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Le nerf de la coronaguerre

Sournois, invisible, insaisissable, meurtrier. Et comme si tout cela n’était pas encore assez, comme s’il lui fallait encore peaufiner son arsenal de perversions, c’est dans un cercle suprêmement vicieux que le coronavirus enferme impitoyablement l’humanité tout entière. Non content en effet de surpeupler hôpitaux et cimetières, c’est l’économie mondiale que le fléau entreprend d’asphyxier en commandant une fermeture générale d’une ampleur sans précédent; or ce sont précisément des fonds gigantesques qui doivent être engagés pour contenir puis enrayer le mal. C’est là que le paradoxe vient cruellement se doubler d’une résurgence des classiques inégalités de chance entre nations riches et peuples moins nantis, entre États responsables (parfois même États providence) et États de défaillance, d’imprévoyance, d’insouciance, de déchéance.

Ici mille milliards de dollars et là 750 milliards d’euros, pour ne retenir que le cas des deux locomotives économiques américaine et européenne. Ces deux plans d’urgence n’ont pas pour seul objet d’assurer la continuité des gouvernements et le fonctionnement des services publics comme des institutions sanitaires. En injectant des liquidités dans les circuits en panne, en allégeant les charges fiscales et autres, ils visent aussi à prévenir des krachs en cascade, à combattre la récession, à relancer les marchés en chute libre, à épargner la faillite aux entreprises en leur allouant crédits et allègements de charges, à juguler l’inévitable déluge de disparitions d’emplois, à épargner autant que possible aux citoyens les affres de la misère. Voilà, en vérité, un luxe que ne sauraient s’offrir les pays démunis qui connaissaient déjà la famine avant l’avènement du virus sinistrement couronné, et où même l’universelle consigne de confinement est inapplicable dans la pitoyable promiscuité des bidonvilles.

Dans ce duel planétaire entre pandémie et gros sous, cet indispensable nerf de toute guerre, c’est une double malédiction qui poursuit le Liban, sanitairement mal préparé pour absorber un choc de cette envergure et déjà enlisé dans une grave crise économique et financière. Sur l’une et l’autre de nos dures épreuves plane invariablement, comme par hasard, le spectre de l’argent, ou, plus exactement, du manque d’argent. Un argent tragiquement nécessaire, cependant, pour l’équipement des hôpitaux gouvernementaux en appareils d’aide respiratoire et qui n’est là que grâce aux assistances onusiennes et aux donations de mécènes, d’associations ou d’organes syndicaux. Un argent que même le citoyen ordinaire aurait volontiers offert dans la mesure de ses capacités, s’il avait seulement accès à ses économies déposées en banque et pratiquement confisquées. Un argent dont l’infernale tentation a longtemps porté des responsables corrompus à mettre les ressources publiques en coupe réglée, jusqu’à mener le pays à la ruine. Un même et sempiternel argent, enfin, qui aux mains des puissances étrangères fait office tout à la fois de carotte et de bâton : l’une représentant l’espoir d’un redressement au prix de sévères réformes, de douloureuses mesures ; et l’autre demeurant, au besoin, un fort efficace instrument de pression sur le personnel dirigeant libanais.

Significatif est, à ce propos, le rocambolesque épilogue de l’affaire du Libano-Américain Amer Fakhoury. Élargi par le tribunal militaire au motif de prescription mais objet de poursuites civiles et interdit de voyage, cet ancien collaborateur d’Israël, accusé d’actes de torture, était exfiltré jeudi à bord d’un hélicoptère qui l’a recueilli dans le périmètre de l’ambassade des États-Unis. Il est évident que ce rapatriement en douceur n’a pu avoir lieu que dans le cadre d’un accord avec Washington qui menaçait d’étendre ses sanctions à des dirigeants du courant présidentiel, lui-même allié au Hezbollah. Cette assertion a été vivement démentie, bien sûr, par les deux formations, Hassan Nasrallah allant même jusqu’à affirmer hier qu’il n’avait appris la consternante nouvelle que par les médias. Un bouc émissaire était tout trouvé en la personne du chef de la juridiction militaire qui, sous une avalanche de critiques, s’est trouvé acculé à la démission, ce qui permettait au leader chiite de regretter que des juges, mais aussi des personnages politiques – et même des amis ! – aient été pris d’un fâcheux accès de faiblesse.

Cerise amère sur le gâteau avarié : pour sa part, le ministre des AE sacrifiait au rituel en convoquant l’ambassadrice des États-Unis pour lui demander… des explications. Mais n’était-ce pas là chercher midi à quatorze heures ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Sournois, invisible, insaisissable, meurtrier. Et comme si tout cela n’était pas encore assez, comme s’il lui fallait encore peaufiner son arsenal de perversions, c’est dans un cercle suprêmement vicieux que le coronavirus enferme impitoyablement l’humanité tout entière. Non content en effet de surpeupler hôpitaux et cimetières, c’est l’économie mondiale que le fléau...