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Moyen-Orient - Reportage

En route vers l’Europe, les réfugiés retrouvent espoir, Ankara un levier de pression

Venus en Turquie pour fuir la guerre, les déplacés espèrent rejoindre les pays de l’UE pour retrouver un avenir après que les autorités turques ont annoncé l’ouverture des frontières.

Des migrants attendent près de la frontière entre la Turquie et la Grèce, dans la région d’Edirne, pour pouvoir traverser vers l’Union européenne. Bulent Kilic/AFP

Belgique, Pays-Bas, Allemagne, France… La destination finale n’a pas d’importance. L’important est de filer droit à la frontière grecque, celle que la Turquie a annoncé ouvrir aux réfugiés, subitement. Au son de la cascade de notifications et appels qui se sont répandus sur les téléphones depuis quelques jours, une brèche inattendue s’est ouverte pour les Syriens. Pour combien de temps ?

Majid el-Hassan, la vingtaine, a fait son sac et a rejoint le point de rendez-vous sur la rive européenne d’Istanbul où ont été affrétés spécialement pour l’occasion des bus en partance pour Edirne, dernière ville turque avant la frontière. « Avant, on ne pouvait essayer de passer que par la mer, mais beaucoup de gens sont morts ainsi. Là, un copain m’a expliqué comment aller à la frontière, c’est facile, je vais essayer de passer », explique Majid, qui a fui Alep et sillonné depuis plusieurs villes turques, Mersin, Istanbul, Bursa... Assis à bord du car, c’est cette errance qu’il compte achever en Europe, « là où il n’y a pas de guerre ». En l’espace d’une nuit, l’effet domino produit par l’attaque du régime syrien qui a tué 34 militaires turcs dans la région d’Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, a ravivé l’espoir de ceux l’ayant fui d’atteindre cette Europe tant rêvée, à laquelle la Turquie a promis en 2016 le blocage des frontières en échange de six milliards d’euros. Tout l’argent n’est pas arrivé. Lassé d’être seule à s’impliquer – et s’enliser – dans le conflit syrien, Ankara a décidé la semaine dernière de rouvrir les portes et de faire pression sur l’Europe avec un souvenir qui la terrifie : celui d’un nouvel afflux massif de réfugiés en sa direction. Les médias turcs sont présents en nombre, encerclant tel un essaim chaque prétendant au départ. Certains réfugiés viennent déjà vérifier que la rumeur dit vrai. Le car de Majid n’est pas rempli mais est l’un des premiers à partir, lançant quelques klaxons et « coucous » aux caméras qui ne ratent pas une miette de cet adieu.

Qu’importe l’instrumentalisation. L’opportunité est là, il faut la saisir. « J’attendais l’occasion d’aller en Europe depuis longtemps. J’ai essayé plusieurs fois, à chaque fois, j’ai été arrêté, explique Maher, un Syrien bien peigné, emmitouflé dans sa parka kaki. Si Dieu le veut, je vais réussir cette fois. » Après avoir fui la guerre, les réfugiés veulent un avenir. En Turquie, leur situation est précaire, aggravée par le rejet grandissant des Turcs, eux-mêmes victimes de la crise économique et du chômage grimpant. Maher cumule les petits jobs comme il peut depuis huit ans. Sa famille a décidé de rebrousser chemin en Syrie, à l’instar de 330 000 autres volontaires. Lui préfère se tourner vers l’ouest, en Belgique exactement, pour s’établir. « J’ai des connaissances là-bas, ça me semble bien », explique-t-il.



(Lire aussi : "Est-on en Grèce ?" : les migrants à l'assaut de la frontière terrestre gréco-turque)



Je veux une vie simple et stable
Ahmad, 36 ans, bonnet enfoncé sur la tête, attend le prochain bus sans regarder derrière lui. « J’ai quitté la Syrie parce qu’il n’y avait plus rien, plus de maison, plus de travail, plus de vie, seulement des bombes. Nous sommes ici depuis cinq ans, il n’y a pas d’aides, pas d’argent. J’ai une femme et deux filles, dont une est handicapée, qui ne peut être traitée ici », explique-t-il en tirant sur sa cigarette. « Ce matin, mon patron m’a appelé pour me dire que j’étais viré, sans raison ni indemnités. En Europe, on peut travailler et vivre. J’ai appris le turc rapidement, j’apprendrai la langue vite. Tout ce que je veux, c’est une vie simple et stable. »

À la gare d’Esenler (est d’Istanbul), quelques kilomètres plus loin, Mohammad, un Afghan de 20 ans, espère aussi reprendre le cours de sa vie, en suspens depuis deux ans, date à laquelle il est arrivé clandestinement en Turquie depuis l’Iran. Aujourd’hui, il a un simple bagage à vêtements et un sourire aux lèvres. « Je viens d’acheter mon billet pour Edirne ! se réjouit-il. Je pars car ici, la vie est chère, il y a la guerre, on ne sait pas que faire de notre vie. Je veux reprendre mes études de droit et retrouver ma vie. »

Mais samedi matin, à quelques dizaines de mètres de la frontière avec l’UE, l’espoir s’est dispersé dans la fumée des grenades lacrymogènes lancées par les policiers grecs sur des milliers de réfugiés. Par anticipation, la Grèce avait musclé ses effectifs et érigé une barrière de barbelés pour empêcher toute traversée. Après avoir passé la nuit dehors, impuissants, certains ont allumé des feux et jeté des pierres en direction de cette frontière infranchissable. Dans la zone tampon, les réfugiés se retrouvent à nouveau entre parenthèses.

Parmi eux se trouve sans doute Khalil, jeune Syrien barbe bien taillée. Averti et encouragé par des amis à la frontière, il avait déclaré il y a deux jours avant de monter dans le bus vers la frontière : « Il y a un espoir maintenant, alors on va tenter notre chance. Si ça marche, tant mieux. Sinon, on reviendra. On n’a pas le choix. La vie de réfugié, c’est comme ça. »

Samedi soir, les Nations unies avaient chiffré à 13 000 le nombre de migrants massés le long de la frontière entre la Turquie et la Grèce. Hier, plusieurs milliers de personnes continuaient d’affluer au point de passage de Pazarkule (Kastanies côté grec). Face à cette situation, l’agence européenne Frontex a rehaussé son niveau d’alerte et l’UE a demandé une réunion d’urgence de ses ministres de l’Intérieur.



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