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Comptes de méfaits

Tous les experts du monde viendraient démêler cette énorme pelote de fils emberlificotés qu’est la crise économique et financière libanaise, nous en expliqueraient le comment et le pourquoi, que le très infortuné et profane citoyen n’y comprendrait toujours goutte.

C’est qu’il n’en a rien à fiche, le citoyen, de termes aussi barbares que haircut, capital control, croissance négative, rééchelonnement, restructuration ou échéances d’obligations. Ce qu’il sait seulement, l’homme de la rue, c’est qu’on lui demande en ce moment de payer de ses maigres économies, de son pouvoir d’achat réduit de près de la moitié, l’incompétence et/ou l’insolente corruption de ses dirigeants. Ce qu’il constate, c’est qu’il est la victime d’une gigantesque arnaque : de ce qui est à ses yeux, à ses tripes et à sa poche le hold-up du siècle. Le pire cependant, c’est que l’escroquerie continue. Qu’elle a seulement changé de registre. Et que l’on voit maintenant plus d’un de ces responsables s’affairant à tirer son épingle du jeu, à s’approprier avec un beau culot les plaintes du peuple, à se trouver des boucs émissaires.

De toute la gent du pouvoir, le Premier ministre Hassane Diab est pratiquement le seul à pouvoir dire en toute honnêteté qu’il lui est demandé de résoudre au plus tôt des problèmes (ah, le courtois, l’indulgent euphémisme !) accumulés durant les trois dernières décennies. Certains pourtant, et non des moindres, ne se privent pas de revendiquer le même privilège, de s’arroger le même je n’y suis pour rien. Faute de quitus délivré par la Cour des comptes, le président de la République vient de refuser d’apposer son seing sur le projet de loi de finances. Fort bien, les principes sont saufs, même si ce n’était là qu’un coup d’épée dans l’eau et que ledit projet n’en est même pas retardé ; reste le fait que le chef de l’État ne s’était pas embarrassé de ces nobles scrupules lors de l’expédition du budget de l’an dernier.

Jeudi en Conseil des ministres, Michel Aoun exigeait que lumière soit faite sur les récents transferts massifs de fonds à l’étranger. C’est un très visible, et même aveuglant, feu vert qu’il donnait ainsi à la manifestation organisée le même soir par le parti présidentiel devant le siège de la Banque du Liban, accusée d’avoir fermé les yeux sur ces mouvements. On laissera aux spécialistes locaux et internationaux le soin d’évaluer un jour la gestion de cette institution ; en attendant, on ne saurait oublier que le dauphin du régime a toujours vu dans le gouverneur de la BDL un rival majeur dans la course au palais de Baabda, du moins en des temps où la conjoncture pouvait encore autoriser de telles espérances. C’est dire que là aussi, la manif’ de jeudi, marquée par des accrochages avec des partisans du leader druze Walid Joumblatt, puait la démagogie, le chiqué, le règlement de comptes, la récupération démagogique.

Démagogique en effet parce que les transferts en question, opérés après les restrictions sur les retraits des dépôts, étaient en réalité le fait de traînards pris de panique mais disposant de solides amitiés bancaires. Pour substantiels qu’ils furent, ils ne représentaient qu’une part infime des sommes mises à l’abri des mois avant la révolution d’octobre par des détenteurs plus avisés – voire initiés – et qui ont vu de loin venir l’inexorable désastre. Figuraient très probablement parmi eux des chefs politiques en mesure, dès lors, de montrer patte blanche. Et même de déclarer leurs avoirs à grand renfort de publicité, comme l’ont fait certains des personnages les plus copieusement conspués par les foules.

Ces milliards garés ailleurs dans la plus grande discrétion et loin de toute urgence, c’est ironiquement le Hezbollah, lui-même en contravention avec les finances nationales, qui s’en offusquait hier. Pas de quoi racheter toutefois l’incroyable négligence, l’inqualifiable cachotterie de ses patrons iraniens qui nous refilaient, jeudi soir, un premier cas de coronavirus.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Tous les experts du monde viendraient démêler cette énorme pelote de fils emberlificotés qu’est la crise économique et financière libanaise, nous en expliqueraient le comment et le pourquoi, que le très infortuné et profane citoyen n’y comprendrait toujours goutte. C’est qu’il n’en a rien à fiche, le citoyen, de termes aussi barbares que haircut, capital control, croissance...