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Lifestyle - Guide

Cinq comptes Instagram à suivre pour tout savoir à propos de la révolution

Dès le 17 octobre, de Beyrouth et partout dans le monde, ils ont assailli la planète Instagram avec leurs pages qui desquament la corruption avec brio, proposent une réflexion poétique et politique sur la condition du Liban, cartographient les mouvements sur le terrain, centralisent les initiatives de la société civile ou servent même de médias alternatifs et indépendants. Voici cinq comptes Instagram qui disent tout sur la révolution libanaise...



@lebanon.corruption.facts, la corruption au scalpel

Ils avancent camouflés, ces Daft Punks version brigade anticorruption, dont on ne sait rien si ce n’est qu’ils forment un binôme, sont basés à Londres et que l’un d’entre eux était fasciné, depuis l’enfance, par les rouages secrets d’une politique libanaise éternellement rongée par une corruption systémique. Faute d’être présents sur le terrain au moment où prend forme la révolution d’octobre, ces deux amis d’enfance cogitent autour de l’idée « d’apporter notre soutien, même de loin, au Liban ». En un temps record, 48 heures plus tard, surgit sur Instagram leur compte @lebanon.corruption.facts. Une esquisse de la carte du Liban en guise de logo, mais un Liban en pointillé, qu’on dirait grignoté par 30 ans d’abus. Puis apparaît un premier post en rouge, uniquement du rouge, comme l’est toute ligne à ne pas franchir : « 900 millions de dollars, 6 % de notre budget annuel, sont dépensés sur EDL, et nous n’avons toujours pas de courant électrique 24/7. Où est cet argent ? » Près de 20 000 abonnés affluent aussitôt, se rassemblant autour de ce qui est incontestablement le compte le plus brillant et le plus fédérateur de cette révolution, sans doute car il dépoussière, desquame et dévoile au grand jour le lourd dossier de la corruption ; la raison première de la grogne populaire. Sous le scalpel de

@lebanon.corruption.facts, les informations, les unes plus scandaleuses que les autres, toutes énoncées en arabe et anglais, sont divulguées dans un format choc et qui ne peut que cambrioler l’attention. Surtout que chacune de ces preuves, découlant d’un travail exhaustif de recherche, d’enquête et de fact checking, est appuyée par des chiffres et une source, « ce qui rend nos faits difficiles à contester ». Quoique se défendant de pointer du doigt tel ou tel parti, « histoire d’inclure et engager le plus de monde possible et rejoindre le slogan du kellon yaane kellon  », quoiqu’en enrobant leurs posts d’un humour au vitriol, les fondateurs de

@lebanon.corruption.facts auront réussi le pari de démontrer, franchement, mathématiquement et courageusement, l’incompétence de notre système. From London with Love, dit la description de leur page. Et de Beyrouth, on les en remercie.



@leb.historian, un autre regard

À voir la fréquence à laquelle elle s’éreinte à disséquer, analyser, écrémer puis poster l’information sur son compte Instagram, on pourrait naïvement penser, au pire, que Chloé Kattar est au chômage à se tourner les pouces ou, au mieux, se dore la pilule sur une plage ensoleillée. Erreur. Après avoir fait ses armes en prestigieuses classes prépa à Paris, c’est à partir de la non moins prestigieuse Université de Cambridge (où elle terminera en juin son doctorat sur les intellectuels de la guerre civile libanaise) que cette geek au brio taquin, 28 ans seulement, nourrit sa page

@leb.historian, initialement lancée en 2017, « comme une manière de mettre en lumière des sujets sur la culture et l’histoire du Liban, a priori pas très populaires sur réseaux sociaux », dit-elle. Dès le 17 octobre, engluée comme tout expat’ à son portable, jusqu’à négliger son pourtant très prenant doctorat, Chloé Kattar se met spontanément à publier des chroniques quotidiennes qu’elle intitule Thoughts on Day 1, 2, etc. Par le biais de ce carnet de bord personnel et aiguisé, posté tous les soirs immanquablement sous forme de liste à points, non seulement elle recense les événements marquants de la journée écoulée, mais elle livre surtout une réflexion à froid et en profondeur sur l’actualité brûlante. Des racines du dossier d’EDL aux origines de nos mouvements estudiantins, en passant par l’historique des concerts de casseroles ou, plus récemment, le dilemme du paiement des eurobonds et la grève des boulangers, Kattar pose un regard différent, à la fois politique et poétique, sur cet éventail de thèmes. En espérant que ces pensées réjouissantes soient rassemblées dans un ouvrage,

@leb.historian permet d’archiver l’essentiel de notre quotidien en mouvance et, dans le même temps, de prendre un peu d’altitude, voire même de recul, pour une meilleure vue d’ensemble sur l’époque charnière que traverse le Liban.



@megaphone_news, le média alternatif

Si @megaphone_news a trouvé un écho important au cours des derniers quatre mois, c’est pourtant en 2017 qu’un groupe d’activistes a démarré cette plateforme médiatique, « comme une alternative concrète aux médias traditionnels locaux qui sont, pour la plupart, affiliés à des partis politiques ou sinon servent certains intérêts politiques par le biais de personnes qui y sont impliquées », comme le précise Jean Kassir, l’un des fondateurs. Affinant une ligne éditoriale indépendante qui rompt avec les langues de bois usuelles, abordant des sujets sociopolitiques marginalisés que sous-tend un discours incisif et proposant un format hybride qui s’adresse à une nouvelle audience rivée sur les réseaux sociaux, @megaphone_news a toutefois opéré un virage important dès le 17 octobre. « Un passage du slow journalism à quelque chose d’extrêmement rapide et qui évolue à la minute, explique cette équipe d’une quinzaine de personnes qui relient le jour à la nuit afin de créer un contenu variant entre articles de fond, courtes vidéos et posts destinés à Instagram, car il nous semble primordial de servir de source d’information à la diaspora libanaise. » De fait, et sans crainte de se prononcer contre le système jusqu’à en détricoter les retords,

