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Moyen-Orient - Turquie

L’aventurisme régional d’Erdogan, un pari risqué sur la scène intérieure

La politique syrienne d’Ankara est considérée comme un échec dans les sondages.

Recep Tayyip Erdogan s’exprimant lors d’une conférence de presse à Istanbul, en Turquie, le 3 février 2020. AFP/Turkish Presidential Press Office

En Syrie comme en Libye, le président turc Recep Tayyip Erdogan joue la carte aventuriste. Ces derniers mois, le reïs a engagé ses forces militaires dans les deux pays avec deux différentes missions. Il s’agit, dans le premier cas, de contenir l’avancée des troupes du régime syrien, soutenues par l’aviation russe, dans la province d’Idleb, dernier grand bastion rebelle de Syrie. La Turquie a mobilisé les grands moyens – plusieurs milliers d’hommes et des dizaines de véhicules blindés – pour tenter d’éviter tout nouvel afflux de réfugiés sur son territoire, elle qui accueille déjà trois millions et demi de Syriens qu’elle cherche à relocaliser dans le nord du pays. Dans le second cas, en Libye, Ankara a déployé des instructeurs militaires ainsi que des rebelles syriens afin de soutenir le gouvernement reconnu par les Nations unies (GNA, Gouvernement d’union nationale) – siégeant à Tripoli – contre les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, qui peut compter aussi sur l’aide des Émirats arabes unis, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et de la Russie.

M. Erdogan a récemment affiché sa détermination dans l’implication de ses forces dans les deux régions, insistant sur la nécessité de chacune d’entre elles. « La Syrie, la Libye ou la Méditerranée, toutes les luttes que nous hésitons à mener aujourd’hui, nous le paierons au prix fort demain », avait affirmé le président turc samedi dernier, cité par l’agence Anadolu. « Les politiques syrienne et libyenne de la Turquie ne sont pas le fruit d’un aventurisme ou d’un bon vouloir », avait-il dit.

Le président turc se prête toutefois à un exercice risqué dans un contexte où lui et son parti, l’AKP (parti de la Justice et du Développement, islamo-conservateur), sont de plus en plus critiqués sur la scène intérieure turque. Sa cote de popularité est en baisse. En témoigne la perte, en deux temps, de la mairie d’Istanbul par l’AKP lors des élections municipales de mars 2018.

Le bilan de ces deux campagnes est lourd. Depuis le début du mois de février, près d’une vingtaine de soldats turcs sont morts en Syrie sous les coups de l’artillerie des forces progouvernementales syriennes, soutenues par la Russie, sans parler des postes d’observation installés par Ankara dans la région, dont certains sont encerclés par les troupes de Damas. À ceux-là vient s’ajouter la mort de deux soldats, cette fois en Libye. « Nous avons eu deux martyrs là-bas », a déclaré hier le président turc lors d’une conférence de presse à Ankara, faisant pour la première fois état de pertes dans ce pays, sans toutefois préciser quand ni dans quelles circonstances ces soldats ont été tués.


(Lire aussi : Erdogan annonce un sommet sur la Syrie avec les dirigeants russe, français et allemand)


Sondages négatifs
Contrairement aux interventions militaires en Syrie contre les forces kurdes des YPG (Unités de protection du peuple) – relais du PKK (parti des Travailleurs du Kurdistan) et considéré par Ankara comme terroriste –, les campagnes militaires syrienne et libyenne actuelles de la Turquie ne font pas l’unanimité au sein de la population. « Les Turcs sont derrière leurs militaires, en particulier lorsqu’il y a un engagement étranger. Mais la politique syrienne du gouvernement turc est considérée comme un échec dans les sondages. Les pertes humaines entraînent une plus grande poussée vers l’idée d’une solution diplomatique », explique Asli Aydintasbas, spécialiste de la Turquie au sein de l’European Council of Foreign Relations (ECFR), contactée par L’Orient-Le Jour. « Le soutien à l’engagement turc en Libye est très faible. Il se limite à celui des partisans de l’AKP. Il oscille à moins de 30 % », ajoute-t-elle, précisant qu’en Turquie, « personne ne sait grand-chose de ce conflit ». Les partis d’opposition turcs (à l’exception du HDP, prokurde) ont soutenu l’accord maritime signé avec la Libye en novembre 2019, mais ont voté contre le déploiement de soldats turcs dans le pays.

Un élément domine toutefois l’opinion publique turque : la question des réfugiés et la montée de l’hostilité à leur égard en Turquie. De ce fait, le gouvernement « a décrit son engagement à Idleb comme une mission humanitaire pour empêcher le régime Assad de conduire un grand nombre de Syriens vers Turquie », explique Asli Aydintasbas. Mais le président Erdogan a besoin d’un succès dans ses entreprises. S’il se retire de ses bases en Syrie, l’initiative aura un coût militaire et politique très élevé. Il aura perdu un grand nombre d’hommes sans pour autant avoir réussi à empêcher une nouvelle vague de réfugiés vers son pays.


(Lire aussi : À Idleb, la Turquie bombe le torse)


« Au sein de l’opposition, on impute la faute au gouvernement de s’être retrouvé dans cette situation dans le nord-ouest de la Syrie. Il n’y a pas à ce stade de bonnes options, mais l’opposition comme le gouvernement ne souhaitent pas quitter la province d’Idleb », estime Nigar Göksel, directrice du département Turquie au sein du Crisis Group, interrogée par L’Orient-Le Jour. « L’espoir est que Poutine et Erdogan puissent s’entendre sur un cessez-le-feu qui épargnera à la Turquie un autre afflux important de réfugiés et davantage de décès de soldats turcs en Syrie », estime-t-elle.

Diplomatiquement, Recep Tayyip Erdogan semble en position de faiblesse, surtout sur le dossier syrien. Habitué des rencontres bilatérales avec son homologue russe Vladimir Poutine, le reïs n’a pas hésité à accepter un sommet à quatre avec lui, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel le 5 mars prochain. Ce sommet toutefois ne semble pas totalement garanti. « Il n’y a pas d’accord total » entre tous les participants, a déclaré hier le président turc, précisant qu’« au pire », il se réunirait avec M. Poutine pour tenter de trouver une solution au problème d’Idleb. Une délégation russe doit arriver aujourd’hui en Turquie pour des discussions sur ce sujet.


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