Avec un bilan, dimanche, de 248 cas avérés de coronavirus au Liban, nombre de citoyens s’attendaient à ce que le gouvernement de Hassane Diab décrète, ce week-end, l’état d’urgence pour tenter de freiner la progression de l’épidémie dans le pays.
Dans un message adressé aux Libanais samedi soir, alors que le bilan était encore à 230 cas, le Premier ministre a exhorté les citoyens à un « couvre-feu autoproclamé », les appelant à rester chez eux et à se conformer aux directives officielles dans le cadre de la mobilisation générale, décrétée le 15 mars. Le concept de mobilisation générale, qui doit en principe être concrétisé par des décrets d’application émis séparément par chaque ministère, reste jusqu'à présent vague et déroutant. Il l’est d’autant plus qu’il ne prévoit pas de décisions contraignantes et ne définit pas clairement le service d’ordre chargé d’assurer son exécution sur le terrain.
« Par définition, l’état d’urgence est une situation que le Conseil des ministres proclame par un décret, à la majorité des deux tiers des membres du gouvernement », explique à L’Orient-Le Jour Ziyad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur. Il tient à rappeler que si la mobilisation générale requiert, elle aussi, une décision du Conseil des ministres prise à la majorité des deux tiers, elle diffère de l’état d’urgence, tel que réclamé par certains Libanais sur les réseaux sociaux. « L’état d’urgence a une dimension sécuritaire et militaire », précise M. Baroud. « Dans un délai de huit jours, le Parlement devrait voter une loi approuvant ce décret », dit-il. Et de poursuivre : « Le décret législatif 52/1997 stipule que l’état d’urgence devrait être décrété quand le pays fait face à un 'danger imminent', et à des évènements de nature 'catastrophique' ».
Selon l’ex-ministre de l’Intérieur, en période d’urgence, le pouvoir décisionnel est entièrement délégué au commandement de l’armée, qui pourrait dès lors donner ses ordres aux autres appareils sécuritaires. « A la faveur de cette mesure, l’armée pourrait prendre des décisions allant du couvre-feu, jusqu’au renvoie (des transgresseurs) devant le tribunal militaire », analyse encore Ziyad Baroud, insistant sur le fait que l’état d’urgence implique certaines restrictions sur les libertés publiques et individuelles, à commencer par la liberté de circulation.
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Pourquoi le cabinet Diab hésite-t-il encore à décréter clairement l’état d’urgence, dans la mesure où ce pourrait être un moyen de contraindre les gens à rester chez eux alors que des signes de relâchement ont été notés en fin de semaine ? Répondant à cette question lors d’une conférence de presse tenue dimanche midi à Sanayeh, le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fehmi, n’a pas mâché ses mots : « Si les citoyens ne se conforment pas aux mesures de confinement, nous serons obligés de passer à l’état d’urgence ». « Mais il est encore tôt pour arriver à ce stade », a-t-il nuancé. Le ministre a, toutefois, tenu à souligner que « la situation es effrayante », avant d'exhorter les gens à respecter le confinement.
Même son de cloche chez la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad. Contactée par L’OLJ, elle explique que pour le moment, le cabinet se contente de mettre en application les mesures qui s’inscrivent dans le cadre de la mobilisation générale, afin de permettre à la population d’assurer ses besoins les plus élémentaires, tels que la nourriture et les médicaments. « Il est inconcevable de paralyser subitement le pays et de le confier aux institutions militaires et sécuritaires », souligne-t-elle ajoutant : « Aujourd'hui, nous ne passons pas à l’état d’urgence, dans la mesure où nous n’en avons pas besoin. Et nous parions surtout sur le sens des responsabilités des Libanais ».
Manal Abdel Samad précise, en outre, que toute entorse aux mesures strictes annoncées par le chef du gouvernement samedi, pourrait être sanctionnées conformément au code pénal, notamment les articles 604 et 770. Le premier stipule que « celui qui, par imprudence, négligence ou inobservation des lois ou règlements, aura propagé une maladie contagieuse, sera puni d'une amende. Si le coupable a agi sciemment mais sans intention de donner la mort, il encourra, outre l'amende, l'emprisonnement d'un an à trois ans ». Quant à l’article 770, il prévoit une sanction allant d'une amende et l’incarcération, pouvant aller jusqu’à une durée de trois mois, pour tous ceux qui transgressent les règlements établis par les autorités administratives ou municipales.
Le Hezbollah
En dépit du pari du gouvernement sur le sens des responsabilités des citoyens, le discours de Hassane Diab a suscité des réactions dans certains milieux politiques, où l’on estimait que le Hezbollah se tiendrait derrière la décision du gouvernement d’écarter, du moins pour le moment, tout recours à l’option de l’état d’urgence. On estime, dans ces milieux, qu’une telle décision serait à même de léser le parti chiite dans ses fiefs les plus importants.
Un point de vue que réfutent aussi bien la présidence de la République que les cercles proches du Hezbollah. « Il est honteux d’adopter cette logique axée sur la politique politicienne, à l’heure où le pays dans son ensemble fait face à une épidémie qui n’établit aucune distinction entre une région et une autre », s’alarme un proche de la présidence joint par L’OLJ.
A son tour, un proche du Hezbollah ne manque pas de tancer « ceux qui appellent à ce que la banlieue-sud (un des plus grands fiefs de la formation chiite) soit isolée avant d’autres régions ». Une allusion à peine voilée à certains députés qui s’étaient indignés de l’appel du ministre de la Santé, Hamad Hassan, lors d’une séance du Conseil des ministres, à isoler certaines régions (principalement chrétiennes) où sont enregistrés des cas élevés de malades diagnostiqués positifs au Covid-19. Et de rappeler que dans son dernier discours, vendredi soir, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’était montré favorable à toute mesure d’isolement, si cela s’avère nécessaire. Une façon pour lui de faciliter la tâche au cabinet Diab.
De son côté, Khalil Hélou, général à la retraite connu pour son opposition au pouvoir en place, n’exclut pas, dans un entretien accordé à L’OLJ, le fait que « les sponsors du pouvoir ne veulent pas donner de crédit à l’armée et son commandant en chef Joseph Aoun, pour de probables calculs présidentiels prématurés ». Il reconnaît, toutefois, qu’au stade actuel de l’épidémie au Liban, il n’est pas nécessaire de déclarer l’état d’urgence, d’autant que le gouvernement œuvre pour lutter contre la maladie dans la mesure du possible.
commentaires (8)
POUR UN PAYS EN FAILLITE ECONOMICO-FINANCIERE ET SOCIALE IL FAUT LE DIRE CE FLEAU EST LA MALEDICTION QUI PEUT PORTER LE COUP DE GRACE.
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 08, le 23 mars 2020