@megaphone_news balaye une foultitude d’activités médiatiques. Couverture de mouvements sur le terrain, analyse des discours politiques, retours sur des déclarations controversées, articles de fond ou même parenthèses poétiques à travers la section No Comments qui s’arrête sur des moments saisissants ou doucement absurdes, @megaphone_news n’aura donc cessé de démocratiser la politique, naguère intimidante ici au Liban. Mais aussi et surtout, de braquer son haut-parleur sur une information à la fois indépendante et engagée.



@daleelthawra, le guide complet

En ligne de front, au cœur des barrages humains, sur les places et partout sur le terrain, inutile de le répéter, la révolution a été incontestablement portée par des femmes. Une force de frappe féminine qui s’étend jusque dans les sous-bois de la révolution, là où Bana Abouricheh Kadi (productrice dans le domaine de l’art et la technologie), Ayah Bdeir (entrepreneuse en technologie et sélectionnée parmi les BBC 100 Women 2019) et Nina Ghais (chercheuse et femme de science) ont initié la plateforme @daleelthawra, « un annuaire regroupant toutes initiatives liées au support de la révolution libanaise, que ce soit des événements et mouvements sur le sol, des appels aux dons ou des nouvelles ». Aux premiers balbutiements de la révolution, à force de réunions dont elles ressortaient à chaque fois un peu plus confuses par l’organisation alors chaotique, les trois acolytes se décident à monter une plateforme qui servirait à centraliser l’information et donc orienter ceux qui souhaitent s’engager, mais ignoraient comment s’y prendre. C’est ainsi que naît @daleelthawra le 24 octobre, « un espace créé pour le peuple et par le peuple, pour mettre de l’ordre et maximiser l’efficacité des projets ». Comme son nom l’indique, cette page est le guide complet de la révolution avec, tous les matins, un calendrier en arabe et anglais qui condense l’ensemble des manifestations, conférences, marches, opérations des ONG et événements des scènes artistique et culturelle prévus pour la journée. Zigzaguant entre les fusées horaires de Beyrouth, Londres et New York où Bana, Nina et Ayah sont respectivement basées, les fondatrices, épaulées par une équipe de 7 volontaires, répartissent les activités de la page entre une mise en lumière de telle ou telle initiative, une consolidation des projets de la société civile et même une livraison d’informations pratiques sur les plans socio-politico-économiques. Une belle manière d’inviter tout un chacun à apporter sa pierre au chantier de la révolution, au cœur du torrent d’initiatives qui, faute d’organisation, finissaient souvent par se perdre en chemin.



@thawramap, la boussole de la révolution

« Je suis à Beyrouth et je veux me rendre à cette marche, mais où démarre-t-elle précisément ? », « Où se trouve la maison de tel ministre ou député en dessous de laquelle se tient cette manifestation ? », « C’est quoi l’adresse de ce restaurant où dîne ce dirigeant ? » En recensant ces mêmes questions qui se faisaient échos sur réseaux sociaux et au milieu des groupes WhatsApp révolutionnaires, de surcroît dans un pays où une adresse se veut toujours approximative, « la deuxième à ta gauche après l’épicier », « Le troisième immeuble sur le trottoir d’en face de la station-service », un groupe d’activistes partagés entre le Liban et l’étranger ont mesuré l’étendue de l’effort et du temps mis au service de l’organisation des mouvements au sol, alors qu’une simple carte pourrait faire l’affaire. Dans l’optique de remédier à ce souci de logistique, le compte @thawramap est, depuis début janvier, une aubaine à tous ceux qui désiraient s’engager sur le terrain. Localisant, dans un premier temps, les manifestations pacifistes qui s’éparpillaient dans Beyrouth, la page s’est développée au fil du temps pour regrouper sur Google Maps l’ensemble des lieux où émergent, au jour le jour, des mouvements et autres rassemblements. Alimenté selon les besoins quotidiens, @thawramap compte aujourd’hui près d’une centaine de géolocalisations, adresses de politiciens, d’institutions publiques, de places révolutionnaires, de banques et autres cantons visés par les mouvements de contestation. « Dès qu’un appel en renfort est nécessité par exemple, l’emplacement est posté sur la page Instagram et, en même temps, rajouté à la carte interactive sur Google Maps. Et lorsque la journée le requiert, comme au moment de la session parlementaire au cours de laquelle les manifestants se déplaçaient dans la ville, la carte est mise à jour instantanément », précise l’un des fondateurs de ce compte qui se surprend aujourd’hui de l’implication, au sol, du peuple libanais. Ainsi, comme l’ultime boussole de la révolution, le compte @thawramap vous est destiné si vous êtes de ces activistes du terrain, drapeau à la main et masque à gaz lacrymogène au visage. 


Lebanon Corruption Facts: ici 

Leb Historian, Chloé Kattar: ici 

Daleel Al-Thawra: ici 

Megaphone: ici 

Thawra Map: ici 

Dès le 17 octobre, de Beyrouth et partout dans le monde, ils ont assailli la planète Instagram avec leurs pages qui desquament la corruption avec brio, proposent une réflexion poétique et politique sur la condition du Liban, cartographient les mouvements sur le terrain, centralisent les initiatives de la société civile ou servent même de médias alternatifs et indépendants. Voici cinq...

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