telles aides.



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