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Moyen-Orient - Reportage

Un an après, comment le Hirak a changé l’Algérie

Pour les manifestants, l’heure est au bilan de 12 mois de mobilisation.


Les manifestants hier à Alger. Ryad Kramdi/AFP

Son visage s’illumine lorsqu’elle évoque le jour où tout a basculé, il y a exactement un an. « Un choc émotionnel. Tout le peuple était dans la rue avec un comportement irréprochable. Les semaines suivantes, les gens manifestaient avec des fleurs », se souvient Sakina, 29 ans, employée dans une maison d’édition, vêtue d’un tee-shirt vert frappé du sceau du passeport algérien.

La même émotion parcourt le regard de Drifa, documentariste. « C’est comme si j’avais retrouvé la voix ce jour-là. C’était un jour de reconquête de l’espace public et de notre pays », sourit celle qui a filmé presque toutes les marches hebdomadaires qui se sont déroulées dans la capitale au cours des douze mois écoulés, avant de les poster sur sa chaîne YouTube. « J’ai tout de suite compris qu’il fallait constituer une mémoire collective de ce moment. Créer aujourd’hui les archives de demain, c’est ma manière à moi de contribuer à ce mouvement », confie la jeune vidéaste, au milieu d’une foule compacte.

Nous y voilà donc. Le mouvement populaire algérien, qui a délogé en moins de deux mois le président Abdelaziz Bouteflika arc-bouté à son siège pendant vingt ans malgré des soucis de santé, souffle sa première bougie. Dans les rangs des manifestants, même les plus optimistes n’avaient pas misé sur une telle longévité. « Au début, personne ne s’attendait à ce que ça dure aussi longtemps et avec autant de monde chaque semaine. On savait que les Algériens étaient persévérants, mais là on a battu notre propre record ! » s’étonne encore Sakina.

Si le nombre de manifestants a diminué au fil des mois par rapport aux mobilisations historiques du printemps dernier, où des millions d’Algériens investissaient chaque vendredi les rues à travers le pays pour s’opposer au régime militaire, le mouvement, connu sous le nom du Hirak, ne fléchit pas depuis son lancement. Ni les vagues d’arrestations, ni le déploiement massif des forces de l’ordre, ni même l’élection contestée d’Abdelmadjid Tebboune à la succession de Bouteflika en décembre ne sont venus à bout de ce mouvement spontané et populaire, toujours sans leader.

Pour Sakina, on assiste à l’avènement d’une nouvelle génération « qui n’a pas froid aux yeux. On n’a peur de rien et on le prouve en sortant chaque semaine malgré la répression ». Dans un pays où la moitié de la population a moins de 30 ans, les jeunes, notamment les étudiants, continuent de constituer le fer de lance de la mobilisation antisystème. Autre clef pour comprendre cette longévité, le rôle des femmes. Très nombreuses, depuis la deuxième marche massive organisée le 1er mars dernier. « C’est simple, si elles s’arrêtent de marcher, le mouvement s’effondre. Elles sont les garantes du succès, car, grâce à elles, le mouvement continue d’être pacifique », tranche Kamel, un commerçant de 65 ans, drapé de l’emblème national.


(Lire aussi : Plus d'un an de contestations dans le monde arabe et en Iran)


« Les mentalités commencent à changer »

Un an après le début du Hirak, la principale victoire de la rue reste le départ de Abdelaziz Bouteflika. « C’était une étape importante qui a ouvert des perspectives », considère Drifa. Depuis, le mouvement a fait du chemin. « Un an après, la promesse du Hirak est toujours là. Le mouvement a mûri, il commence à se structurer. Les gens ont compris l’importance de construire un projet politique pour le pays, ils sont plus investis dans la vie politique », poursuit la documentariste. Elle en veut pour preuve la parution jeudi 20 février, veille du premier anniversaire du mouvement, du Manifeste du 22 février. Un document rédigé par des activistes du Mouvement citoyen, un collectif en cours de formation, qui consacre les principes et les valeurs du Hirak. À savoir les trois principaux mots d’ordre du mouvement depuis son déclenchement : « Silmyia » (pacifique), « yetnahaw gaa » (qu’ils partent tous) et « khawa khawa » (fraternité). Pour Kamel, qui a participé aux marches démocratiques d’octobre 1988, « le peuple semble plus éveillé. Il cherche à comprendre ce qu’il se trame ». Il dit se préparer à un « combat de longue haleine. Même si Tebboune part, l’armée placera un autre pion à sa place. Ça va prendre du temps ».

Sakina s’arme elle aussi de patience. « J’ai bien conscience que ce n’est pas en une année qu’on peut déconstruire un régime installé depuis 1962 », dit la jeune femme qui remarque un impact du Hirak au-delà de la scène politique. « Les mentalités commencent à changer. Il y a plus d’entraide, d’union entre les gens. On fait moins attention aux différences régionales », constate-t-elle.


(Lire aussi : La répression du « Hirak » se poursuit depuis la présidentielle, selon HRW)


« La seule solution, c’est le départ de la vieille clique »

Alors qu’il entre dans sa deuxième année, le mouvement fait face à une série de questions : quelle suite donner au Hirak ? Doit-il négocier avec le président qui a offert une « main tendue » aux manifestants ? Désigner des représentants ? Ou envisager d’autres modes d’action en dehors des marches hebdomadaires ? Le sujet divise les manifestants. Un noyau dur, qui continue à arpenter inlassablement les rues de la capitale chaque vendredi et mardi depuis 12 mois, ne croit pas en la volonté du gouvernement de négocier une transition démocratique. « Le dialogue est impossible avec ce régime, il ne sait que donner des ordres. Il n’acceptera jamais nos revendications. Donc la seule solution, c’est le départ de la vieille clique », soutient Kamel, qui prévoit de poursuivre la mobilisation comme beaucoup d’autres. Moins intransigeants, certains se disent prêts à discuter avec le pouvoir à condition que les détenus d’opinion, en attente de procès, soient libérés. « Il n’y aura aucun dialogue tant que les nôtres sont en prison », affirme Farida, 56 ans, habillée d’un tee-shirt orange à l’effigie de Karim Tabbou. Figure de proue du mouvement, le coordinateur de l’Union démocratique et sociale (UDS) est incarcéré dans la maison d’arrêt d’el-Koléa, dans la banlieue ouest d’Alger, depuis septembre. Selon la Ligue des droits de l’homme, plus de 2 500 personnes ont été arrêtées au cours de l’année, en marge des manifestations. Ils sont encore plus d’une centaine en détention provisoire, d’après la même source.


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