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À La Une - France

Sur Internet, des citoyens ordinaires devenus "chasseurs de pédophiles"

"Bien souvent en moins de cinq minutes, on a des photos de sexe, et des propos sexuels".

Depuis plusieurs mois dans toute la France, des centaines d'internautes se rejoignent sur les réseaux sociaux pour piéger des "pédophiles". Photo d'illustration SHAH MARAI / AFP

"Se taire, c'est laisser faire": depuis plusieurs mois dans toute la France, des centaines d'internautes se rejoignent sur les réseaux sociaux pour piéger des "pédophiles" en créant de faux comptes. Des méthodes qui embarrassent les forces de l'ordre dans ce pays.

Ils se sont donnés rendez-vous dans un pavillon d'un lotissement du département de l'Eure, dans le nord-ouest de la France. Autour d'une table, Kasta, Shiva et Calliope*, la trentaine, en congé maladie ou sans emploi, font un point sur les dernières avancées de leur "team". Baptisée "Eunomie", elle regroupe une trentaine de personnes en France. Son but ? "Piéger des pédocriminels" sur internet en créant des faux profils de jeunes adolescentes sur Facebook, pour ensuite les dénoncer à la police.

"On crée le faux profil, ensuite on le fait vivre, les demandes d'amis viennent toutes seules, les premiers messages c'est eux qui les envoient", raconte Shiva, "geek", et père de trois enfants, qu'il dit vouloir protéger de ce "danger", de plus en plus présent sur internet, selon lui. "Et bien souvent en moins de cinq minutes, on a des photos de sexe, et des propos sexuels".

En décembre, il crée le profil d'une adolescente de 13 ans. Au bout de cinq minutes, un internaute commence une discussion: "est-ce que tu peux me montrer ta culotte ?", "en échange je te montrerai mon sexe". Malgré ses réponses - "sa me fait peur" -, l'internaute continue et envoie des photos de son sexe. "C'est de la pêche, on attend, on tend un filet", explique Shiva, qui passe plus de 10 heures par jour à "traquer". Leur méthode est précise: ne jamais inciter ou relancer. Toutes les conversations sont archivées pour être transmises à la justice. Aujourd'hui, "quatorze dossiers sont prêts à être déposés en gendarmerie" et une dizaine l'ont déjà été, indique Calliope, victime de viols répétés dans son enfance. Malgré ces "preuves", "à chaque fois, nous sommes repartis de la gendarmerie avec nos dossiers sous le bras", "sans aucune plainte enregistrée", regrette cette mère de famille. "Chaque enquêteur qui travaille sous pseudonyme doit suivre une formation et avoir une habilitation bien précise, tout le monde ne peut pas évoluer sous couverture", affirme l'adjudant Jérôme Duhamel du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) de la gendarmerie française.


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"Chevaliers blancs"

"Ce n'est pas qu'on ne veut pas de leur aide, mais c'est que malheureusement on ne peut pas l'accepter", déclare-t-il. "Qu'ils passent des concours de police ou de gendarmerie et entrent dans la fonction publique, en attendant leur action est problématique" pour les enquêtes de la police, juge aussi Catherine Chambon, sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la police nationale.

Derrière son ordinateur, Yvan, enquêteur pour la plateforme Pharos du ministère français de l'Intérieur permettant d'alerter sur des comportements illicites sur Internet et spécialisé dans les signalements pédopornographiques, reçoit des dizaines de signalements par jour. Au total, les 30 membres de la plateforme traitent près de 4.000 signalements par semaine, dont 500 concernent la pédocriminalité. "Ce sont des enquêtes qui sont très longues et quand on les diligente, on n'a pas envie de se planter, on a pas envie de tomber sur un chevalier blanc et non sur un pédophile", ajoute le spécialiste.

"Chevaliers blancs", "justiciers", intercepteurs" ou "chasseurs de pédophiles"... Les citoyens ont tous pris l'exemple de Steven Moore, cet habitant de l'île française de la Réunion qui a lancé le mouvement en créant sa propre équipe, la "Team Moore", née il y a un an. "Ce qu'on fait, ça peut changer la donne, la peur peut changer de camp car si demain on remet 120 personnes à la justice, un paquet de mecs dans ce pays vont commencer à réfléchir", assure à l'AFP ce père de famille, qui souhaite "établir un lien avec la police".

En France, faire des propositions de nature sexuelle à un mineur de moins de quinze ans ou à une personne se faisant passer pour telle est passible de deux ans d'emprisonnement et de cinq ans de prison en cas de rencontre physique. Selon les dernières statistiques datant de 2016, 400 personnes sont condamnées chaque année pour détention d'images pédopornographiques.

* Les prénoms ont été changés.


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