Après avoir enterré définitivement le compromis présidentiel – conclu avec le Courant patriotique libre en 2016 –, lors de son discours incendiaire du 14 février, et défini clairement son positionnement d’opposant au gouvernement dans la prochaine phase, le leader du courant du Futur, Saad Hariri, est rapidement passé à l’acte, sur le double plan national et partisan.
M. Hariri a présidé hier une réunion du conseil central du Futur, à la Maison du Centre, en présence des députés du parti, ainsi que des membres des bureaux politique et exécutif. L’occasion pour la formation de commencer à « organiser l’opposition, à commencer par le courant du Futur », pour reprendre les termes de Moustapha Allouche, membre du bureau politique du parti haririen, contacté par L’Orient-Le Jour. « Le Futur veut lancer une opposition capable de présenter des alternatives à la politique actuelle dans le pays », déclare l’ancien député de Tripoli, faisant savoir que des contacts dans ce sens sont en cours avec le Parti socialiste progressiste et devront s’étendre prochainement au reste des protagonistes hostiles au sexennat Aoun, à savoir les Kataëb et les Forces libanaises. Sauf que cette initiative de la part de la Maison du Centre en direction de Meerab bute encore sur quelques obstacles. Pour preuve, lors de son discours du 14 février, Saad Hariri a salué le chef du PSP, Walid Joumblatt, à deux reprises, alors qu’il ne s’est pas adressé au leader des FL, Samir Geagea. Expliquant cela, M. Allouche souligne que « certains problèmes passés doivent encore être réglés avant de parler d’une nouvelle alliance dans le cadre de l’opposition », en allusion aux rapports perturbés entre les deux partis depuis des mois avec, en toile de fond, des divergences significatives concernant la gestion de l’État et les relations avec le CPL et son chef Gebran Bassil.
C’est donc en farouche opposant au pouvoir en place que M. Hariri compte se présenter dans la prochaine phase, tant devant ses alliés que ses adversaires. C’est ainsi que pourrait être interprété le communiqué publié à l’issue de la réunion d’hier. Soucieux d’afficher son nouveau positionnement politique, le chef du courant du Futur a haussé la barre face à Gebran Bassil, mais aussi face au Hezbollah. Le communiqué a ainsi souligné que le leader du Futur jugeait « nécessaire de tenir un dialogue consacré à l’examen de la stratégie de défense et qui permettrait à l’État de recouvrer la décision de paix et de guerre ». Cité par Mohammad Hajjar, député du Chouf, qui a donné lecture du communiqué, M. Hariri a affirmé en outre que « le Tribunal spécial pour le Liban est une des constantes du parti, qui suit avec tous les Libanais son action pour que justice soit faite » dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri, ancien Premier ministre.
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Évoquant le mouvement de contestation, Saad Hariri a estimé que « ce qui prévalait avant le 17 octobre (date du début du soulèvement populaire) ne s’applique plus aujourd’hui ». « La révolte, qui a outrepassé les confessions et les alignements politiques, est devenue un véritable partenaire et une force de pression non négligeable dans la prise de décision nationale et l’action des institutions », a encore dit l’ancien Premier ministre, ajoutant que « le Futur y voit une valeur ajoutée à la démocratie libanaise ».
Concernant le compromis de 2016, M. Hariri a estimé que « c’est un cumul de facteurs, notamment l’effondrement des relations entre les présidence de la République et du Conseil, qui a abouti à l’échec de cette entente ». « La révolte a mené à la démission du gouvernement (de M. Hariri, le 29 octobre 2019, NDLR) et poussé à tourner une page qui a duré trois ans, ayant connu des accomplissements qui la justifient et des entorses à la Constitution qui la renvoient à l’histoire », a déclaré M. Hariri.
S’exprimant à l’issue de la réunion, l’ex-chef du gouvernement a décoché, encore une fois, ses flèches en direction de Gebran Bassil. Réagissant au tweet de ce dernier concernant « un retour difficile » de M. Hariri au Sérail, le leader du Futur a tonné : « Cela confirme mes propos au sujet du président de l’ombre. » Allusion à la diatribe à laquelle il s’était lancé le 14 février et a dénoncé le fait qu’il a dû travailler avec un chef d’État et un président de l’ombre, en référence à M. Bassil.
Saad Hariri a, par ailleurs, assuré que son parti « aspire à œuvrer avec le plus large éventail de protagonistes pour mettre en place une nouvelle loi électorale conforme à l’accord de Taëf, qui paverait la voie à des législatives anticipées ». Le Futur a d’ailleurs chargé M. Hariri de former un comité de spécialistes pour élaborer un projet de loi électorale conforme aux règles érigées par l’accord de Taëf.
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Le congrès interpartisan
Sur un autre registre, Saad Hariri a lancé les préparatifs pour la tenue du congrès général du Futur, comme il l’avait promis lors de son discours, pour désigner une nouvelle direction qui œuvrerait à améliorer la participation à la prise de décision au sein de la formation. Une source au sein de la direction du parti confie dans ce cadre à L’OLJ que le Futur planchera prochainement sur une révision de son organigramme pour que le parti soit plus au diapason du soulèvement populaire. « Nous avons lancé un chantier qui a déjà finalisé quelques questions qui seront soumises à l’examen des comités que formera le bureau politique », ajoute la source, assurant que Saad Hariri tient à ce qu’un changement soit apporté à la direction du Futur. Mais il reviendra au bureau politique de décider si les nouveaux dirigeants du parti seront élus lors du congrès ou désignés parce que le dernier scrutin interpartisan a laissé des incidences négatives dans certaines régions.
En attendant, Saad Hariri s’apprête à effectuer une tournée aux Émirats arabes unis puis en Arabie saoudite dans les prochains jours, selon des sources concordantes. Elles indiquent que l’ancien Premier ministre devrait obtenir au cours de ce voyage un « appui moral » des autorités des deux pays, mais pas encore de soutien matériel. Des informations que Moustapha Allouche ne confirme pas, se contentant de faire état d’un appui arabe à M. Hariri, dont témoignait la présence de plusieurs ambassadeurs, dont le Saoudien Walid Boukhari, à la cérémonie du 14 février.
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commentaires (13)
Après ce qu'a fait "MBS" à l'ex premier ministre en Arabie Saoudite... une démission forcée... Eh bien retournez y. Restez y ou rentrez... C'est vous qui voyez!! Tu parles d'une souveraineté du Liban. Entre tous les courants politico-religieux.
Sybille S. Hneine
17 h 58, le 20 février 2020