C’est pour exprimer son opposition traditionnelle aux choix de la Banque du Liban et de son gouverneur Riad Salamé, et pour demander le recouvrement des fonds transférés à l’étranger que les partisans du Courant patriotique libre ont manifesté hier devant le siège de la BDL à Hamra.
Mais au-delà de ces deux slogans, la manifestation est porteuse de plusieurs messages politiques en direction des adversaires du parti, mais aussi et surtout au mouvement de contestation.
Ainsi, ce geste n’est certainement pas sans susciter de l’étonnement, voire du sarcasme, dans la mesure où c’est le principal parti au pouvoir qui manifeste, pour essayer de se ranger dans le camp de l’opposition. C’est également par son timing que la manifestation d’hier est à interpréter. Elle intervient à l’heure où le mouvement de contestation manifeste, lui aussi, son opposition aux politiques monétaires et bancaires. Cela pousse certains observateurs à exprimer leurs craintes quant à une éventuelle tentative aouniste de récupération politique du mouvement, auquel le CPL n’a jamais caché son opposition radicale, estimant qu’il s’agit d’une atteinte tant à son leader, Gebran Bassil, qu’au mandat de Michel Aoun, qui se veut « le père de tous » et « le président fort ».
Ces observateurs rappellent dans ce cadre que le CPL n’est pas le seul à tenter de se joindre au soulèvement populaire. Même les Forces libanaises ne cachent pas leur volonté d’y prendre part. D’ailleurs, leur chef Samir Geagea a déclaré à plusieurs reprises que sa formation fait partie du mouvement contestataire, mais reste dans les limites fixées par ce dernier.
Pour ce qui est du courant aouniste en revanche, les choses ne sont pas perçues sous cet angle. Il est vrai que le leader du CPL, Gebran Bassil, a annoncé en décembre dernier sa volonté de se ranger dans le camp de l’opposition, rappellent ces observateurs. Mais cela n’occulte aucunement le fait qu’il fait partie intégrante du pouvoir en place et a ainsi pris part activement à certaines décisions particulièrement importantes prises par les gouvernements formés depuis une quinzaine d’années. Il s’agit notamment de la décision du cabinet Hariri de renouveler le mandat de Riad Salamé pour six ans, lors de la séance du Conseil des ministres tenue le 24 mai 2017 à Baabda. Une décision que le gouvernement avait alors prise à l’unanimité, sur proposition du chef de l’État lui-même. Le parti s’oppose donc aujourd’hui aux options et politiques financières du gouverneur dont il a contribué au renouvellement du mandat.
Outre l’opposition à Riad Salamé, le CPL s’efforce de se montrer comme le fer de lance de la bataille contre la corruption, laquelle figure en tête des revendications populaires. Mais sur ce plan, les observateurs précités rappellent que le courant aouniste et son chef ont activement pris part au processus de formation du gouvernement de Hassane Diab. Et de souligner qu’à l’heure où les manifestants s’attendaient à une équipe de spécialistes indépendants, ce sont les partis politiques gravitant dans l’orbite du 8 Mars qui ont choisi les nouveaux ministres. Gebran Bassil aurait même poussé à la nomination du nouveau ministre de l’Énergie Raymond Ghajar, qui aurait fait partie de ses conseillers lorsqu’il occupait le même poste. Il convient de rappeler que ce ministère figure au centre de la lutte contre la corruption, avec en toile de fond le fameux dossier des « marchés douteux » portant sur la location par l’État de navires-centrales pour la production de courant électrique.
(Lire aussi : Heurts entre partisans du CPL et du PSP à Clemenceau)
Opportunisme politique
La manifestation d’hier traduit-elle donc une volonté aouniste d’étouffer le mouvement de contestation en l’exploitant sur le plan politique ? Selon Khalil Hélou, général à la retraite et membre du Comité de coordination de la révolte interrogé par L’Orient-Le Jour, « le CPL tente, depuis le 17 octobre, d’exploiter la révolte populaire, d’où sa manifestation hier devant la BDL ».
Pour le général Hélou, « le courant aouniste pratique l’opportunisme politique, en ce sens qu’il manifeste contre Riad Salamé pour lui faire assumer seul la responsabilité de la conjoncture économique et financière actuelle ». « Ce parti se plaint tout le temps du fait qu’ » on « ne lui a pas permis de limoger M. Salamé et de travailler, alors que cette formation est actuellement à la tête de la République et se trouve présente au Parlement depuis 2005 et dans les gouvernements depuis 2008. Qu’ils (les aounistes) divulguent donc les noms de ceux qui les ont empêchés d’enregistrer des accomplissements », ajoute le général Hélou, avant de poursuivre : « Le CPL tente aujourd’hui de remonter le moral de ses partisans. Mais il ne s’agit que d’un simple moment médiatique, qui ne pourra pas porter préjudice à la révolution dans la mesure où celle-ci a déjà gagné du terrain et convaincu l’opinion publique. »
À la question de savoir si cette confrontation pourrait mener à des affrontements entre deux rues, Khalil Hélou répond d’un ton empreint de confiance : « Je n’ai pas peur pour le mouvement de contestation. Celui-ci est déjà immunisé contre la récupération politique et mène aujourd’hui une bataille d’opinion publique. »
De son côté, le chef de l’État Michel Aoun a tenu à adresser un message particulièrement positif au mouvement de protestation. S’exprimant lors du Conseil des ministres tenu hier à Baabda, il a évoqué l’épineuse question des fonds transférés à l’étranger. Il a ainsi assuré que « des mesures seront prises pour que chacun assume ses responsabilités » dans ce domaine, surtout que « les transferts illégaux de fonds ont aggravé la crise actuelle ».
Une source proche de la présidence explique à L’OLJ qu’à travers ses propos, le président Aoun voulait assurer qu’il suivra de près l’action du pouvoir judiciaire sur ce plan, parce que tous les Libanais ont le droit de savoir ce qu’il est advenu de ces fonds.
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commentaires (16)
Merci L'OLJ! Continuez à écrire la vérité telle qu’elle est ! Même si la vérité me blesse parfois.
Jack Gardner
17 h 05, le 21 février 2020